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CHAPITRE XII.

Dernier diner à bord.

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Le

La journée du 20 est aussi belle que la précédente. soleil est de plus en plus éclatant, - les voiliers de plus en plus nombreux.

Des bancs de marsouins font des bêtises à peu de distance de nous.

Ces cétacés paraissent être d'un caractère excessivement gai.

Pour la première fois, depuis dix jours, le navire s'arrête. On a signalé le pilote côtier.

Celui-ci aborde, et les matelots le hissent sur le pont avec des cordes, comme un simple ballot de marchandises.

Son arrivée met en liesse tout le bâtiment.

que, le lendemain, nous serons à New-York.

Cela prouve

Inutile de dire que la machine, furieuse de s'être arrêtée un instant, se remet en marche avant même que le pilote ait touché le pont.

Nous allons à toute vapeur.

On voit que le cheval sent l'écurie.

Les émanations de la terre arrivent plus sensibles.

L'atmosphère américaine commence à régner; il fait une chaleur atroce, et l'on attrappe des coups de soleil magnifiques.

Chaque dame a le sien.

Un peu au lointain, nous voyons deux colonnes d'eau qui s'élèvent au-dessus des flots Ce sont deux baleines!

De quoi causent elles?

Mais, silence!

Le fou frappe huit coups sur sa cloche. C'est vous dire qu'il est quatre heures.

Quatre heures! c'est l'heure du supplice... du dîner, veuxje dire !

Le dernier que nous ferons à bord! heureusement!

C'est ce que l'on appelle le dîner du capitaine.

Cette fois, tout le monde est présent!

Mademoiselle Rachel elle-même s'est décidée à quitter sa chambre et à prendre place à table, à côté du capitaine Nye.

A part le champagne ajouté gratis au menu ordinaire, ce diner ne diffère pas beaucoup des autres, ce qui est un malheur pour ceux qui aiment à manger quelque chose de bon.

Enfin, c'est le dernier.

On porte un toast au capitaine Nye. Ce toast est accueilli très-chaleureusement.

Un jeune homme blond porte ensuite un toast aux ladies. Son toast a moins de succès que l'autre.

Cela m'étonne; on m'avait dit que les Américains étaient le type de la galanterie.

Enfin, M. Stewart (un marchand de nouveautés de New

York, qui vaut quarante millions, style de l'endroit), M. Stewart, dis-je, porte un toast à l'arrivée de mademoiselle Rachel aux Etats-Unis.

Tout le monde dirige les yeux vers elle On s'attend à un speech.

Mais, comme elle ne sait l'anglais que très-imparfaitement, elle ne répond pas et se contente de saluer.

Si ce n'est elle, c'est donc son frère... qui va répondre ? Et les regards se portent aussitôt sur Raphaël Félix, directeur de la French company.

Mais Raphaël ne répond pas plus que sa sœur, si bien qu'ils ne répondent ni l'un ni l'autre, ce qui semble désappointer fort les Américains.

Ne pas répondre à un speech, voilà une chose inadmissible pour eux.

CHAPITRE XIII.

Où la Marseillaise commence à venir sur l'eau.

Soi-disant pour arranger les affaires, un passager français vient, au nom des Américains, qui n'y songent pas, demander à ses compatriotes d'entonner en chœur la Marseillaise.

Ceux-ci, ne sachant aucunement, de mémoire, l'hymne national de la France, font un nez colossal à cette demande inattendue, et récusent cet honneur à l'unanimité.

Mais en voici bien d'une autre.

Le passager se retourne vers les convives et leur dit (en anglais, ma foi), que la Compagnie française est prête à satisfaire au vœu général.

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Tout le monde maintenant a les yeux fixés sur ces infortunés français, qui donneraient n'importe quoi pour être ailleurs. Le temps se passe. Personne ne commence.

Des murmures sourds se mêlent a de nombreux rires étouffés.

Décidément, les Français ne seront pas en odeur de sain teté auprès de ces messieurs de l'autre monde.

Enfin, ô bonheur ! un sauveur se présente. C'est un créole de la Nouvelle-Orléans. charmant que nous connaissons tous.

Il sait la Marseillaise.

Un homme

Il chantera les couplets; les Français n'auront qu'à reprendre le refrain en chœur.

Et en effet, il chante le premier couplet Il est fort ému, ce qui est une mauvaise chose pour chanter la Marseillaise. Heureusement que les Français entonnent le refrain et rendent à tous les convives leur joyeux visage.

J'ai souvent entendu chanter dans ma vie; j'ai assisté à bien des concerts tous plus grotesques les uns que les autres; mais jamais, au grand jamais, musique plus baroque n'avait stupéfié mes oreilles.

C'était à se rouler par terre à force de rire.

teur n'était à l'unisson de l'autre.

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Pas un chan

C'était tellement étrange, que chacun avait l'air de chan

ter un air différent.

Il va sans dire qu'on a passé tout de suite au dernier couplet :

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Ce dernier couplet eut exactement le même sort que le premier.

Quant au refrain, il fut encore plus drôle et plus extravagant que l'autre, si c'est possible.

Si bien que cette petite fète musicale, qui menaçait de prendre une couleur légèrement politique, se termina par un rire immense, titanique, gigantesque, qui, s'élançant par les écoutilles, alla réveiller jusqu'aux mousses endormis dans les hunes.

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