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INTRODUCTION.

I.

Origine du pouvoir temporel des évêques de Bâle.

En l'absence de documents spéciaux, il serait difficile de préciser

l'époque où commença le pouvoir temporel des évêques de Bâle : les actes manquent, les chroniques sont muettes; et, si en poursuivant la solution de cette question douteuse, on remonte exclusivement dans les annales de l'évêché au-delà du 10° siècle, on se place forcément sur le terrain des conjectures.

Depuis le milieu du 7o jusqu'à la fin du 9e siècle, nous voyons les ducs d'Alsace, puis les comtes de cette province, étendre leur autorité jusque sur l'abbaye de Moutiers-Grandval. C'est Gondonius, le premier d'entre eux connu dans l'histoire, qui assigne à St-Walbert la sombre vallée où fut bâti ce monastère; cinquante ans plus tard, les paisibles habitants de cette contrée, les Sornegauviens, comme dit la légende, sont châtiés par le farouche Adalric, sous le faux prétexte qu'ils ont été rebelles à son prédécesseur Boniface. Les comtes, ses descendants, qui fondent où dotent des monastères en Alsace, s'intéressent auprès des rois à la prospérité

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La légende de St-Germain, abbé de Moutiers-Grandval, cite trois ducs d'Alsace : Gondonius, mort vers 640; Boniface, mort vers 662; Adalricus, Cathalricus ou Cathicus, mort vers 690. Ces deux derniers sont aussi connus dans les chartes. Cette légende cite également le comte Etichon, fils du duc Adalric, mort avant 720. Voir le tome I, p. 53. - Vers 708, Ste-Odille, fille du même duc, abbesse de Hohenburg, donne par testament au monastère qu'elle régissait, le domaine d'Arlesheim avec ses dépendances, qui consistaient dans les lieux de Brunstat, Heimersdorf et Hirsingue. Tome 1. p. 61. En 728, le comte Eberard, petit-fils d'Adalric, donne à l'abbaye de Murbach, qu'il venait de fonder, Leimen, Blotzheim, Delle, et des biens à Delémont. Tome I, p. 71 et 72. En 849, à la demande du comte Luitfride III, mort en 864, l'empereur Lothaire affranchit l'abbaye de

de cette abbaye: ils lui obtiennent des priviléges, la confirmation et l'agrandissement de ses propriétés. Si, comme les actes le démontrent, la juridiction de ces seigneurs provinciaux s'étendait sur une grande partie du bassin de l'Ill, sur les rives de la Birse et de la Bersich, la ville de Bâle, l'antique cité de la Notice des Provinces, que l'écolâtre Ison, mort en 871, qualifie de simple bourg,1 n'étaitelle pas régie par les mêmes personnages?

Cependant, dès le commencement du 9e siècle, on remarque Hatton, évêque de Bâle, parmi les conseillers de Charlemagne; on le voit possédant la confiance et l'affection de ce puissant monarque, remplir une mission diplomatique à Constantinople. Dans le cours du même siècle et pendant le suivant, ses successeurs au siége épiscopal de Bâle assistent et prennent part aux délibérations des conciles de Savonières, de Tribur et d'Ingelheim, où, sans préjudice aux questions religieuses, s'élaboraient les mesures de répression contre les crimes et les délits, où se jugeaient quelquefois les querelles scandaleuses et les déréglements des princes. Nos évêques associés de cette manière aux grandes mesures d'administration temporelle, n'avaient-ils qu'une compétence exclusivement spirituelle, au chef-lieu diocésain? Charlemagne, qui avait doté plusieurs évêchés, et jeté les fondements des églises épiscopales d'Halberstadt, de Minden, de Verden, de Paderborn, de Munster, de Brême et d'Osnabruck; qui confiait souvent à des évêques, transformés en Missi dominici, le soin de rendre la justice ou de surveiller l'administration des comtes provinciaux, avait-il été peu généreux envers

Moutiers-Grandval, située dans le duché d'Alsace, de tout impôt envers le fisc. I. 108. En 866, Lothaire, roi de Lorraine, confirme les possessions de cette abbaye à la demande du comte Hugues IV, fils de Luitfride III. Tome I. 112. En 884, à la prière du comte Luitfride IV, Charles-le-Gros, confirme les possessions de cette abbaye, et en signale de nouvelles dans son diplôme. Tome I. p. 121.

< Oppidum quod Basilea dicitur. » Tome I. 118, en note.

*Baluze. Capitularia regum Francorum. Tom. I. col. 745 et 789. Les Annales de Moissac s'expriment ainsi : « Recordatus (Carolus magnus) misericordiæ suæ de pauperibus qui in regno suo erant, et justicias suas pleniter habere non poterant, noluit de infra palatio pauperiores vassos suos transmittere ad justicias faciendas propter munera, sed elegit in regno suo archiepiscopos, et episcopos, et abbates, cum ducibus et comitibus, qui jam opus non habebant super innocentes munera accipere, et ipsos misit..... ut ec

son conseiller Hatton, qu'on a vu à ses côtés rayonnant d'un si vif éclat, 1

C'est probablement cet ordre de considérations qui a motivé cette assertion, commune à plusieurs historiens, que les évêques de ce diocèse avaient reçu de Charlemagne, l'investiture de leur pouvoir temporel. Cette opinion généralement admise, n'est d'ailleurs appuyée d'aucun acte, d'aucun fait particulier; elle ne repose pas même sur le témoignage des chroniques originales, qui gardent à cet égard un silence absolu. Il n'est pas douteux qu'à cette époque reculée, plusieurs prélats jouissaient déjà de certaines prérogatives régaliennes, et l'analogie conduit naturellement à en attribuer quelques-unes aux évêques de Bâle. Mais ce sont là de simples conjectures, et sans nous arrêter à des rapprochements contestables, nous essaierons de jeter quelque jour sur cette question, au moyen du droit commun et des actes postérieurs qui nous sont parvenus.

Par une bulle datée du 15 mai 1146, le pape Eugène III confirme à Ortlieb de Froburg, évêque de Bâle, indépendamment de certaines possessions: « le droit de monnaie dans la ville et dans tout l'évêché de Bâle, tel que cette église l'a possédé dès le commencement de sa fondation jusqu'à présent, par la donation des rois et des empereurs. >> 3

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Si l'on admet les termes de cette bulle, dans leur sens propre et littéral, il en résulte que dès son institution l'église épiscopale de

clesiis, viduis, et orphanis et pauperibus et cuncto populo justitiam facerent. » Annal. Lambeciani et Moissiac. ad annum 802.

'In tali gloria, suivant le recit du moine de St-Gall. Voir le tome I, page 88. *Wurstisen dit entre autres : « Autores quidem historiæ ecclesiastica, centuria octava, Carolum Basiliensem et Wormatiensem episcopatus, anno 805 instituisse, ex Saxoniæ Chronico, ut videtur referunt. Quod si verum sit, de terrarum donationibus quas episcopi antiquo suo sub imperio tenuerunt, intelligendum esse, nemo non intelligit. » Epitome hist. Basiliensis, cap. VII. Le chronicon Saxonicum et aucune chronique antérieure au 15° siècle ne font mention du fait que signale cet auteur. 3 Voir le n° 194 du tome [er de cet ouvrage, page 296. Charlemagne avait décrété, en 805, qu'aucune monnaie ne fût frappée ailleurs que dans son palais, à moins qu'il n'en eut décidé autrement. «< Nisi fortè à nobis iterum aliter fuerit ordiuatum. » Baluze. Capit. regum Franc. I. col. 433. L'évêque de Bâle a pu jouir du bénéfice de cette restrictiou, dans l'exercice de son droit de monnaie. Les capitulaires réservent d'ailleurs les droits acquis : a Ut ecclesiæ antiquitus constitutæ nec decimâ nec alia ulla possessione priventur » Baluze. I, 504. ad annum 813.

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Bâle jouissait d'un droit régalien fort important, celui de frapper monnaie. Ce droit, qui lui avait été confirmé successivement par les rois et les empereurs, elle le tenait de la générosité de quelque prince, qui s'en était dessaisi en faveur de cette église, à une époque antérieure à l'empire de Charlemagne. En effet, sans faire remonter l'exercice de ce droit à Justinien, évêque des Rauraques pendant la période gallo-romaine; sans l'attribuer non plus à Ragnachaire, ni à Walan dont l'existence, comme évêques de Bâle, n'est établie que par de simples mentions de chroniqueurs ou de catalogues, il n'est guère possible de prétérir l'évêque Baldebert, déjà cité en 751; témoin de la charte confirmative de la fondation de l'abbaye de Schwartzach, émanée de Heddon, évêque de Strasbourg en 758 8; signataire des actes du concile d'Attigny, en 765; enfin témoin du testament de Remi, évêque de Strasbourg, en 778. Ainsi, l'église de Bâle aurait joui du droit de monnaie, depuis le milieu du 8° siècle. Il est remarquable, que suivant les termes de la bulle précitée, nos évêques avaient la faculté d'exercer ce droit non seulement dans la ville de Bâle, mais dans tout leur évêché, c'est-à-dire dans le territoire qui reconnaissait leur juridiction spirituelle; plus tard ils l'exercèrent encore dans des contrées situées en dehors de leur diocèse, mais soumises à leur pouvoir temporel. Aussi voyons-nous, dans les actes du 13° siècle, le denier de Bâle former en quelque sorte l'unité monétaire de l'argent usuel, depuis Bienne jusqu'aux limites méridionales de l'ancien évêché de Strasbourg, un peu endeçà de Schelestadt. Le 1er juin 1149, Conrad III confirma ce droit au même évêque Ortlieb de Froburg, en lui donnant l'autorisation de frapper monnaie avec une effigie particulière, qu'il défendit d'imiter dans tout l'évêché, sous peine d'une amende de cent livres d'or, dont la moitié était réversible à l'église de Bâle.2

Voir le tome I, page 77. Tome I, page 313. Ce privilége n'annulait point celui qui aurait été donné à d'autres personnes; il leur interdisait seulement l'emploi de la même effigie. Ainsi l'on connaît une monnaie des comtes de Ferrette, dont les terres étaient pour la plupart situées dans le diocèse de Bâle. En 1225, le comte de Ferrette, Frédéric II, partagea son droit de battre monnaie, à la marque de l'empire, avec l'abbaye de Lucelle. Tome 1, page 505. Nous ignorons si ce monastère a jamais fait usage de ce

Maintenant, le droit de monnaie fut-il la première prérogative temporelle des évêques de Bâle; il serait peu rationel de le supposer. Par sa nature et par ses effets, ce droit ne pouvait être qu'une faveur spéciale, ajoutée comme moyen de revenus, à certaines prérogatives régaliennes que nos évêques exerçaient primitivement dans des limites territoriales assez étroites. On ne rencontre ni dans les chroniques, ni dans les chartes aucun fait particulier, qui accuse la présence, dans la ville de Bâle, d'une autorité temporelle exercée par un autre personnage, parallèlement à l'autorité épiscopale; les environs du chef-lieu diocésain sont enveloppés successivement dans des comtés différents, mais Bâle ne participe jamais à ce changement de mains. Ne peut-on pas en conclure que le pouvoir temporel des évêques de Bâle proprement dits, exercé par délégation au nom des rois et des empereurs, remonte à l'origine de leur autorité spirituelle.

S'il est impossible de justifier cette conclusion par le témoignage de documents spéciaux, on peut cependant la déduire des attributions particulières affectées aux évêques, avant le 10° siècle. Le capitulaire de Pepin-le-Bref, de l'an 755, ordonne que chaque cité ait un évêque.1 Tout évêque a le pouvoir de corriger et de punir dans sa paroisse tant les clercs que les laïques, conformément aux dispositions canoniques. L'article 84 du 7e livre des Capitulaires confère aux évêques l'administration temporelle de leurs paroisses respectives.s

droit. La ville de Colmar, située dans le diocèse de Bâle, obtint le droit de frapper monnaie en 1376; Thann, en 1418; on connaît une monnaie de l'abbaye de Murbach, de 1624, et de 1632. Mulhouse avait ses monnaies particulières dans les 17e et 18° siècles.

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Baluze. Capitularia regum Francorum. Tome I, col. 169. «I. Ut episcopi debeant per singulas civitates esse. »> 2 Idem. III. Ut unusquisque episcoporum potestatem habeat in sua parochia, tam de clero quam de regularibus vel secularibus ad corrigendum et emendandum, secundum ordinem canonicum spiritualem, ut sic vivant qualiter Deo placere possint. Baluze. I, col. 1041, « Ut unusquisque episcopus habeat suæ parochia potestatem, et regat juxta reverentiam singulis competentem, et providentiam gerat omnis possessionis, quæ sub ejus est potestate. » Le 16 article du capitulaire de Louis-le-Débonnaire, en 818, décerne aussi aux évêques l'administration du temporel de leurs cathédrales : « Ut episcopi potestatem habeant res ecclesiasticas providere, regere, et gubernare atque dispensare secundum canonum auctoritatem. Volumus ut et laïci in eorum ministerio obediant episcopis ad regendas ecclesias Dei, viduas et orphanos defen

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