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tout ce qui sort de l'âme et de l'esprit des anciens génies! elle se figurait, confiante en ses anciens vagabondages, qu'elle pouvait se passer des princesses pour la défendre, des rois pour l'applaudir; elle ne comptait pas, l'ingrate, dans ses succès européens la faveur de la reine d'Angleterre, l'intérêt du roi de Prusse, les bontés de la cour de Saint-Pétersbourg, la discipline, l'habitude et l'élégance innée de ces courtisans, de ces capitaines, de ces dames d'honneur, de tous ces grands seigneurs qui disent à la tragédie : 0 ma reine ! qui disent à Corneille : O mon père ! qui disent à Racine : 0 mon dieu! Elle ne voyait pas que ces chefs-d'œuvre qu'elle apportait avec elle étaient, dans ces âmes privilégiées, les glorieux échos des siècles monarchiques le Cid, l'insomnie du cardinal de Richelieu; Iphigénie, un sourire de madame de Montespan; Cinna, une larme du prince de Condé.

Le grand Condé pleurant aux vers du grand Corneille !

« La pauvre enfant, la pauvre Rachel, elle prenait tout pour elle à travers cette course dans l'Europe intelligente, pour elle tous ces bravos, pour elle toutes ces couronnes; et cependant les camarades assidus de son pèlerinage, Hermione, Emilie, Horace, Andromaque, Pauline et Polyeucte, Athalie et le petit roi Joas... ces beautés, ces vierges, ces capitaines, ces héros, ce divin langage, cette poésie à part faite exprès pour l'oreille des dieux, pour le cœur des amoureux, pour l'esprit des sages, pour ces âmes à part dans le commandement et dans la direction du genre humain, elles ouvraient à Rachel toutes les portes; elles étaient de sa compagnie, elle était de leur entourage; ils vivaient ensemble, ils parlaient la langue divine qui se parle sur les

que chacun respire, à laquelle personne ne touche; avant tout elle veut un mari, et elle demande, non pas ce qu'il est, mais combien vaut-il? Hélas! que cette flirtation ressemble peu à l'amour d'Hermione! hélas! comment cette demoiselle errante, et cherchant un mari qui soit riche avant tout, pourra-t-elle s'amuser ce soir à entendre une princesse grecque disant à Cléone, sa suivante!

Non, Cléone, il n'est point ennemi de lui-même ;
Il veut tout ce qu'il fait; et, s'il m'épouse, il m'aime.

« Certes, c'est joli, la flirtation; mais la passion, mais l'éloquence et le noble contentement d'un cœur amou

reux :

.....Eh bien! chère Cléone,

Conçois-tu les transports de l'heureuse Hermione ?
Sais-tu quel est Pyrrhus? T'es-tu fait raconter
Le nombre des exploits... Mais qui les peut compter?
Intrépide et partout suivi de la victoire,

Charmant, fidèle, enfin rien ne manque à sa gloire !

« Les beaux accents, les paroles souveraines! On ne flirtait pas en ce temps-là, on aimait. La princesse était surveillée, elle obéissait aux lois les plus strictes de l'obéissance et du devoir; elle n'allait pas souper, tout en flirtant, avec des messieurs dans un de ces riches restaurants dont fourmille New-York. Comme aussi, quand une princesse montait par hasard dans l'omnibus (il n'y avait pas d'omnibus heureusement pour les princesses françaises), elle n'allait pas s'asseoir sur les genoux du premier venu. Or, la chose se fait à New-York même, flirtation à part. Et quelle jolie préparation une course ainsi faite en omnibus

sur les genoux du premier venu pour entendre ce beau discours de l'Oreste amoureux!

...Ah! Madame! est-il vrai qu'une fois
Oreste en vous cherchant obéisse à vos lois ?
Ne m'a-t-on pas flatté d'une fausse espérance?
Avez-vous en effet souhaité ma présence?

« Ajoutons ceci, que les femmes de l'Amérique ont en grand mépris cette aimable et charmante condition : être une femme honorée, aimée, admirée, mais aimée, admirée de loin; être une femme avec toutes les grâces, toutes les élégances et tous les ornements de la femme : les diamants, les bijoux, les belles parures, les élégantes amours; non, elles veulent être des hommes; voilà en ce moment leur gloire et leur ambition; de gaîté de cœur elles renoncent à la gaze, au velours, aux jupes brodées, et même aux amours qui font un peu de bruit, quand ce sont des poètes qui les chantent. « Il y a quelque chose d'aussi mort que la tombe, dit notre voyageuse en Amérique, ce sont les amours d'une Américaine. » Eh! donc, puisqu'elles sont si discrètes, pourquoi leur raconter tant de charmants et illustres amours qui ont fait verser tant de douces larmes aux plus beaux yeux de la cour d'Auguste et de Louis XIV ? Une Américaine exècre la quenouille; elle aurait honte de dire comme cette enfant adoptif de Montaigne, mademoiselle de Gournay, à un bel officier qui la narguait : « Je gage ma quenouille contre votre épée ! » En revanche, elles portent l'habit viril, elles sont blooméristes, et parées d'une blouse, et voilées d'un pantalon, elles s'en vont prêchant l'émancipation de la femme Oh! oh! figurez-vous le club des femmes en plein Paris, les soirs où se chantait la Marseillaise, les soirs où

l'art ancien faisait place à toutes les turbulences de la rue, et puis, mettez-moi, s'il vous plaît, des blooméristes en blouse, ou la présidente du club des femmes aux premières loges, lorsque Iphigénie, aux pieds de son père, et l'implorant du tendre et profond regard d'une aimable fille de seize ans qui tient à la vie, et qui pourtant veut obéir, s'écrie en retenant ses larmes :

...... Mon père,

Cessez de vous troubler; vous n'êtes point trahi:
Quand vous commandérez, vous serez obéi.
Ma vie est votre bien : vous voulez le reprendre ;
Vos ordres sans détour pouvaient se faire entendre.
D'un œil aussi content, d'un cœur aussi soumis
Que j'acceptai l'époux que vous m'aviez promis,
Je saurai, s'il le faut, victime obéissante,
Tendre au fer de Calchas une tête innocente,
Et, respectant le coup par vous-même ordonné,
Vous rendre tout le sang que vous m'avez donné.

& Déclamez donc ces belles choses en présence des blooméristes, elles demanderont la parole en plein théâtre pour un fait personnel; elles diront que cette Iphigénie est une sotte, et qu'elle pousse un peu loin l'obéissance à l'autorité paternelle! Un père, un mari, un homme, le mariage, une tragédie en vers, y pensez-vous? et qu'en dira M. Westerwestcoming, le célèbre rédacteur de la Tribune de New-York? C'est qu'en effet l'autorité paternelle, ces douces volontés, ces chères existences n'ont pas grand cours dans un pays où le jeune homme s'émancipe à douze ans, et, rencontrant son frère et sa sœur, leur demande en courant : «< Comment va le vieil homme?» Le vieil homme, c'est son père, et la vieille femme c'est sa mère, et chantez donc à ces oreilles

doublées de fer-blanc du côté du cœur ce que dit Andromaque à Pyrrhus :

Je passais jusqu'aux lieux où l'on garde mon fils;
Puisqu'une fois le jour vous souffrez que je voie
Le seul bien qui me reste et d'Hector et de Troie,
J'allais, seigneur, pleurer un moment avec lui;
Je ne l'ai point encore embrassé d'aujourd'hui !

« Le fils d'llector à New-York, il saurait déjà les quatre règles, et il gagnerait chaque jour son demi-dollar, et il payerait sa pension chez sa mère Andromaque. Vous vous la rappelez cette admirable dispute entre Agamemnon et le terrible Achille, cette grande scène de défi entre ces deux puissances formidables, le jeune homme, emporté par l'amour au-delà de toutes les bornes, pendant que le roi et le père de famille opposent à ce furieux le sang-froid et la majesté... Que voulez-vous que l'on fasse de cette admirable scène, une merveille de notre vieil art dramatique, dans un pays où chacun porte un révolver à dix coups dans sa poche gauche, un poignard dans sa poche droite, et se fait justice dans la rue, en plein Sénat; ou bien si par hasard on arrange un duel régulier, voilà deux hommes qui prennent chacun sa carabine et qui se cherchent en plein champ comme on cherche un sanglier ou un loup.

ACHILLE

Rendez grâce au seul nœud qui retient ma colère,
D'Iphigénie encor je respecte le père;

Peut-être sans ce nom, le chef de tant de rois
M'aurait osé braver pour la dernière fois.

<< Que de façons, convenez-en, et pourquoi diable ne tiraitil pas son révolver à dix coups?

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