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L'Œuvre de la Charité

Dans la Communauté de Cesseras (1321-1789)

(Suite)

Il reste à étudier l'organisation et le fonctionnement du fief de la Charité. C'est dans les cahiers des délibérations de la communauté que nous trouvons tous les renseignements utiles, parce que tout ce qui concernait l'administration de l'œuvre était régulièrement soumis au conseil des habitants, depuis la nomination des collecteurs, jusqu'au mode de distribution des revenus.

Nous n'avons guère, nous, peuple souverain, une idée exacte de la part que prenaient, au gouvernement des affaires de la cité, nos ancêtres, nos ancêtres du moyen âge et de l'ancien régime. Convoqués plusieurs fois dans l'année « par la voix du crieur public », nos pères se réunissaient « dans la maison destinée à tenir les consels generals des habitans du lieu ». Là en présence du procureur et du lieutenant de juge, les consuls proposaient à l'assemblée, «formée de la plus grande et saiene partie des habibitans », les sujets sur lesquels elle avait à délibérer. Ce système en valait bien un autre.

Les habitants, réunis en assemblée générale, donnaient pouvoir aux consuls de faire proclamer pendant plusieurs dimanches consécutifs « l'afferme des censives du fief de la Charité ». Ils les autorisaient en même temps à passer un bail avec le collecteur, à la condition qu'il donnerait une caution suffisante. Il arriva plusieurs fois que « le plus

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disant » fut refusé comme collecteur

pour n'avoir pu donner

cette caution ni trouver des répondants.

« L'an mil six cens soixante quinze et le quinziesme jour du moys de septembre de matin, au lieu de Cesseras, et dans la maison destinée à tenir les consels Generals des habitans du dit lieu, Pardevant Mr Jean Molinier lieutenant du dit lieu, et par les S Antoine Nadal, Jean Barhasol et Laurens Caussat conseuls modernes du dit lieu, lesquels ont dict et propozé au s"..... et autres soubsignés ou marqués fesant et représentant la plus grande et saiene partie des habitans du dit lieu que...... et propozent de plus..... qu'il seroit nessaiere suivant les entienes costumes de fere les proclamations des sansives du fief noble de la charité et passer le bailh à seux qui en feront l'offre plus considérable, et à celluy qui fera la condition meilheure...., et pour la dernière des propozitions regardant la levée des sansives du fief de la Charité est donné pouvoir aux dits sieurs conseuls de fere les proclamations et passer le contract du bailh au surdisant..... >>

« L'an mil six cens septante six et le quatorziesme jour du moys de juin, au lieu de Cesseras, et dans la maison consulaire destinée à tenir les consels generals des habitans du dit lieu pardevant Jean Molinier lieutenant, et par les srs Anthoine Paule, Michel Guillemon, François Journet, conseuls modernes lesquels ont propozė..... encore il seroit important daffermer le revenu du fief de la charité..... a esté deslibéré que lesdits conseuls feront proclamer lafferme des censives du fief de la charité et en passeront contract de bailh a celuy quy fera la condion meilheure. >>

« L'an mil sept cens quarante deux et le onzième jour du moix de septembre, dans la maison consulaire du lieu de Cesseras, Pardevant les Srs Guillaume Taffanel, lieutenant, du mandement des Srs Jean Pierre Nadal, Jean Baptiste Taffanel et Jean Vidal consuls.....

.....Auxquels a esté proposé par les sieurs Jean Pierre Nadal, Baptiste Taffanel et Jean Vidal, consuls, que la présente année Ils auroint fait crier, par plusieurs dimanches consécutifs, qui voudroit prandre à faire la levée du grain dépandant du fief noble de la Charité du lieu de Cesseras, comme est porté par les reconnoissances de la ditte Charité à six cetiers grain, beau et marchant, moitié orge et moitié bled le tout mesure du dict Cesseras (1) n'avoir que se présenter pour y dire et surdire en augmentant, et que le plus offrant et dernier enchérisseur y seroit receu ; cepandant après avoir fait faire les dittes criees ne se seroit présenté que le sieur Jeaques Malafosse.....

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1. Mesure de Cesseras: le setier valait 70 lit. 62 é., la quarte ou quartière 17 lit. 65, la pugnière 4 lit. 41 c. Tableau de comparaison entre les anciens poids et mesures de l'Hérault et les nouveaux poids et mesures, par M. FORT aîné, Montpellier, chez Ricard, Thermidor, An XII.

« L'an mil sept cens cinquante sept et le vingt huit aonst, dans la maison consulaire du lieu de Cesseras, pardevant Me Guillaume Taffanel, lieutenant en la justice ordinaire du dit lieu, du mandement des S Bertrand Besitouret, Michel Fabre, Marc Pech, consuls modernes du dit lieu, et autres, lesquels dits s' consuls ont propozé qu'ayant fait proclamer, pendant plusieurs dimanches, qui voudrait affermer le fief de la Charité du dit lieu, le dernier surdisant a été Jean Fabre, a sept cestiers et demy mesure du dit lieu, scavoir trois cestiers et demy orge et trois cestiers et demy bled, le tout beau et marchant. >>

La quantité de grain que le collecteur remettait à l'œuvre de la Charité variait chaque année au hasard des enchères. En 1673, Antoine Guiraud est déclaré collecteur à neuf setiers une punière; Jacque Malafosse à six setiers une quartière, en 1741; et Marc Pech à neuf setiers, en 1783. Le collecteur ne pouvait jamais exiger des fermiers plus que les censives convenues dans les reconnaissances. Son bénéfice consistait dans la différence entre la somme des censives recouvrables et la quantité de grain qu'il s'engageait à remettre aux administrateurs de l'œuvre.

Les administrateurs ou gouverneurs de la Charité sont désignés sous le nom de « Caritadiers ».

« L'an mil six cens septante trois et le vingtcinquiesme jour du moys de decembre, jour de feste de la nativité Nre Seigneur, au lieu de Cesseras et maison destinée à tenir les consels generals des habitants du dit lieu, Pardevant Mre Jean Molinier Lieut. dud lieu, estant assemblés les srs Antoine Paule, Jean Jalbert et Guillaume Limousy, consuls modernes du dit lieu, la présente année estant assemblés les srs.....

.....A este deslibéré par les susd que la dicte deslivrance faicte sur led. Guiraud, sur le pied de neuf cestiers une punière ble, est aprouvée, donant pouvoir aux s's Paule Jalbert et Limousy consuls d'en passer contract aud Guiraud pour une année..... lequel s'obligera a remetre lad quantité de ble entre les mains des Caritadiers qui seront esleus par délibération des habitans du présent lieu pour estre emploié suivant les antiennes costumes aux pauvres du dict lieu..... »

Les consuls étaient habituellement choisis comme caritadiers. C'est en effet aux consuls que les habitants donnent « pouvoir de faire les proclamations et de passer bailh ». De plus nous lisons dans une délibération du 10 juin 1677. << Les consuls sont les patrons et les légitimes administrateurs du dict revenu de la charité »; et dans une autre du

28 août 1757 : « Le sieur Fabre (collecteur) remettra les dicts grains entre les mains des consuls. »

Les caritadiers avaient charge de distribuer les revenus de la Charité « suivant et comme il est porté par les anciennes reconnaissances ». La charité, disent les reconnaissances, « a lieu et est distribuée tous les ans dans Cesseras au jour de l'Ascension du Seigneur à ceux qui passent dans le dict lieu (1) ». Le jour de l'Ascension était donc le jour de fête de la Charité à Cesseras, comme du reste dans les autres localités qui possédaient des charités.

Nous savons que ces fêtes étaient partout l'occasion de réjouissances publiques et de joyeux amusements. A Béziers en particulier, nous disent les chroniqueurs, on promenait ce jour-là le chameau légendaire en dansant le chevalet et on offrait au peuple des spectacles. Le jour de l'Ascension était sans doute aussi un jour de fête très populaire dans la communauté de Cesseras, mais nous ignorons à quels amusements se livraient nos ancêtres. Nous savons seulement que les consuls faisaient porter solennellement à l'église le pain fait avec le blé de la Charité et qu'une fois béni par le clergé, ce pain était distribué aux

pauvres.

« L'an mil sept cens quarante deux et le onzieme jour du moix de septembre, dans la maison consulaire du lieu de Cesseras, Pardevant le s Guillaume Taffanel, Lieutenant, du mandement des Srs Jean Pierre Nadal, Jean Baptiste Taffanel et Jean Vidal consuls du dict lieu de Cesseras et les Srs.....

<< auxquels a esté proposé..... lequel grain il leur sera permis de le faire moudre, et après, de la ditte farine il en sera fait du pain béni pour estre donne et distribué..... comme a esté fait de tout temps et de coutume.....

« L'an mil sept cens cinquante sept et le vingt huit aoust..... lequel dit sieur Fabre remetra les dits grains, par tout le mois d'octobre prochain entre les mains des srs consuls pour le metre en farine et etre distribué suivant et comme est porté par les reconnaissances pour cette année seulement.....

La distribution du pain de la Charité ne se faisait pas toujours à l'église au jour de l'Ascension. Les revenus de l'œuvre appartenaient aux pauvres, tel était le principe que les habitants et les consuls surent toujours interpréter au

1. ..... Que anno quolibet fit oc dari et fieri censuevit in dieto loco in die Ascen'siónis Domini transeuntibus in dicto loco.....

mieux des intérêts de cette partie si intéressante de la population.

« L'an mil six cens septante huict et le premie jour du moys de mars, au lieu de Cesseras et dans la maison consulaire a tenir les consels generals du dict lieu, pardevant Mr Jean Molinier lieutenant et par les s' Jean Terrisse Charles Paule et Bernard Guiraud conseuls modernes dud lieu, lesquels..... et autres soubzsignes ou marques, fesant et représentant la plus grande et saiene partie des habitans dud lieu, a este propozé par lesd sr Consuls......

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Qu'acause de la necessité pressante des pauvres du lieu, quý ce trouvent sans secours acauze de mauvesses recoltes que nous avons eue au present lieu, pour pouvoir donner quelque [secours particulierement aux malades, en atendant' laumonne que les messieurs des fruicts prenans ont acoustume de fere, il seroit expediant de fere un rolle des pauvres et des malades, et leur fere distribue tous les jours, par des personnss telles et charitables, du revenu du fief de la charité du present lieu, en pain et en argent, suivant la necessité d'un chacun, et nommer un ou plusieurs pour fere led rolle et en fere la destribution aux dicts pauvres et necessiteux......

a este deslibéré que pour fere lestat et rolle des pauvres du present lieu sont deputés lesd consuls, lesquels, apres avoir dresse led estat, bailheront à fere le peain du blé quy est entre les mains du fermier du fief de la charité, et en feront la distribuon journellement, leur donnant pouvoir de faire quitance aud fermie......

La distribution du blé de la charité ne se faisait donc pas toujours « selon qu'il était porté par les anciennes coutumes ». La délibération qu'on vient de lire nous montre que les consuls et la communauté interprêtaient, au mieux des intérêts des pauvres, la volonté des fondateurs de l'œuvre, et qu'ils savaient choisir pour distribuer ses revenus le temps et le mode les plus opportuns.

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Vers le milieu du XVIIIe siècle, le blé fut distribué d'une manière tout à fait nouvelle il fut remis comme secours de semence « à tous ceux qui avaient terre propre à ensemencer ». La Charité de Cesseras pratiquait donc au XVIIIe siècle l'assistance par le travail.

« L'an mil sept cens cinquante neuf et le huitième jour du mois de juillet, dans la maison consulaire du dit Cesseras, ont esté asemblés les consuls de la communauté du dit Cesseras, quy sont M. Augustin Jamme, Guillaume Segonne et Joseph Rieu consuls modernes du dit lieu, en présence de M. le curé et autres

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