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ordonné des prières.

Je crois très-sincèrement que ma

demoiselle Rachel survivra à cette tuile, mais elle apprendra de là qu'il ne faut rien mépriser, pas même le public, un libertin qui aime les aventures nouvelles.

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« Donc, pour l'amour qu'on lui porte ou pour la rancune qu'on garde à sa rivale, la Ristori voit tout Paris à ses pieds. La vogue, capricieuse déesse qui, dans ce pays-ci, embrasse ses favoris jusqu'à les étouffer, lui a mis au front cette étoile des élus qui signale une réputation aux quatre coins dn globe. — La Ristori! Avez-vous vu la Ristori? Parleznous de la Ristori!

« Peut-il être question d'autre chose? en prose, en vers, sous forme de feuilleton ou sous forme de causerie, dans toutes les formules de la langue humaine, n'y a-t-il pas un consentement universel pour célébrer la diva. M. Jules Janin a écrit sur elle, inter alias, un feuilleton très-élo quent.

Seulement il m'a semblé que, dans la dernière colonne de son édifice, il s'essoufflait un peu pour démontrer que la Ristori laisse la Rachel intacte et invulnérable. Notre public parisien procède malheureusement toujours par voie de comparaison et d'exclusion. La réaction et la malignité aidant, il ne manque pas de gens qui s'avisent aujourd'hui que mademoiselle Rachel n'a jamais su dire un hémistiche sans le déshonorer. Ceci me rappelle un très-beau mouvement de madame de Staël : Un homme, qui savait ses rancunes contre l'Empereur, disait un jour devant elle, croyant la flatter infiniment, que Bonaparte n'avait jamais eu ni talent ni courage. - « Monsieur, répliqua sévèrement » l'auteur de Corinne, vous aurez beaucoup de peine à me persuader que l'Europe s'est prosternée pendant quinze >> ans aux pieds d'un imbécile et d'un poltron.

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« A notre tour il nous semble difficile d'admettre que mademoiselle Rachel ait, pendant plus de quinze ans, englobé dans une immense mystification toutes les supériorités de l'intelligence, la presse, les artistes et le seigneur public, qui sait bien aussi se défendre, quand on prétend lui imposer ce qui n'est pas de son goût. Pendant quinze ans on a jeté aux jambes de mademoiselle Rachel des Maxime et des Araldi pour la faire trébucher. Elle a passé sur ces mannequins en poursuivant sa marche triomphante. - Aujourd'hui le cas est beaucoup plus grave: la Ristori tient la lyre aux sept cordes, et il semble que de ces sept notes de l'âme humaine, Rachel n'en ait jamais touché que deux Voilà l'état de la question » Et ce brave Figaro qui est assez juste de son naturel, s'écrie ailleurs à propos de tout cela :

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Nous sommes, en vérité, de bien grands enfants; quand nous avons pris quelque temps plaisir avec un beau joujou, et qu'on nous en donne un autre, nous oublions aussitôt le premier; heureux est-il quand nous ne le brisons

pas en le frappant avec le jeune.

<< Nous avions un beau joujou tragique : mademoiselle Rachel; les Italiens nous en montrent un autre la Ristori; crac! nous voilà occupés à vouloir, en ce moment, casser Rachel avec la Ristori; comme si l'art théâtral n'était pas assez vaste pour offrir deux places d'honneur à deux femmes de talents divers, mais équivalents, l'un dans la tragédie, l'autre dans le drame.

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«Le plus grand moutard de ce siècle, le papa Dumas, est un de ceux qui ont rejeté le plus vivement le joujou Rachel pour le joujou Ristori. Il est vrai que le joujou Rachel ne l'a jamais beaucoup diverti... dans son temps. Rachel a joué trop le Saint-Ybar et pas assez le Dumas ;-voilà son critérium.

« L'autre jour donc, Dumas, le papa, assistait dans sa loge à la représentation de Marie Stuart, et l'enthousiaste s'écriait, dans son délire :

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Bravo! bravissimo!... c'est Mars, c'est Dorval, c'est Lecouvreur, c'est Clairon, c'est Duchesnois, c'est Georges, c'est Le Kain, c'est Talma, c'est Kean, c'est Macready, réunis en un seul talent que cette femme!... bravo!... bravo!...

« Une personne balbutia timidement près de lui : - Pourtant, monsieur Dumas, mademoiselle Rachel...

«Eh! Monsieur, répartit brusquement Dumas, pour bien juger le génie de la Ristori il faut connaître à fond l'italien... Savez-vous bien l'italien?

çais !...

.

Oui, monsieur Dumas, comme vous savez le fran

Alors, dit Dumas avec la plus spirituelle bonhomie,

je le disais bien, vous ne savez pas l'italien! >>

CHAPITRE III.

Où mademoiselle Rachel se décide à s'expatrier.

En voyant cette rage, cette fureur, cet enthousiasme sans nom pour la nouvelle venue, mademoiselle Rachel, qui tout d'abord, était moins que décidée à céder aux propositions de son frère Raphaël, et qui trouvait chaque jour quelque nouveau motif pour ne pas signer définitivement l'engagement américain, en arrive maintenant à vouloir, au plus tôt, quitter cet insolent pays, qui a l'audace d'inventer une autre grande tragédienne, une étrangère !

L'autorité supérieure fait tout au monde pour la retenir !.. C'est peine perdue!

Elle ne fait même pas attention à sa nomination de professeur de déclamation au Conservatoire, laquelle nomination paraît tout au long dans le Moniteur Universel.

Il faut qu'elle parte!

Pour cela, elle consent à tout, même à donner au ThéâtreFrançais une série de représentations (chose qu'elle avait jusqu'alors refusée avec acharnement).

On dit, du reste, à ce sujet : (est-ce vrai? — voilà la question) que ce ne fut pas uniquement pour obéir à l'autorité qu'elle daigna reparaître sur la scène française; mais bien un peu pour prouver à ses anciens courtisans que s'ils avaient changé, eux, elle n'avait pas changé, elle !...

Et en effet, elle eut plusieurs soirées véritablement splendides, et ce fut en reine qu'elle quitta son palais de la rue Richelieu.

A une représentation de Phèdre, on dit encore (est-ce un faux bruit?): qu'elle fit envoyer une loge à sa triomphante rivale, avec une lettre charmante.

Myrrha s'empressa d'accepter et la lettre et la loge, et ne se fit pas prier pour applaudir.

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heureuse! Les Français la comprennent, elle !

Oui, les Français la comprennent; mais elle leur préfère maintenant les Américains qui, à coup sûr, ne la comprendront pas !

Dire cependant que si Rachel n'eût pas songé à aller aux Etats Unis, la Ristori eût cu peut-être en France le sort de Macready et de tant d'autres; et si cette même Ristori n'eût pas été accueillie ici comme elle l'a été, peut-être aussi Rachel n'eût elle jamais hasardé sa vie pour aller chercher en Amérique des millions imaginaires, dont elle n'avait nul besoin.

Cela est si vrai, qu'avant l'apparition de la nouvelle étoile tragique, c'étaient, de la part de mademoiselle Rachel, des. hésitations perpétuelles.

A chaque instant, Raphaël Félix, seul et unique directeur de l'entreprise transatlantique, croyait que tout était tombé dans l'eau.

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