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tesse, et les choses auraient tourné tout autrement. Mon Dieu, la plus belle et la meilleure des comtesses, m'écriai-je, je ne sais pas où j'ai la tête. Tout cela me passe. Ainsi donc, ce monsieur Léonard?... - Ah oui, m'interrompit-elle, c'est ainsi qu'il s'appelait en Italie : c'est à lui qu'appartiennent les propriétés là-bas, et il va épouser la fille de notre comtesse, la belle Flora. Mais pourquoi m'appelles-tu toujours comtesse? » Je la regardai avec de grands yeux. « Je ne suis pas comtesse du tout, continua-t-elle. Madame la comtesse m'a recueillie dans son château quand le portier, mon oncle, m'eut amenée ici toute petite fille et pauvre orpheline. »

Eh bien, à ces mots mon cœur se sentit comme allégé d'un grand poids. « Que Dieu bénisse le portier! m'écriai-je avec transport. Quel bonheur qu'il soit notre oncle! J'ai toujours fait grand cas de lui. Il t'est aussi bien attaché, répliqua-t-elle. Mais il dit toujours que tu devrais avoir un genre plus distingué. Maintenant, il faudra t'habiller d'une manière plus élégante. Oh certes, m'écriai-je gaiement; j'aurai un frac anglais, un chapeau de paille, un large pantalon et des éperons. Et de suite, après la noce, nous partons pour l'Italie, pour Rome où jouent les belles pièces d'eau, et nous emmenons les étudiants de Prague et le portier. »

Elle sourit tranquillement, et me regarda d'un air content et bienheureux; de loin la musique retentissait toujours jusqu'à nous; des fusées lancées du château passaient par-dessus le jardin, dans le silence de la nuit, et on entendait murmurer le Danube; et tout, tout était bien, tout à fait bien!

(Traduit de l'allemand de J. D'EICHENDORFF.)

LE PARSISME,

D'APRÈS LES TRAVAUX ALLEMANDS MODERNES'.

DEUXIÈME ARTICLE

LE PARSISME ANTIQUE.

La tradition parse et l'antiquité classique s'accordent à rapporter à Zoroastre l'origine de la religion des Parses 2. Mais quand on veut déterminer l'âge et la patrie de ce célèbre personnage, on se trouve en présence des assertions les plus diverses. La tradition parse n'a sur ces deux faits que des souvenirs vagues dont il faut chercher péniblement le sens historique, et l'antiquité classique ne donne que des indications contradictoires. Aristote, Eudoxe et Hermippe font vivre Zoroastre cinq mille ans avant la guerre de Troie; Xanthus le Lydien, cinq ou six cents ans avant Xerxès; Ammien Marcellin, du temps de Darius, fils d'Hystaspes. Cette dernière opinion, qui ne mériterait pas même l'honneur d'être mentionnée, si elle n'avait été l'objet de longues discussions et si elle n'avait trop souvent égaré les recherches, est le résultat de la confusion de deux personnages qui vécurent à des siècles de distance et qui n'eurent jamais rien de commun que le nom. C'est sur cette simple identité de nom qu'on s'appuya pour voir dans Hystaspes, père de Darius, Vistaçpa, dont il est parlé dans le Yaçna

1 Voir la livraison d'août 1859.

2 Zarathustra, dans l'ancienne langue de l'Avesta, et Zartousch et Zerdouscht dans le pehlvi et le parsi.

* Le Vistacpa du Yaçna est le Gustaçp de la tradition parse, et l'Hystaspes des Grecs.

comme d'un puissant ami de Zoroastre, et pour faire vivre celui-ci vers le commencement du cinquième siècle avant l'ère chrétienne. Ce système frivole, loin d'expliquer les difficultés que présente l'histoire du fondateur du mazdéisme, en souleva une foule d'autres et finit par envelopper d'une telle obscurité un sujet déjà peu clair par lui-même, qu'on ne sut se tirer d'embarras qu'en supposant qu'il avait existé deux ou trois Zoroastres différents.

La question est aujourd'hui résolue. Dans la généalogie de Darius, donnée par les inscriptions cunéiformes de Béhistoun et d'Artaxerxès II, le père de ce roi est mentionné comme fils d'Arshâma1, et cette indication s'accorde avec le récit d'Hérodote, qui lui donne Arsame pour père 2. On sait d'un autre côté par un passage du Yescht' que le Vistaçpa de l'Avesta est le fils d'Aurvaçaçpa, personnage qui est connu dans la tradition parse sous le nom de Lahuraçp ou Lohraçp “.

Il n'était pas besoin cependant de l'indication fournie par les inscriptions cunéiformes pour se convaincre que Zoroastre a vécu dans un temps de beaucoup antérieur au règne de Darius. Tandis que l'organisation politique que ce prince donna à son vaste empire suppose nécessairement un état social assis déjà sur des bases bien fixées, les hommes auxquels s'adresse Zoroastre ne s'élèvent pas au-dessus de l'enfance de la société. Les mœurs sont grossières, les arts nécessaires à la vie presque inconnus. Le législateur est obligé de défendre à ceux qui se rangent sous ses lois de manger la chair des bêtes mortes de maladie. On ne trouve pas parmi eux de traces ni d'industrie ni de commerce. On ne connaissait pas l'usage des monnaies. Les acquisitions se faisaient par des échanges, et les services rendus se rémunéraient par le don de bestiaux. La vie sédentaire de l'agriculteur ne l'avait pas encore décidément emporté sur les goûts vagabonds du nomade. Il n'existait pas encore de villes; il n'en est pas fait mention du moins dans l'Avesta, qui parle seulement de villages ou d'agglomérations de maisons. Le peuple au milieu duquel fut prêché le mazdéisme était divisé en clans, à la tête de chacun desquels se trouvait un chef. Vistacpa, l'ami et le soutien de Zoroastre, était un de ces chefs, et, à ce qu'il paraît, un des plus puissants. D'ailleurs le pays était encore désert et peu sûr. On pouvait aller loin sans rencontrer un homme.

1 Journal asiatique, 1851, t. I, p 258 et 264.

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Hérodote, VII, 10.

3 Burnouf, Comment. sur le Yaçna, p. 442.

Spiegel, Avesta, t. I, p. 43.

Vendidad, farg. vII, 106-117; IX, 147-155. Spiegel, Avesta, t. I, p. 290 et 291.

Mais les loups étaient nombreux : ils erraient autour des habitations; la vigilance des chiens pouvait seule préserver les troupeaux de leurs fréquentes attaques. Le seul des arts libéraux dont parle l'Avesta est l'art de guérir; la science des hommes qui le pratiquaient se bornait à des opérations chirurgicales. Pour les maladies intérieures, on ne connaissait d'autres remèdes que les prières et les formules magiques 2. Les médecins de l'époque de Zoroastre ne différaient donc en rien de ceux qu'on rencontre encore aujourd'hui au sein des peuplades placées aux degrés inférieurs de l'échelle sociale.

Ce tableau, qui nous représente une société à peine naissante, tout au plus en voie de formation, ne saurait convenir à l'époque de Darius, quand les Perses étaient établis en vainqueurs au milieu de peuples policés et célèbres par leurs monuments grandioses, leurs villes d'une immense étendue, leurs grands travaux de canalisation et d'irrigation. Il ne peut pas mieux convenir, mais pour d'autres raisons, aux anciens Perses sur lesquels régnaient le père et l'aïeul de Cyrus. Leur état social n'est pas celui que suppose l'Avesta. L'agriculture ne semble pas avoir eu parmi eux l'importance que lui accorde le Vendidad; ceux qui se livrent à la culture des terres ne forment pas même la masse de la nation. Des dix tribus qui la composent, trois seulement sont agricoles. Les quatre dernières se composent de nomades, c'est-àdire de familles menant un genre de vie que la législation mazdéenne considère comme le fait d'une race grossière et impie, et dont elle ne parle qu'avec mépris et horreur. Les nobles, les guerriers, forment les trois autres tribus et l'emportent sur tous les autres membres de la nation. Il est bien vrai que l'Avesta nomme le guerrier entre le prêtre et l'agriculteur, et semble par cela même reconnaître en un certain sens sa supériorité sur celui-ci; mais il ne parle jamais de ses priviléges; il le nomme, rien de plus. Tout l'intérêt se concentre sur l'agriculteur. La législation ne semble pas avoir eu d'autre but que de créer ou du moins de favoriser l'agriculture. Elle n'a donc pas pris naissance au milieu d'une nation guerrière, telle qu'étaient les Perses antérieurement à Cyrus. Elle suppose un état social plus simple, plus voisin des âges primitifs. Elle remonte certainement à une époque où la Perse n'existait pas encore sous ce nom et était même inconnue aux hommes qui suivaient la loi de Zoroastre. Ce pays ne figure pas en effet dans les seize contrées nommées dans le premier fargard du Ven

Vendidad, farg. vii, 94 et suiv.

1 Ibid., farg. vi, 118-120.

TOME VIII.

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didad, et il est probable que le mazdéisme existait depuis longtemps, quand quelques-unes des tribus qui l'avaient accepté, portant leurs pas vers le sud-ouest, arrivèrent dans ces lieux et s'y établirent. Peutêtre ces tribus se composaient principalement de guerriers; peut-être aussi l'émigration développa chez elles les vertus guerrières; mais une chose paraît certaine, c'est qu'elles emportèrent avec elles, en quittant la commune patrie, la religion dont la formation se rattache au nom de Zoroastre.

M. Spiegel a prouvé par le témoignage des écrivains grecs et par celui des inscriptions cunéiformes l'analogie de la religion des Perses sous les Achéménides avec celle qu'enseigne l'Avesta. Le tableau qu'en trace Hérodote et les traits qu'on peut en recueillir dans les passages de Théopompe, qui nous ont été conservés par Plutarque et par Diogène de Laerte, s'accordent très-bien avec le Vendidad, le Yaçna et le Vispered. Il en est de même des traits contenus dans les inscriptions cunéiformes. Le dieu suprême, que l'Avesta désigne sous la dénomination d'Ahoura-Mazda ou simplement sous celle d'Ahoura, y est mentionné sous le nom d'Auramazda et sous celui d'Aura. Darius l'invoque toujours comme sa divinité protectrice, en lui associant toutefois les dieux particuliers de sa propre tribu. « Qu'Auramazda me protége, avec les dieux du clan! » c'est là une formule qui revient souvent dans les inscriptions de ce roi. Dans celles d'Artaxerxès II et d'Artaxerxès III, on trouve les noms d'Anahita et de Mithra, êtres divins qui appartiennent aussi au cycle mythologique de l'Avesta. Le mot qui désigne l'ensemble des dieux ou des êtres divins est encore le même dans les livres sacrés et dans les inscriptions cunéiformes; c'est Bagha dans les uns et Baga dans les autres. Agra-Mainyous (Ahriman) n'est pas mentionné, il est vrai, dans celles-ci; mais des inscriptions royales ne sont pas un enseignement religieux, on ne peut pas s'attendre à y voir dans tous ses détails l'ensemble de la mythologie mazdéenne. Il y est cependant parlé de mauvais esprits appelés Draugas, qui semblent bien être les Droudjas ou Droukhs de l'Avesta, et de la cohorte des démons désignée sous le nom de Haina, mot qui correspond au Haena du Yaçna 2.

En présence de ces ressemblances, on ne peut conserver le moindre doute sur l'identité de la religion des Achéménides avec celle qui est contenue dans l'Avesta. Cette religion, les Perses l'avaient apportée

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2 Yaçna, IX, 63; LXVII, 40. Spiegel, Avesta, t. II, p. 215. Niebuhr, Geschichte Assur's und Babel's, p. 510.

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