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A Blegny-Trembleur, un trèp'sé (-é hervien in liég.), c'est une languette de terrain, large d'environ 0m50, qu'on doit laisser inculte le long d'une haie bordant un champ ou un chemin. Il y a là un emploi particulier de trèp'sin au sens primitif de : « traverse, bord transversal ». On expliquera de même ol trèp'sinne (lieu dit de Bovigny) par : « en la traversaine ». Godefroy donne des exemples de traversaine comme nom de lieu.

W. trèssèrin

G., II 447, note sans explication : « trèserin, débâcle de glaçons ». Forir écrit : « trècèrin, débâcle des glaces; tapage, vacarme ». De mon côté, j'ai entendu à Jupille trèssèrin, avec cette définition : « descente compacte des glaces qui couvrent toute la surface de la Meuse » (1). On y reconnaît sans peine un dérivé de trèssèrer (très + serrer), formé à l'aide du suffixe -in qui indique le résultat de l'action (2). Ce verbe, aujourd'hui inusité, se rencontre dans un passage de la Geste de Liege, cité par Godefroy : « Muese et altres riviere si forment tresserat... » (3) ; le simple sèrer s'emploie encore avec le même sens : l'êwe sizène, èle va sèrer (voyez ci-dessus l'article sizin).

De ce côté donc, nulle difficulté. Il n'en va pas de même au point de vue sémantique. Le trèssèrin, étymologiquement, doit désigner la fermeture complète du fleuve, l'embâcle, ce qui paraît contredire la définition traditionnelle. En fait, l'embâcle est déterminé par une descente compacte de glaçons qui peuvent s'amasser et se souder de façon à interrompre la navigation. Il est donc naturel que le sens propre se soit étendu à cette circonstance déterminante. Comparez sèra (= anc. fr. serrail) qui, dans le dialecte de Givet, signifie : « amas de glaçons qui, lors d'une débâcle, arrête les eaux d'un fleuve ou d'une rivière »> (4).

(1) Un détail intéressant : les lorains (Huy) ou lorainnes (Jupille), de couleur verdâtre, descendent en dernier lieu ; ces glaçons viennent de Lorraine et annoncent la fin du trèssèrin.

(2) La forme syncopée très'rin, que paraît indiquer G., serait la réduction normale du type primitif trèssèrin. Sur le suffixe -in, voyez l'article butin, p. 41, n. 2.

(3) Scheler, Gloss. phil. de la Geste, dit à ce propos : « tresserer, se congeler ; il se peut que le v. soit à la forme impersonnelle et Muese, etc., au cas régime ». L'exemple moderne l'êwe va sèrer (la rivière va geler) montre qu'il faut plutôt comprendre : « La Meuse et, à plus forte raison, les autres rivières, si fortement gela dans toute sa masse... ». Toutefois, dans le dépt du Doubs, on dit impersonnellement: il serre ou il resserre (il gèle), il desserre (il dégèle).

(4) J. Waslet, Vocab. wallon-français (dialecte givétois).

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w. trèvint, trèvaye

Le liég. trèvint signifie « époque, temps » : è trèvint dè Noyé ; à minme trèvint, so l' trèvint, « sur ces entrefaites ». Le mot existe de Malmedy à Namur. G., II 448, qui écrit trèvin, donne les formes plus rares trivin, truvin. Il conjecture que ce terme vient de trève, anc. fr. trive, triuve, et compare trèvaye (entretemps, subst.), qui est seulement dans la 2e éd. de Remacle. A mon sens, il faut écrire trèvint et invoquer le lat. interventum au sens de « espace de temps entre deux actions »; comp. covint « couvent », lès-avints «l'Avent ». Pour l'aphérèse intrè trè, comp. trèvèyî « entrevoir » ; malm. trèdovri « entr'ouvrir »; nam. trè-oyu « entr'ouïr ». L'anc. fr. connaît entrevenir (survenir), entrevenue (chose qui survient). Le préfixe trè-, tri- pourrait encore représenter le lat. trans-, comme dans trèbouhî, trècôper, triviè, d'autant plus que l'anc. fr. possède aussi tresvenir (venir, arriver). Il est parfois malaisé de distinguer si trè- vient de inter ou de trans. Ce qui tranche ici la question en faveur de inter, c'est la forme truvint et surtout celle qui a cours à Viesville (Hainaut) : su ç'n-intrèfin la, su cès-intrèfins la <«< sur ces entrefaites », où -vint a subi l'influence du subst. fin.

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Quant à trèvaye, les conjectures que Scheler émet dans sa note (ap. G., II 448) sont mal fondées. Il est plus heureux (ib., II xxx1) quand il pense au fr. intervalle. En effet, la série *intrèvale, *trèvale. trèvaye n'a rien que de régulier; comp. le malm. a cavale, verv. a cavaye << à califourchon » ; le liég.-verv. pèrcaye « percale » (Lobet, Forir); le montois carnévaye « carnaval » ; etc.

[Mélanges Kurth (1908), 11 325; remanié.]

liég.-nam. trin-bèrlin

G., II 441, enregistre simplement le namurois «trainberlain : tintamarre ». Le mot est connu ailleurs : j'ai noté à Stavelot tin-burlin << tapage» (tin pour trin par dissimilation) et à Liège : miner on trinbèrlin d' tos lès diâles. De son côté, Forir donne le liégeois trinbèrlin << trantran, cours ordinaire de certaines affaires ». Scheler (ap. G. II 440, n. 2) paraît rapporter notre mot au fr. tremblement ; mais, en réalité, il faut écrire trin-berlin et y voir une expression composée de train et d'un autre substantif que nos dictionnaires ignorent : bèrlin, burlin, forme wallonne du fr. brelan, anc. fr. brelenc, berlenc (1). Les deux acceptions de trin-bèrlin 'expliquent par le double sens de train (allure; bruit) et àe brelan (e pece de jeu ; tr pot). La phrase de Forir:

(1) La forme birlan « brelan, maison de jeu » (Forir) est du français wallonisé.

i k'noh li trinberlin « il connaît le trantran, la routine de telle affaire >> a signifié d'abord : « il connaît le train [du jeu appelé] brelan ». D'autre part, « faire du trinbèrlin » c'est proprement « faire du train [comme on en fait dans un] brelan, du train [de] brelan ». Le wallon a pu donner à bèrlin ce sens figuré de « tapage » (1). On trouve burlin isolé chez un auteur verviétois, N. Poulet, qui le traduit par « tremblement » (BSW 3, p. 387); entendez, d'après le contexte : « événement qui fait tapage ». D'autre part, Body, Voc. agr., p. 36, donne l'expression ardennaise tot l' burlin « tout l'attirail rural », en argot : « tout le bazar, tout le tremblement ».

liég. troute, troudale

Le liég. troute, verviétois trute, signifie « gourgandine » (2) ; d'autre part, à Spa, troute se dit d'une « (vieille) femme maussade, insociable » (3). Il faudrait plutôt écrire troude, car c'est assurément le primitif de troudale, que j'ai entendu à Liège dans l'expression: ine vèye troudale « une vieille désagréable ». Body (3) et Duvivier attribuent le même sens à vèye droudale ou drodale, Forir à drôdale et droûdale.

D'après Scheler (ap. G., II 456), troute est connexe avec l'anc. h. all. trût (mod. traut : cher, intime); mais Scheler ne considère que le sens « gourgandine » ; de plus, il ignore le diminutif troudale, dont l'acception s'accommode mal de sa conjecture. Je m'adresserai plutôt à trûde, forme dialectale de l'all. drude « sorcière» (4), qui me paraît expliquer les diverses formes et significations des termes wallons. Troudale était, à l'origine, synonyme de macrale « sorcière » ; il s'est conservé comme terme d'injure à l'adresse d'une vieille insociable.

w. twèzon (Liège, Verviers)

Terme de serrurerie, signalé sans explication par G., II 434 : « toizon, palastre boîte de fer qui forme la partie extérieure d'une serrure (Lobet) ». Même définition dans Forir, avec un exemple où le mot est (1) Comp. le fr. boucan (1. arch. : lieu de débauche ; 2. désordre, tumulte) et le w. bacara (1. espèce de jeu de cartes ; 2. tapage désordonné : fé ou miner bacara). (2) D'après Remacle, Hubert, Forir, Lobet et G., II 456. Seul, Duvivier écrit troûte. — J'ai entendu à Liège : ine vèye trute « une vieille dévergondée » et ine vèye troute une vieille grincheuse ».

(3) Body, Vocab. des poissardes (BSW 11, pp. 239, 208).

(4) Voy. Kluge, DRUDE. Cet auteur rapproche hypothétiquement drude de traut, mais Weigand lui donne tort. Je relève en dialecte all, du G.-D. de Luxembourg : drudel, s. f., femme sans ordre, d'extérieur négligé ; drudelen, arranger sans soin (Wört, der luxemb. Mundart, 1906).

du féminin. L'article de Lobet est ainsi libellé : « toizon, palastre, plaque de fer battu sur laquelle est bâtie la serrure ; - toison, dépouille d'un mouton, etc. ». Ce dernier sens n'a que faire ici (1). Quant à la twèzon (le palastre: boîte d'une serrrure), il faut y voir une altération de cwèzon (2), emprunté du fr. cloison, qui a également le sens technique de « boîte qui renferme la garniture d'une serrure » (Littré). Pour cwè- twè-, comparez twagne : cwagne, p. 255, n. 3.

w. unuses (!)

G., II 458, a un article qui est amusant comme une énigme : « unuses, plur. (quid ? « li scolî è-st-âs-unuses ». Simonon) ». Ce prétendu substantif pluriel est un monstre mort-né. Il faut comprendre âsunus, altération du lat. asinus : l'écolier est asinus parce qu'il est puni du bonnet d'âne ! Comparez la locution latine ad revisum (au revoir), devenue en liégeois, par étymologie populaire ou par plaisanterie : âs treûs vis-omes, aux trois vieux hommes). Hécart, p. 251, a aussi ce curieux article : «j' su aus hanas ou hosanna, je suis fort embarrassé, je ne sais que faire ». Proprement, sans doute : « Je me trouve devant la vaisselle à relaver », les hanas ou anas (fr. hanap, liég. hèna) désignant tout ce qui a servi au repas (Hécart, p. 245).

w. vêre, divêre

La toison s'appelle vare, s. m., à Faymonville et à Malmedy (3), vêre à Stavelot, à Verviers (4), en chestrolais (Dasnoy, p. 295 : ver) et jusqu'en meusien (Labourasse : verre). A mes yeux, on ne peut en séparer divêre, s. m., qui désigne 1. la toison du mouton, 2. toute espèce de récolte, d'ordinaire encore sur pied. G., I 177, et Remacle, 2o éd., donnent les deux significations, qui sont attestées notamment à Verviers (5) et

(1) Le fr. toison (de brebis) se rend en liég. par cote di laine (G., I 129); twèzon, dans ce sens, est un gallicisme, forgé par Lobet. Voyez ci-après l'article vêre.

(2) Le groupe cwè- est une réduction de clwè-. J'ai entendu à Jupille et à Liège : ine cwèzon d'ine dimèye-brique, t. de maçon.

(3) G., II 461, ćerit vart (d'après Villers) et ne donne pas d'explication. La graphie váre, vêre est conforme à l'étymologie que nous proposons ci-après ; l'e final est muet. (4) Martin Lejeune écrit vert « toison entière d'une brebis, liée en paquet, qu'on livrait à l'ouvrière trieuse » (BSW 39, p. 279).

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(5) Voyez Bormans, Drapiers (BSW 9, p. 252); Body, loc. des agric. (ib., 20, p. 64); M. Lejeune, Voc. de l'apprêteur en draps (ib., 40, pp. 437 et 440). Relevons, en passant, un exemple typique de confusion par étymologie populaire. D'après Body, l. 1., « le Vendredi-Saint s'appelle en ardennais (Spa et environs) djoû d' bons d'vairs, parce qu'on croit que ce qu'on sème ce jour-là réussit sûre

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à Robertville-lez-Malmedy (1). En général, le second sens est le seul usité, par exemple à Liège on bê d'vêre, une belle récolte (on bia d'vêre à Huy, Ben-Ahin); lès d'vêres sont bês ciste annêye (Liège, Villers-Ste-Gertrude); såcler sès p'tits d'vêres, sarcler ses légumes; lès cotis sètchèt qwate ou cinq' divêres d'ine tére bèn-ècråhèye, les maraîchers tirent quatre ou cinq récoltes d'une terre bien fumée. On connaît aussi èvêrî « emblaver », divêrî « récolter » (2) : li cinsî qui bague divêrih èt rèvêrih (Fléron), le fermier qui déménage récolte et ensemence à nouveau ; au dire de nos maraîchers, ine bone tére ni deût måy èsse divêrèye, une bonne terre ne doit jamais être nue, inoccupée, dépouillée de végétation.

Sur l'étymologie de divêre, G. ne donne rien de plausible, et encore moins Delbœuf, qui écrit les d'vért, « les verdures ou légumes », en supposant que « c'est une façon de prononcer pour vert » (BSW 10, pp. 143 et 189). Pour expliquer vêre « toison », Behrens, p. 272, invoque le moyen néerl. et ancien frison wêr «mouton » (3). Conjecture ingénieuse, mais à laquelle je ne puis me rallier, non plus qu'à l'opinion de Labourasse, qui en fait l'équivalent littéral du fr. vair « fourrure » (lat. varium). Je tiens pour assuré que notre mot répond à l'anc. fr. velre, veaure, etc., s. m., « toison » (lat. vellus, *vellerem). Godefroy fait un article vaire, s. f. [sic ; lire : m.] pour un seul exemple du xve siècle à Mézières : « tous les vaires des laines ». Il n'a pas vu que cette forme meusienne devait rentrer dans son article velre, où il cite notamment « viaure ou veaure de laine » en 1412 et 1474 à Tournai (4). Il y donne aussi un texte de 1247 « après li primier viaure recheu » (charte d'Onnaing), avec cette traduction timide : « Peut-être récolte de foin, toison du pré ». Le sens n'est nullement douteux pour qui sait que nos

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ment ». En réalité, il ne s'agit pas ici de divêre « récolte », mais de l'archaïque divére « vendredi ». La confusion n'est pas possible à Faymonville, où récolte se dit d'vâre (comme à Malmedy), tandis que le Vendredi-Saint s'appelle djór bon d'vêre, en anc. fr. jour du bon divenres.

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(1) On y prononce d(è)vâr ou d(è)vêr ; d'où d(è)várer ou d(è)vêrer : dépouiller un mouton de sa toison ou une terre de ses produits. (D'après M. l'abbé Dethier). (2) A Villers-Ste-Gertrude, divêri passé, gâté (par le mauvais temps): ci grain la a stou tot hoûdri pa l' walêye, il èst tot d'véri, ce blé a été tout couché par l'averse, il est tout gâté. Dans la région de Huy ce sens est attribué à forvêri, -èye, qui se dit aussi d'un fruit trop mûr, d'une pâte fermentée à l'excès, qui ont perdu leur valeur. De même à Tohogne : nosse foûre èst forvêrî, notre foin a perdu « ses forces » (parce qu'on a trop tardé à le faucher ou à le rentrer); à Tohogne, comme à Liège, d'vêr récolte; pour la toison, on dit cote di linne.

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(3) Voyez ci-après l'article wére.

(4) God. donne aussi « laine viaurice » ( : de toison) au XIe siècle, à Tournai.

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