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en relief sur une grande pierre appliquée au mur. La chute de cette pièce sculptée eut lieu par suite de vétusté, au moment même, dit-on, d'une dispute scandaleuse en cet endroit. Nul n'ayant été blessé de cette chute, on se plut à reconnaître la protection du Saint, et les débats cessèrent aussitôt ».

Voilà, il faut en convenir, des termes qui semblent nous reporter assez loin dans le passé à l'égard de ces monuments commémoratifs successifs, auxquels un autre a été substitué dans le courant du XIXe siècle (4). En outre, la situation de l'immeuble qui les porta tous (5), soit sur la limite la plus ancienne et là demeurée invariable de Montpellier et de Montpelliéret, encore féodalement séparés au temps de saint Roch, soit à proximité de la porte du Pyla-SaintGély, qui ouvrait sur le chemin de Nimes, c'est-à-dire celui d'Italie; l'ancienneté de construction de cet immeuble, constatée il y a quelques années encore (6); l'existence certaine en cet endroit d'une borne des juridictions dite pilar ou pilier Saint-Gilles, analogue à la « petra Sancte Fidis », placée à l'autre extrémité de la voie publique : tout cela paraît déceler ou accréditer quelque ancienne tradition, que d'aucuns jugeront respectable.

Il ne s'agit cependant que d'une légende, et non pas même de celles que consacrent de longs siècles, on va le voir. Car les légendes fleurissent toujours sur une tige plus ou moins racinée dans quelque fait. Et le cas présent confirme cette règle déduite de l'expérience.

De la station de saint Roch sur un banc de pierre où il fut mis en arrestation, aucune des vies anciennes n'a parlé. Mais un document bien daté, de l'année 1629, va me permettre de saisir l'origine de cette croyance erronée.

En cette année, Montpellier fut affligé par l'épidémie dite la Grande-Peste, à cause de sa fureur. Pour en obtenir la cessation, et aussi à l'occasion du jubilé accordé dans ce but et celui d'apaiser les guerres entre princes chrétiens, il fut fait dans la ville des processions par les couvents et les confréries. On résolut aussi de placer dans chaque sixain ou section de ville un tableau représentant la Vierge Marie tenant l'Enfant Jésus. Delort, un contemporain (8), fournit ces détails généraux. Mais, quant à l'ex-voto du sixain Sainte-Foy, un procès-verbal de la Confrérie des PénitentsBlanes de Montpellier apporte des précisions intéres

santes (9). Il y est dit, à propos de la procession du 9 mars 1629: « Et de tant que, ceste année, a cauze dud. fleau de peste, on a arresté que, a chasque sixain et quartier de ville, seroict mis un tableau a ung coing de la maison la plus en veue, affin de distinguer lesd. sixains, en ceste procession, led. sieur Rebuffi (10) a mis et pozé un desd. tableaux a la maison du sieur Jean Poujol, l'un des confreres de la chappelle (11), pour le sixain Ste-Foi, lad. maison faisant coing et envizage la porte du Pilla St Gelly dud. Montpellier, auquel tableau est peint et represanté la Ste Vierge, avec un sainct Louis, roi de France, d'un costé, et sainct Roch de l'autre ».

C'est donc à sa situation en évidence près d'une entrée fréquentée de la ville qu'est dû le choix de la maison. Poujol pour recevoir le tableau du sixain; et le fait seul que la figure de saint Roch y était secondairement représentée, sans qu'on mentionne pourtant aucune tradition relative au thaumaturge, démontre bien l'inexistence au XVII° siècle de la tradition actuelle. Mais, du coup, j'estime que celle-ci se trouve ainsi expliquée dans tous ses détails.

Dans l'immeuble en question, on avait, cela est acquis, placé en 1629 un tableau où figurait saint Roch. Même à supposer celui-ci garanti par quelque vitrage, l'intempérie des saisons a dû en avoir raison assez promptement. Or les épidémies ont été encore fréquentes au XVII° siècle, notamment en 1640 (petite peste), en 1659; les menaces aussi, principalement en 1720. Des œuvres plus durables ont alors succédé au tableau : la pierre sculptée en relief, la statue renversée lors de la Révolution, toutes deux mentionnées par M. Vinas. J'ai déjà parlé du caractère archaïque de l'immeuble, certainement contemporain du Saint, comme la demeure même des Roch (12). Enfin, le banc de pierre mentionné par les auteurs peut avoir son explication dans l'existence en ce lieu d'une borne de Montpellier et Montpelliéret sur la limite arrêtée par le Roi et l'Évêque en 1263 (13). Renversée, car elle était devenue inutile dès la fusion des bourgs juridictionnellement accomplie en 1552 (14), elle a bien pu être assimilée à un banc et servir de siège aux passants. C'est par là qu'elle aura fourni sa contribution à la formation d'une tradition bien moderne (15).

Personne, je l'espère, ne m'en voudra d'avoir, après celle

du puits (16), détruit encore la légende du banc. Parce que je crois à l'existence historique du grand Saint, thaumaturge de Montpellier, parce que j'appelle de mes vœux et de mes moyens la restauration de tout le culte que lui rendirent nos pères, je ne vois pas l'avantage qu'il y aurait à laisser subsister autour de lui une parasite et malsaine végétation, capable de le déconsidérer aux yeux de la science et de la raison.

L. GUIRAUD.

1. Abbé RECLUZ, Histoire de saint Roch et de son culte; Avignon, Seguin, 1858, in-8°, p. 129.

2. Paul COFFINIÈRES, Saint Roch. Étude historique sur Montpellier au XIV siècle, etc.; Montpellier, Dumas, 1855, in-12, p. 191, note.

3. J.-F. VINAS, Vie de saint Roch et histoire de son culte; Montpellier, Seguin, 1865, in-16, t. I, p. 88, note 2.

4. Cette statue, placée en l'année 1879, porte cette inscription sur plaque de marbre blanc :

C'est ici, d'après la tradition,

Que le pauvre Roch, exténué de fatigues,
à son retour à Montpellier

s'est assis sur un banc et a été arrêté.

5. Cet immeuble, qui porte le n° 76 de la rue Aiguillerie, est desservi par un escalier mitoyen avec le 74. Il a une autre façade sur la rue Vieille-Aiguillerie.

6. Lors du nettoyage des murs extérieurs de cette maison, en 1902, par son propriétaire, M. Thomas Teule, on mit à découvert, sur la rue Aiguillerie, trois jolies fenêtres gothiques et une ouverture de même style.

7. Voir, pour la question des délimitations successives de Montpellier et Montpelliéret: L. GUIRAUD, Recherches topographiques sur Montpellier au moyen áge, pp. 3 et suivantes.

8. Mémoires inédits d'André Delort sur la ville de Montpellier au XVIIe siècle (1621-1693), édition de la Société des Bibliophiles de Montpellier, t. I, p. 62.

9. Archives des Pénitents Blancs de Montpellier, 1er reg. des délibérations, fo 77 vo.

10. Pierre Rebuffi, vicaire-général de l'évêque Pierre de Fenoillet, très dévoué à la confrérie et frère de ce Nicolas, reçu le 11 avril 1602, qui, sous-prieur en 1623, avait été assassiné sur la route de Baillargues.

11. Jean Poujol, maître chaudronnier, avait été reçu confrère le 29 décembre 1617 (Reg. des délib. des Pénitents-Blancs. Son

immeuble imposa son nom à l'ile, qui le porte encore sur le Guide de Flandio de la Combe en 1788.

12. L. GUIRAUD, Recherches topographiques sur Montpellier au moyen âge, pp. 156 et suivantes.

13. Voir note 7.

14. Petit Thalamus de Montpellier, p. 516.

15. M. l'abbé Rouquette veut bien me signaler une tradition rapportée par le général Marbot, au premier chapitre de ses Mémoires. Selon cette tradition, on voyait alors, au château de Laval de Cère,,en Corrèze, un banc de pierre sur lequel aurait eu coutume de s'asseoir saint Roch, venant visiter sa sœur, mariée à un Verdale. Entée sur une alliance possible des deux familles, influencée par le souvenir des pérégrinations du thaumaturge, cette tradition, analogue à la nôtre, d'où peut-être elle est née, doit être rangée aussi dans la flore légendaire.

16. L. GUIRAUD, Recherches topographiques sur Montpellier au moyen âge, p. 163.

Jean Plantavit de la Pause*

CHAPITRE IX

Plantavit et la Cour de France

Plantavit de la Pause, devenu évêque de Lodève, se garda bien d'oublier qu'il avait eu l'honneur d'être aumônier de la Reine-Mère, grand aumônier de sa fille, la reine d'Espagne et vicaire général du grand aumônier de France. La famille royale l'avait admis dans son intimité et comblé de faveurs. La reconnaissance lui faisait donc un devoir de lui garder une respectueuse et toute dévouée fidélité.

Il avait l'âme trop grande pour y manquer. Malgré les occupations nombreuses et si absorbantes de ses nouvelles fonctions, il se souvint des bienfaits reçus, et saisit adroitement toutes les circonstances qui pouvaient lui permettre d'en témoigner publiquement sa gratitude.

Le 4 septembre 1626, par conséquent bien peu de mois après son installation sur le siège de saint Fulcran, il ordonna une procession générale et un feu de joie sur la place Broussonnelle pour fêter le mariage de Monseigneur, frère du roi avec Mademoiselle de Montpensier.

*Note: L'étude sur Plantavit paraitra en volume prochainement. La Revue ne publiera désormais que quelques pages de ce travail, si bien documenté, dù à la plume de notre savant collaborateur.

Les chapitres VII et VIII sont déjà composés à part.

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