liég. arinne, anc. liég. eraine (« araine, areine >>) Par ce terme très ancien et très important de l'exploitation houillère, on désigne, au pays de Liège, «< une galerie d'écoulement ayant son orifice (appelé « œil ») au flanc d'une colline ou dans le fond d'une vallée, et pratiquée pour assécher les travaux des mines ». C'est à peu près la définition de Littré, qui accueille dans son Supplément notre mot liégeois. Deux étymologies ont été proposées. Pour Morand (1), c'est peutêtre une via arenata ou ex arena facta « une voie faite à ciment et à pierre >>> ; mais le latin arena (« sable ») n'a jamais eu de vie dans notre région (2) et cette fantaisie n'a guère trouvé d'écho. La proposition de G., I 25, qui tire arêne de l'all. rinne, rinnen (rigole, couler) est d'allure plus sérieuse; aussi divers auteurs l'ont reproduite sans objection, notamment Bormans, Littré, Scheler et même Diez (3). Par malheur cette hypothèse n'explique pas correctement l'initiale de eraine, araine (4): il faut donc tenter une autre analyse. C'est en 1278 qu'on relève erainne, erenne pour la première fois dans les archives liégeoises (5). Au XIVe siècle, ce type avec e initial, eraine, erene, eraisne, erraine, heraine, herraine est de beaucoup le plus commun; haraine apparaît dès 1314 (6), et l'a initial, rare au début, se généralise dans les siècles suivants. Le règlement de houillerie que Jean de Stavelot insère dans sa Chronique (pp.227-233), contient 19 fois heraine et une seule fois haaraine (dans la marge). On en déduira que èraine est primitif; le changement de èr- en ar- à la protonique initiale ne manque d'ailleurs pas d'exemples (7). (1) Art d'exploiter les mines, 2e éd., Neuchatel, 1780. (2) Les auteurs liégeois qui, dans les derniers siècles, ont écrit en latin sur cette matière désignent les araines par le mot arenae, mais ce fait est évidemment sans valeur. (3) Bormans, Voc. des houilleurs; Littré, Suppl., AREINE; Scheler, Gloss. de la Geste de Liege, ERAINE; Diez, p. 670. (1) Pour Scheler, il s'agit d'une simple prosthèse. Pour l'érudit archiviste liégeois Th. Gobert (Eaux et fontaines à Liège, p. 36), «c'est le préfixe e marquant idée d'extraction » ; autant dire que le mot serait de formation savante ou française. (5) Henaux, La houillerie du pays de Liège, 2e éd., 1861, p. 112. (") Gobert, l. c., p. 369. L'initiale h est purement ornementale, comme il est arrivé fréquemment en français dès le xe siècle ; cf. Brunot, Hist. de la langue fr., I, 498. La graphie areine, qui paraît être officielle aujourd'hui, est relativement récente ; il faudrait en revenir à la désinence première -aine, qui, d'après moi, est étymologique. (7) Voyez ci-après l'article tèroûle. Notre mot a formé le dérivé ernier, arnier, arenier, constructeur ou propriétaire de l'araine. On trouve aussi le diminutif Herenalle en 1342 (Gobert, l. c., p. 249). L'étymologie par l'all. rinne « rigole» rentre, à mes yeux, dans la catégorie de celles qui sont dues à cette « obsession sémantique » dont je parle à l'article beûr. De ce que l'araine, depuis que les textes en font mention, servit surtout à démerger les mines noyées et à doter Liège d'eau alimentaire, on a cru que ce vocable deyait comporter l'idée d'écoulement. Rien de moins certain cependant, si l'on se reporte à la manière dont furent entrepris les premiers travaux d'exploitation houillère. A l'origine, on dut fouiller le sol aux endroits où la veine affleurait. Sur les collines, on opérait par tranchées à ciel ouvert, en remuant le sol en tous points ; quand la couche plongeait vers la profondeur, on établissait une galerie qui descendait suivant la pente; mais les éboulements et surtout l'afflux des eaux entravèrent bientôt les travaux. D'autre part et sans doute simultanément sur le flane des collines, on exploitait aussi les affleurements; on y pratiquait des « baumes », des « dilatements » étendus et, en suivant la veine, des « voies de niveau » auxquelles on donnait une pente ascensionnelle très faible, permettant l'élimination des eaux de suintement; ces voies finirent par rencontrer les premiers travaux entrepris au sommet des collines et amenèrent dans la vallée les eaux qui les noyaient. Telle est l'origine des araines (1). Or, je pense que, dès l'origine, c'est-à-dire avant même que l'on eût, par ce moyen fortuit, démergé les premiers travaux inondés, araine a désigné la voie ou galerie de niveau. Dans la suite, cette particularité si importante aura primé aux yeux de tous. Lorsque plus tard, éclairé par l'expérience, on pratiqua dans la roche des galeries qui devaient uniquement servir à l'asséchement des travaux miniers, on réserva à ces galeries le nom d'araines ; puis, le nom a pu même passer, par analogie, aux conduites d'eau qui, d'après Henaux (p. 44), alimentaient les fontaines publiques de Liège bien longtemps avant le xe siècle. Cela étant, je crois que eraine dérive de l'anc. fr. erre « chemin, route, voie », à l'aide du suffixe -aine, qui a fait dans les patois, où l'on prononce d'ordinaire -ainne, une fortune plus considérable qu'en français(2). (1) Résumé des pages 293-6 du t. II (nouvelle série) des Mém. de la Soc. d'Emulation, contenant l'Historique de l'exploitation de la houille dans le pays de Liège, par R. Malherbe. Voyez aussi Gobert, l. c., p. 35. (2) Le fr. erre vient du latin iter « chemin »; voy. le Dict. gén., ainsi que God. qui cite les formes ere, herre, arre, harre. De là, en ancien français, errer « cheminer », chemin errant « grand chemin ». — Pour l'importance du suff. -aine dans les dialectes, il suffit de citer le w. rólinne (Ciney) « ornière », lès créchinnes (Alle-sur-Semois) L'expression «une (voie) èraine» aurait signifié primitivement «< une voie par où on va (de niveau) », une galerie horizontale ou de pente ascensionnelle très faible. Il me reste à signaler l'emploi que Jean d'Outremeuse a fait de notre mot dans sa Geste de Liege: eraine figure dans neuf passages qu'on trouvera reproduits dans le Glossaire de Scheler; il est chaque fois à la rime et presque partout au sens métaphorique de « source, origine ». L'éditeur Bormans l'identifie avec orine (origine), mais Scheler y voit avec raison le w. arêne « canal d'écoulement ». Pour la question d'étymologie que j'ai tâché de résoudre, ces textes me paraissent négligeables : depuis longtemps, au xive siècle, le sens premier avait fait place à l'acception spéciale que le mot possède encore aujourd'hui. Ajoutons enfin que le liégeois arinne a passé dans certaines régions voisines il signifie « canal d'égoût » à Vielsalm; « aqueduc souterrain >> à Lesves-lez-Namur ; « drain dans un champ » à Solières et à Hotton, de même à Melreux où l'on dit èréne. Il est plus intéressant de constater qu'au charbonnage de Gives-lez-Andenne, outre le sens de « grande voie qui commence au jour », arinne a le sens général de « galerie de mine ». liég. atîleûre G., II x, cite sans explication l'expression archaïque rimète èn atîleûre « remettre en ordre, en bon état ». Le subst. atîleûre est altéré, par dissimilation, de atîreûre; à Malmedy: atîrore « apprêt, assortiment ; parure, accoutrement » (Villers, 1793). Le verbe atirer, qui existe encore à Bra, à Stavelot et aux environs de Malmedy, signifie, d'après Villers : « apprêter, assortir, parer, orner, accoutrer ». L'anc. fr. atirer a la même signification ; il se rattache à tire, s. f., « ordre, rang ; suite, file, rangée; sorte, espèce, provenance » (Godefroy), en wallon tîre « espèce, sorte, race », qui vient du moyen bas all. tîre: sorte, manière, qualité (1). [Z. für franz. Spr. und Litt., 1909, t. xxxiv, p. 155.] <adénites de la croissance », ruvièrsinne (Stavelot) « versant d'une colline », doguinne (Verviers) « choc, heurt » ; une gotterinne apparence d'awes (en 1556; Bormans, Voc. houill., CÔPER) « une apparence de gouttes d'eau qui tombent » ; al râyinne dès crompires (Wardin) « à l'arrachage des pommes de terre » ; le picard couvraine temps des semailles »; en Ard. franç., le mouzonnais fauchainne « fauchaison », versainne « jachère », etc. (1) Cf. G., II 432; Falk-Torp, SIR. rouchi avèrlu Avèrlu « résolu, guilleret, sémillant, vif, alerte, turbulent, étourdi, etc. » est très usité dans le Hainaut, depuis Couvin jusqu'à Braine-leComte. Le Glossaire étymologique montois de Sigart ne trouve à comparer que l'ancien français averlant « lourd, grossier », rapprochement bien malheureux, car un lourdaud est tout le contraire d'un avèrlu. Pour ma part, j'y vois une altération de l'ancien français reveleus « disposé à se rebeller » (anc. franç. reveler = latin rebellare); d'où : « impétueux, vif, alerte, fringant ». Le picard a conservé erveleux. Notre avèrlu suppose une forme antérieure *arvèlu : le préfixe re- devient ar- en montois (arcévoir, recevoir, arléver, relever); la métathèse de r est un phénomène des plus fréquents, surtout en contact avec une autre liquide; enfin, il y a changement de suffixe (-u au lieu de -eus; comparez liég. pèneûs = nam. pènu, penaud, triste). liég. aw'hê, nam. aw'jale G., I 36, note sans explication le liég. awehai « fretin, alevin », qui se dit aussi de la jeune anguille très mince ou de la petite lamproie. On y reconnaît sans peine un type acucellum (diminutif de acus aiguille »), appliqué par métaphore aux petits poissons ténus comme une aiguille, puis, par extension, à la petite anguille (1). Le même nom, à Glons-sur-Geer, désigne une plante, l'Aegopodium podagraria L., égopode ou herbe aux goutteux, qui croît dans les lieux humides. Au masculin aw'hé répond, en namurois, le féminin aw'jale « petite anguille » (2), qui présente toute une série de formes curieuses, propres à montrer comment les mots s'altèrent dans le langage du peuple : 1. awaljale (3), où l'influence du suffixe a amené l'insertion d'une syllabe parasite dans le corps du mot; 2. aw'djale, avec épaississement de j en dj (4); d'où, par assimilation, aw'djawe, lequel, à son tour se dissimile en ab'djawe, puis en ab'djouwe; - 3. inw'jale (M. Boigelot); inw`djale ou inw'djawe (M. L. Loiseau), qui ont subi l'influence du nam. inwîye «< anguille ». (1) A Visé, elle s'appelle cowète (proprement « petite queue, cordonnet »). (2) BD 1910, p. 9. Un lieu dit de Wavre, la ferme de Lauzelle, se dit en w. li cinse di Law'jale, qu'il faut peut-être écrire l'aw'jale. (3) Dict. nam. de F. Delfosse, ms. de 1850 ; voy. BSW 45, p. 345. (4) Comp. qui ď'djoz? (Ciney) « que dites-vous ? » à côté du nam. qui ď'joz? (BD 1913, p. 117). Les formes aw'djawe et ab'djawe sont signalées à Andenne (BD 1909, p. 29); ab'djouwe est dans le feuilleton de Li Ban-Cloque, no du 4 juin 1911. liég. åyehê Ce mot ne subsiste que comme nom de lieu aux environs de Liège, à Jupille notamment et à Herstal, où il désigne une place publique, un terrain communal, une aisance : c'est en somme un synonyme de åh'mince (anc. fr. aisemence) et de wèrihè (1). La Toponymie de Jupille lui consacre un copieux article, plein de citations d'archives (BSW 49, p. 226). On y relève : voye de Laiyehea (1452), en Leyheal (1492), en Layhay (1498). Le mot s'est francisé en Laixheau, devenu aussi nom de famille. Bien que, dans tous les textes, l'article défini se soit soudé au substantif, il faut analyser l'åyehê, comme Lille (= l'île), la rue Lulay (= l'ûlê, l'îlot) à Liège, etc. La désinence est celle des diminutifs oûhê (*aucellum: oiseau), wahê (vascellum: vaisseau). Elle est ici précédée d'un e muet ou, plus exactement, d'une protonique féminine, comme dans pan❜hê (*panicellum, petit pain), cwèn'hê (*cornicellum, bout de corne servant d'éteignoir ou de cornet à boudin), cot'hê (*corticellum, petit courtil), dam'hê (dominicellum damoiseau), aw'hê (* acucellum), voy. cet article. Mais où trouver le radical de dyehê? Il y a quelques années (BD 1910, p. 34), j'ai proposé le latin a(d)jutum « aide » : des textes parisiens du XIIIe siècle cités par Du Cange, portent en effet adjotum, ajoudum, au sens de terrain, terre. On pouvait cependant objecter qu'il n'y a pas trace, chez nous, d'un * ayou roman, employé comme substantif masculin au sens de «<terrain d'aisance » (2). D'autre part, le latin adjacens « annexe » a donné le fr. aise, liég.åhe, de même que le pluriel adjacentia a donné le fr. aisance, liég. *ahince, devenu ahèce sous l'influence du verbe ahècî (accommoder). J'estime à présent plus plausible l'hypothèse d'un diminutif qui se rattacherait à cette dernière famille. Le type schématique serait donc adjace(ns) + cellum, réduit en *ace-cellum. Comparez fay'hê (1. d. de Mormont lez Erezée), diminutif de fayi (fagetum hêtraie), comme le montre la forme făyîjê (1. d. de Mogimont lez Ucimont). * liég. bå On ne doit pas confondre, en liégeois, bå avec bô (voy. cet article); de plus, sous chacun de ces chefs, il faut distinguer deux mots différents. (1) On pourrait aussi reconnaître notre l'ayehê dans le nam. lauja « endroit dans un bois où il y a de l'herbe », qui ne m'est connu que par G., II 16. (2) L'ancien wallon n'a que le féminin aiowe, aiouwe (aide, action d'aider). |