archives liégeoises assignent à vaire la double acception de « toison » e de « récolte ». En voici quelques témoignages: 1. « qui venderoit vaire de laine qui ne fuisse entier » (Chartes et Privilèges des Métiers de Liège, 1 242); « vilains vaires non laudaubles » (ib.) ; « veires ou laine de berbis et d'aignealz » (1374 : Cart. de l'église de St-Lambert, Iv 511) ; – 2. «< doit avoir tout tailhiet et reseaweit [= re-ex-aequatum: nivelé] le tear delle ditte faxhe et doit laisser pour chascun bonier XXV stalons »> (1384, à Ougrée : Liber Silvarum, no 190, fo 10); « tous les vaires et dispoilhe de 4 faxhes de bois » (1420 : Echevins, 3, 107); « foure et vaire d'un pré » (ib., 16, 194) ; « les vairrez et emblavurez » (1460: Archives de l'abbaye du Val-Benoît) (1); «alleir weaidire apres le premier vearre en un preit » (1558 : Œuvres de Soumagne, 21, 90); « si... alcuns vaires, soit arbres, ahans, maisons ou choses semblantes soyent trovées sour le werixhas » (Cout. de Liège, 1 306) (2). Nous n'avons pas encore trouvé d'exemple ancien de devêre (toison); mais le sens dérivé se rencontre en 1457 : « proces a cause des devers des trimeux >> (Echevins, 23, 94). Ajoutez-y: «desvearire et defructer >> (1541 Euvres de Soumagne, 21, 177) ; « une terre envearye » (1572 : Ban de Herve, 18, 222 vo). : Pour le traitement phonétique, on peut comparer les mots qui présentent èl devant une consonne. A part ceux qui ont le suffixe -ellum (bellum beal, beau, w. bê, bia), les exemples sont rares germ. *helmu healme, heaume, w. hême (casque); *peltrum : peautre, w. pête (fer-blanc); spelta: épeautre, w. spête, spiate; *cellariarium fr. cellérier; anc. liég, cerirs 1267 (3), cherriers 1278 (4), cherrirs 1280, cherirs 1374-8, cearire 1560, cearier, cealrier, chearier, chairier (= receveur des rentes en nature; fém, cherresse 1472, cerresse 1501 ; la cearie était l'endroit où l'on devait payer ces rentes). En somme, vêre a d'abord eu le sens étymologique de « toison », puis a pris le sens figuré de « toison de la terre récoltes, denrées, légumes, arbres et tous végétaux cultivés dont on dépouille réguliè rement le sol » ; cette seconde acception, on l'a vu, est même la plus fréquente dans les archives liégeoises. Vêre a engendré chez nous évêrî (1) Cuvelier, Inventaire : 3 avril 1460. (2) Ce dernier extrait est cité par Bormans et Body, Glossaire roman, vo ahan. G., II 643, cite le même texte de Hemricourt avec quelques variantes; la note que Scheler ajoute n'a aucune valeur. (3) Wilmotte, Etudes de Dialectologie wallonne, § 26. (4) Dans le Bull. de l'Inst. d'archéol. liég., xxx, 586, M. Cuvelier y voit le fr. « cirier, fabricant de cierges » (!). (<< entoisonner ») et divêrî (« détoisonner »), d'où le déverbal divêre (1). La forme malmédienne våre, d'vâre, s'explique par le fait que vêre, d'vêre, avait- et conserve encore en verviétois et en ardennais — un ê très ouvert, se rapprochant de â (voyez l'article tèroûle). w. vièrna, anc. fr. vernal G., II 467, voit dans vièrna le fr. gouvernail privé de sa première syllabe. Mais, de même que gouverneur, tavernier deviennent en liégeois gov'neú, tav'ni (G., I 236, II 420), au fr. gouvernail répondrait le w. *gov'na. Le vièrna d'un bateau, c'est le moyen de le vièrner (anc. fr. verner : diriger un bateau). Le suffixe est -a, fr. -ail, lat. -aculum. Le verbe se rattache au fr. dial. verne (aune, espèce d'arbre). De là, le w. viène (solive, panne, poutrelle), l'anc. fr. verne (gouvernail) et le montois verne (timon; voyez ci-dessus l'article juverne). Le verbe verner, w. vièrner, s'est formé sur le type barrer. Quant à vièrna, qui devrait s'entendre proprement de tout le mécanisme servant à gouverner, il ne désigne que la partie extérieure qui peut s'immerger et avoir prise sur l'eau. D'ordinaire ce vièrna (gouvernail de rivière) est assez développé. [Résumé d'un article, paru dans BD 1907, p. 121, dont Meyer-Lübke, no 9233, adopte les conclusions. Sur un sens métaphorique de vièrna et sur le dérivé vièrné, voyez l'article suivant. — Godefroy a un article vernal, s. m., « gaine formée de madriers fixés verticalement, dans laquelle s'emboîte le mât du bateau » ; il cite deux exemples dont l'un ne peut s'accommoder de cette définition : « li vernal furent perdus de la neif » (Dial. du pape Grég., p. 178 ; lat. : ex navi clavi perditi). Le lat. clavus et le w. vierna témoignent qu'il faut traduire li vernal par : « les gouvernails ».] liég vièrnê L'article précédent, sous sa première forme, se terminait ainsi : « Quant à vièrnê que Lobet et Forir enregistrent avec le sens de : boutade, caprice, et que Scheler ramène à un type latin vertiginellus (G., II 467), je serais fort tenté d'y voir le diminutif de viène, sans pouvoir toutefois découvrir le lien sémantique qui unirait ces deux mots ». Cette dérivation, que suggérait la phonétique, je crois pouvoir aujourd'hui la tenir pour assurée. De deux côtés différents, on m'affirme qu'au Sud et au Sud-Est de Liège (Esneux, Bra, Chevron), vièrna (1) Comp. le fr. repaire, de repairer, et le w. lès-êres dè djoû « l'aube », déverbal de êrî (= anc. fr. *airier) « avoir l'air ou l'apparence, ressembler ». signifie, non seulement «< gouvernail », mais encore « caprice, changement brusque d'idée » (1). Le pont qui réunit ces deux sens d'apparence si différents, c'est sans aucun doute: «coup de gouvernail qui porte brusquement le bateau à droite ou à gauche ». Dès lors, viernê appartient légitimement à la famille viène, vièrner, vièrna ; il a signifié au propre : « *petit changement de direction du bateau », d'où, au fig., «< caprice, boutade ». Comparez les articles stièrnê, wandihe. Dans le sens susdit, vièrné est un diminutif « verbal », c'est-à-dire qu'il dérive directement de vièrner, au même titre que stièrnê, spôrdia (voy. p. 233) dérivent de stièrni, spôde. Il diffère de vièrné « petite poutre» (dérivé nominal de viène), que M. Charles Bruneau, Enquête, I 180, a noté en Ardenne. Il ne faut pas non plus le confondre avec Vierne (nom de lieu, par ex. à Xhendremael), qui signifie : « petit verne, petit aune ». liég. vilwè, vîlwè Forir a un article viloi « établi de cordonnier, écofrai ». A part Willem, qui écrit viloè, tous nos autres glossaires ignorent ce mot; même le Vocabulaire du cordonnier par Kinable ne connaît que le terme générique tåve « table » (BSW 24). On le retrouve, écrit vîloi, dans une comédie d'Edouard Remouchamps (2). Nous y reconnaissons le fr. techn. veilloir «<table carrée à rebord, sur laquelle le bourrelier place ses outils et ses matériaux » (Littré), ou. comme dit Sachs-Villate : <«<table où le cordonnier et le sellier travaillent à la lumière ». Comparez le liég. sizeû, proprement: « moyen de sizer (veiller, travailler à la lumière) », et spécialement : « porte-lampe que les armuriers plantent dans leur établi et qui se compose d'une tringle en fer armée de plusieurs tiges mobiles » (3). - Le liég. vilwè ou vilwè, emprunté du fr. veilloir, nous vient sans doute par la voie de Namur, comme l'indique le suffixe nam. -wè (fr. -oir, liég. -eû; comp. nam. murwè, miroir, liég. mureû). C'est le seul mot liégeois qui ait ce suffixe étranger. (1) M. l'abbé J. Bastin pour Bra et Chevron, M. A. Lallemand pour Esneux. Le dernier donne ces exemples : c'èst co onk di vos vièrnas; cisse feume la a co cint vièrnas è s' tièsse. (2) Li Sav'ti (BSW 2, p. 77) « on viloi avou quéquès-ahèsses di coibehî ». Nous avons entendu tantôt i, tantôt î à Liège, où d'ailleurs le mot paraît peu usité aujourd'hui. On dit d'ordinaire banc. (3) Voy. Body, Voc. des Charp., CIZEU. désigne précisément l'établi du cordonnier. A Huy, d'après M. W. Gorrissen, sizu : liég. vinåve, anc. liég. vinable Ce s. m. équivaut à l'anc. fr. visnage (voisinage); le suffixe seul est différent -able, lat. - abilem, au lieu de -age, lat. -aticum (1). C'est littéralement un « (endroit) voisinable », c.-à-d. où l'on peut voisiner, une agglomération, par opposition aux demeures éparses. Le radical est le même que celui de vihène (aler al-), vih'ner «voisiner », vih'nåhe (aler al-), dérivés d'un primitif *vihin (2), nam. vijin, que le fr. voisin a supplanté en liégeois (vwèzin, wèzin). La forme ancienne *vih'nåve, s. m., s'est altérée en vinåve quand on a perdu de vue la signification première du mot, devenu nom de lieu et, pour ainsi dire, nom propre (3). Pour la raison contraire, aler al vih'nåhe (verv. -åve, malm.-stav. -âye, s. f.) s'est conservé intact : quand on prononce ce mot, on pense malgré soi aux synonymes vih'ner, aler al vihène. : Il faut écarter la proposition de Scheler vicinabulum (4), et celle de G., II 468 vicenabulum. Il ne peut être question d'un suffixe -abulum, qui n'a jamais eu de vitalité dans la langue populaire. G. se trompe de plus sur le radical. Il y voit vicena, qu'il trouve dans un texte du moyen âge et qu'il présente comme un dérivé de vicus, bourg. Or ce vicena (voisinage, quartier) ne peut être qu'une latinisation grossière du w. vihène. Sur la foi de l'étymologie de G., on a prétendu que vinâve, comme le latin vicus, désignait primitivement « un bourg, un quartier, une vaste circonscription de la cité » et que, par abus, il s'est appliqué ensuite à « la rue la plus importante du quartier » (5). Le contraire est plus exact le sens a subi une extension plutôt qu'une restriction. A l'origine, le vinâve (I), c'est l'endroit « où l'on peut voisiner », le voisinage, c.-à-d. un ensemble d'habitations (disposées d'ordinaire aux deux côtés d'une voie). Avec le temps, le groupement s'accroît, des rues latérales se construisent; mais, par opposition à ces nouvelles Niederländer, (1) A l'anc. fr. visnage répond l'ard. vinadje « réunion de tous les hommes du village pour discuter d'une affaire commune » (à Cherain : BSW 50, p. 534). (2) On dit vèhin à Chevron, vèyin à Bande, vèjin à Dorinne. (3) On peut supposer aussi l'influence analogique de vini (venir). Mundart von Namur, § 11a, donne le nam. vij’nauve (groupe de maisons isolé à la campagne), qu'il tient d'un octogénaire namurois. Grignard signale vîj'noûve « la veillée » à Montigny-sur-Sambre (BSW 50, p. 416). De mon côté, j'ai noté à Ciney : invitè tot l' vèjinauve. — Pour la chute de l'aspirée *vih'nave vinase, comp. ci-dessus l'article èminné. (4) Gloss. phil. de la Geste de Liege (1882), VINABLE. (") Gobert, Les rues de Liège, t. IV, p. 138. = rues, le nom de vináve (II) continue à s'appliquer à celle qui fut le noyau du groupe: il reste le «< nom propre » de la voie la plus fréquentée du faubourg, de la grand'rue du bourg ou village. Simultanément, et par opposition à d'autres agglomérations de même espèce, vinâve (III) s'est dit de tout l'ensemble groupé autour du noyau primitif. Ainsi Liège, au XIIIe siècle, comprenait six vinables ou quartiers (1) et les citadins de Malmedy appellent encore vinâves les villages ou hameaux qui avoisinent leur ville. Mais, si dans chacun de ces villages, comme dans les faubourgs de Liège, vinâve a gardé le sens II, il s'en faut assurément que ce soit par abus. [BD 1910, p. 68; remanié et développé]. liég. v'nou, v'nowe (« menu, -ue ») Dans son article sur vinowe, s. f., « venue », Forir ajoute les exemples: al vinorve-min « accidentellement », vinde al vinowe-min « vendre aux passants ». Il y a confusion. L'expression archaïque dont Forir nous conserve le souvenir (2), reproduit, avec une légère altération, l'anc. fr. a la menue main « au détail ». Godefroy, à l'article menu, ne cite qu'un seul texte, d'origine namuroise; mais les Chartes des Métiers liégeois contiennent maintes fois cette expression (3) : elle était donc d'usage courant à Liège. Du sens premier: « (vendre, acheter) au détail », dérive celui de : « par occasion, en profitant d'une circonstance accidentelle »; c'est ainsi qu'il faut interpréter la traduction « accidentellement » donnée par Forir. — Quant à la forme, la confusion des groupes v'n, m'n est bien connue. Le liégeois prononce volontiers amʼni, rim'ni, pour av'ni, riv'ni (avenir, revenir); vå-m'neûte, pour và-v`neûte, *vå-b'neûte (Val-Benoît, 1. d. près de Liège). Ici, inversement, m'nou devient v'nou. G., II 462, note le malm. v'nou « menu », v'noumint <«<finement» (anc. fr. menuement). Le liégeois disait de même au ་་ (1) « Il avoit, a cely temps, et encors at à present, vi vynaules a Liege » (Hemricourt, Miroir des nobles de Hesbaye, éd. de 1910, p. 303). Le souvenir n'en survit officiellement que dans Vinâve-d'Ile, nom d'une artère importante de Liège. Voy. Gobert, 11 328 ; Godefroy, vo vinable, anc. w. (le plus ancien exemple cité est de 1287). Meyer-Lübke, 9312. cite le w. vinar; lire vinâve. (2) Duvivier la donne aussi, avec la traduction : « comme il tombe ». (3) T. I, p. 234 : « vendre en gros, ne à la menuë main » (1527) ; p. 242 : « les draps que les Drappiers voront rejetter à la menuë main en leurs maisons » (1527); II, 141 : « vendre en gros et à taille et à la menuë main » ; p. 142 : « en gros ou a la detaille et menuë main » (1478?); p. 309: vendre tant en gros comme à la menuë main » ; etc. On trouve même, II, p. 59 : « vendre a la venuë main ou alle détaille » (1561), ce qui prouve que le liégeois prononçait déjà au xvre siècle al vinowe min. |