Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Les noms dialectaux de la «< culbute >>>
en Belgique romane

L'essai de synthèse qui suit est sans doute encore bien incomplet ; il aura tout au moins le mérite de montrer la riche variété de nos patois, d'offrir quelques explications inédites et d'orienter les recherches ultérieures (1).

1. Certain jeu d'enfant consiste à se dresser sur les mains, tête en bas et jambes en l'air; le débutant appuie d'ordinaire les pieds contre un mur. Cet exercice s'appelle en fr. pop. « (faire le) poirier », les jambes figurant les deux branches de l'arbre ; anc. fr. perier (God.).

C'est aussi le nom qu'il porte dans le domaine exploré : pèrî ou peûrî Liège (rare); pèrî Bovigny; pèré Stoumont, Wanne, VillersSte-Gertrude; pwari Namur, Denée, Wavre, Harmignies ; pwèrî Genappe, Pécrot-Chaussée, Chastre-Villeroux, Ciney, Chimay, Gilly; pwȧrié Tournai, Wiers, Pâturages, Quevaucamps; pouri Ellezelles; pori Tourcoing. L'expression ordinaire est « faire le poirier » ; à Ciney « planter le poirier » (2). -- On dit : (faire le) haut pwarî Ucimont, Denée; -iè Thibessart; -ié gaumais (S.-E. du Luxembourg); pwarié fourchu Margny-lez-Florenville; arbre fourchu Lille; fè l' fortchoye mèlèye (pommier fourchu) à Roy en Famenne (3).

A Seraing, M. Nic. Pirson signale le mot hôstal, terme de gymnastique : Li proumî qu'on fêt, quand on est jumnasse (gymnaste), c'èst l'hostal. Ce mot (germanique ?) paraît être d'introduction récente.

(1) Cette étude a paru pour la première fois en 1914, dans le Bulletin du Dictionnaire wallon. Elle est ici complétée et remaniée en plusieurs endroits.

(2) De celui qui n'a plus d'argent, on dit plaisamment à peu près partout : « Il peut faire le poirier, il ne tombera rien de ses poches ».

(3) Comparez fouché-pwèré dans les Vosges ; planter la pourée en Touraine. De même, en westphalien, den boom stân (= den Baum stehen) et, en patois d'Aix-laChapelle, der beereboom stohn (: den Birnbaum stehen).

2. La culbute, à proprement parler, est un tour complet sur soimême. On peut distinguer : 1o la culbute en avant : la tête est posée sur le sol et l'on tourne cul par dessus tête, de façon à retomber sur le dos; 2o la c. en arrière : on se met sur le dos, on rejette les jambes en arrière, de façon à retomber sur les genoux ; 3o la c. latérale, moulinet où l'on fait tourner le corps sur les mains, puis sur les pieds; en fr. « faire la roue » ; 4o enfin la c. accidentelle, où l'on tombe brusquement à la renverse; d'où, en général, chute, pirouette, cabriole (1).

[ocr errors]

Il va de soi que tous les mots qui suivent n'ont pas toutes ces significations. A l'occasion, on indiquera au moyen d'un chiffre (1o, 2o, 4o) le sens usité dans telle ou telle localité. Les renseignements recueillis permettent de croire que le 1o et le 4o sont les plus connus. Rarement on a mentionné le 2o. Quant au 3o, tout ce que je sais, c'est qu'à Bouvignes-Dinant on dit : fè l' ruwe di tchaur « faire la roue de char » ; à Malmedy: fé l' toûr du pawion « faire le tour de papillon » ; à Faymonville: fé dès roues d' pawion; à Roy : fè l' rowe ; à Pâturages : fé le rwé «faire la roue » ; à Liège : fé l' rowe d'awe «roue d'oie» ou di tchèrète « de charrette ».

Les expressions sont groupées d'après les trois grandes divisions dialectologiques de la Belgique romane :

A. Wallon proprement dit (liégeois, ardennais, namurois et brabançon de l'Est);

B. Gaumais (dialecte de la Lorraine belge, au Sud de la province de Luxembourg);

C. Ouest-wallon (Charleroi-Nivelles) et rouchi (variété du picard : Mons-Tournai).

Dans chacune de ces divisions, on suit l'ordre alphabétique.

A. WALLON PROPREMENT DIT.

3. bèrdoûse, bourdoûse (Liège : G.), terme enfantin, « culbute » en général. Duvivier donne bourdoufe et bourdouhe. J'ai entendu aussi bardoufe (il a fêt 'ne bèle bardoufe). Forir ne signale que bourdî-bourdouhe « exclam. pour exprimer une chute, une culbute ». A Verviers, bourdoûsser, birdoûsser (al valêye) : « culbuter, dégringoler ». Il est hors

(1) Il existe encore, parmi les jeux enfantins, une autre espèce de culbute, qui consiste à se laisser rouler du haut d'une pente gazonnée. Le verviétois dit : rôler a faguène « rouler à [la façon d'un] fagot » ; le liégeois : rôler ou djouwer a si språtchí l' botroûle « rouler ou jouer à s'écraser le nombril » ; à Jupille rôler a fahène ou a sére-vinte « à fagot » ou « à serre-ventre » ; en Flandre française faire un badoulet (c.-à-d. un petit fagot rond: Vermesse).

de propos de penser à l'all. burzeln, comme fait G., I 52. Ces termes sont de pures onomatopées (1), empruntées de l'all. bardauz et du néerl. Telle est aussi, pardoes, perdoes; voy. Weigand, Franck-van Wyk. pour le dire en passant, l'origine du liég. bèrlôzer, birlôzer, dont G. n'indique pas l'étymologie. Nous y verrons l'altération d'un primitif bardoûsser, bèrdoûsser (-oûzer, -ôsser, -ôzer), avec changement de d en l.

4. bèrwète m'a été donné à Laneuville-au-Bois (centre de la province de Luxembourg) comme synonyme de coupèrè «culbute » ; c'est d'ailleurs le sens qu'il faut aussi lui attribuer dans l'expression fé bèrwète (liég., nam., ard.), bien connue surtout au jeu de quilles : <«< faire faux bond, coup nul, ne pas abattre de quilles ou même man quer la planche en lançant la boule ». On serait tenté d'abord d'y voir une acception figurée de bèrwète « brouette », par analogie avec une brouette qui se renverse en avant ou de côté ; mais, en réalité, il faut distinguer 1. bèrwète « brouette », bèrwèter « brouetter », et 2. bèrwète « culbute », bèrwèter « culbuter, dégringoler, tomber de haut et avec des chocs; d'où faire fiasco» (2). Le second répond au franç. pirouette, -er, dont l'origine, mal connue jusqu'ici, s'éclaire par ce rapprochement. Le franç. « faire la pirouette au jeu de mail » (Littré) ne peut en effet être séparé du wall. fé bèrwète au jeu de quilles. En meusien et ailleurs évidemment faire la pérouette signifie «< culbuter» (Goffart, Glossaire du Mouzonnais). En wallon *pirwète, *pèrwète (3) a subi l'influence de bèrwète « brouette », mais le nam. pirwitche « pirouette » (L. Pirsoul) reproduit le radical primitif. D'autre part, on trouve, avec le sens spécial de « toton, moule de bouton percé d'un trou au milieu », pirouelle, peroueille (4) en messin (M. Lorrain) et, en wallon, pèrwiye Bastogne, St-Hubert; pèrwèye Laroche, Chevron, Condroz et Famenne ; piwèye (pour *pirwèye) Liège, Bergilers; pirwitche et pêwitche Huy, Namur, Fosses; enfin, à Burdinne (en Hesbaye), nous relevons la forme spèrwitche, qui rattache clairement tout ce

(1) De même bardaf « patatras » (= flam. pardaf). Comparez cet article de Lobet, p. 253 : « houptata, chute d'un enfant sur son derrière et qu'on relève de suite sur pied »>. Au langage enfantin appartient aussi l'expr. fé toutoume ou totome (= toumer, tomber).

(2) Le namurois dit dans ce cas bèrouler. Bèrwèter « dégringoler » est liégeois et surtout ardennais ; voy. abèrwèter dans BD 1906, p. 94.

(3) Pirwète est dans le Dict. liég, de Forir ; mais, sous cette forme, c'est un emprunt récent du français.

(*) Comp. le meusien péroile (Labourasse) : « s. f., gros sou avec lequel on joue au patard (jeu de bouchon, le bouchon lui-même) ».

groupe au bas-allemand d'Aix-la-Chapelle spire wippche «toton » (1). La chute de s initiale (sauf à Burdinne), l'altération de la finale (sous l'influence des suff. -iye, -èye, -ète, -èle), le passage du w germ. à ou fr. (purement graphique, comme dans marsouin) sont des phénomènes ordinaires (2).

5. coubotèye Robertville-lez-Malmedy, Bovigny, Wanne : fé coubotèye, syn. fé l' coupèrou « faire la culbute ». A Faymonville, fé coubotège, c'est faire la culbute en arrière. Composé de cou « cul» et de

botège bouteille ».

((

6. coupèrou. G., I 131, n'en explique pas l'origine. C'est une altération de cou-pèrî « cul-poirier » (voy. § 1), la finale ou faisant écho à la première syllabe. Le même type se retrouve en Picardie: cupoirier (God., vo perier); en rouchi: tchupori Pecq, tchupouri Luingne-lezMouscron; sur la Semois : cupwarî Bohan; en gaumais : cu d’pwarî Buzenol, St-Léger (au sens 2o; pour le 1o, on dit cu d' boûré) ; en meusien cù d' péreil ou d' purée, cù d' peùrète ou d' purète (Labourasse, Varlet). En wallon proprement dit, il est fort répandu et présente des formes variées : cupwèrî Forville (N-E. de la prov. de Namur); cupèri Awenne, Denée; coupèri Dinant, au sens 4o; coupèri, copèri Ciney; copiceri Dorinne (3); coupiré Neufchâteau (4), Bertrix; coupèrè Oisy, Lavacherie, Ortheuville, Tohogne, Roy et dans la Famenne ; cupèrè Freux lez-St-Hubert ; coupèrè Chairière, Gros-Fays; coupirou Moxhe ; coupérou Barvaux-Condroz cupèrou Eghezée; coupèró Erezée ; coupèrou Liège, Glons. Vervier, Spa, Wanne, Malmedy, Bovigny, Lutrebois, Ciney, Ben-Ahin, Vezin, Petit-Fays ; coubèrou Liège (Duvivier), Petit-Fays. Diminutifs coubèr hê (le suff. -hê : -cellum,

. (1) Jos. Müller, Die Aachener Mundart, 1836. Ce rapprochement est suggéré par G., II 230. L'origine de spirewippche (qui, paraît-il, n'a plus cours aujourd'hui à Aix) est donnée exactement par Scheler : spire chose pointue» et wippche, dimin. de wipp & mouvement rapide » (ib., note). Cf. Behrens, Beiträge zur fr. Wortgeschichte, p. 125.

(2) A propos du w. perwiy (lire pèrwiye), Meyer-Lübke, no 9515, exprime une autre opinion qui me paraît inacceptable. Il en fait le congénère de girouette et ne parle, ni à cet endroit ni ailleurs, du fr. pirouette.

(3) co- est dû à l'influence du prefixe favori en namurois : cobèrouler, cotourner, cotaper, covèriner, cotwade (con-torquère), etc.; de même cumulet est devenu comulèt en namurois moderne, § 10.

(4) A Neuvillers-Recogne, on a formé de là le v. tr. coupirè ; à certaine époque (moisson ?) les jeunes gens se saisissent d'une jeune fille qu'ils couchent par terre pour faire le cumulet par dessus ; atrape Mariye, quu dj` la coupirinche ! dju vans la coupire! Les jeunes filles font de même quand elles peuvent attraper un jeune homme. (Communication de M. G. Goffinet).

-scellum) à Bergilers en Hesbaye; fé la coupèrète Lutrebois, one cupèrète Rachamps-Bourcy, la coubèrète Wardin-lez-Bastogne. Notez, au sens 2o, les expressions coupèrou d' mam'zèle Liège, ou d' madame Glons (cumulet d' mam'zèle Namur Pirs.), cupwarî a r'vér Bohansur-Semois, tchupouri a l'ind vêr Luingne-lez-Mouscron.

:

7. coupěrné Offagne; de même, en Ardennes françaises, coupèrgno St-Fergeux, Acy lez-Château-Porcien (1). Le première syllabe ne pouvant représenter cul (à Offagne: ke), j'expliquerai littéralement par *couperonneau, diminutif de l'anc. fr. couperon « cime, sommet »>, qui a laissé d'ailleurs d'autres dérivés en wallon: copurnale (-ella), <«< faisceau de gerbes » Liège (Forir), ou encore «gerbe d'avoine à un seul lien drèssi lès copurnales » Liers; scopurnè Marche-en-Famenne, Ciney, Dorinne, « couper le sommet, le bout », anc. fr. escoupperonner; discopurné Denée, même sens; acopurlè (pour -ne) Beauraing, qui a aujourd'hui le sens péjoratif de « emmancher », mais qui a dû signifier « attacher par le sommet (par ex. des gerbes)»; d'où acopărnûre Chastre-Villeroux, BD 1910, p. 134; 1922, p. 35.

:

8. couribèt, m., liég., G., I 131; couroubèt Duvivier, courubèt Rouveroy, corubèt Remacle, Forir; avec changement de suffixe : couroubot à Jupille; diminutif: couroubinèt à Liège, croubinèt à Geneffe. C'est une forme masculine de « courbette » (voy. God., corbet), qui a pris le sens de «< culbute ». Je relève, dans un texte liégeois de 1732, croubèt (BSW 1, 180) et, dans Forir, couroubète avec le sens primitif de « courbette ».

9. cou-z-å-haut Verviers (Lobet, p. 305). litt. cul-en-haut » fé dès cou-z-a-haut « faire des culbutes » ; voyez § 13.

10. cumulèt, s. m., terme francisé connu dans toute la Belgique romane, où il passe même pour être français. C'est le seul mot en usage à Namur (avec le verbe cumuleter, G., I 147), dans la région de Charleroi et dans une partie de la Hesbaye Marilles, Ambresin, Wasseiges. Il a d'ordinaire les sens 1o et 4o. On fait cependant çà et là des distinctions; ainsi, à Luttre, il n'a que le sens 1o (pour le 4o on dit crumuya ; § 22); à Wiers, il n'a que le sens 4o (pour le 1o, cutromiau; § 22). — La forme la plus ordinaire est cumulèt. On prononce kemålet en Brabant (Chastre-Villeroux, Pécrot-Chaussée, Jodoigne) et sur la Semois inférieure (Alle, Oisy).

Grandgagnage en rapproche le rouchi tuméte, tumeléte et le normand

(1) Je dois ce renseignement et la plupart de ceux qui concernent les Ardennes françaises à l'obligeance de M. Charles Bruneau.

:

« AnteriorContinuar »