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en être ainsi. On sait à présent que mademoiselle Rachel a préféré ne pas se livrer à un exil aussi prolongé.)

Sa sœur Sarah est partie pour Charlestown. Elle va, dit on, se rendre à New-York où elle veut former une troupe de comédie et de drame.

Mesdemoiselles Durrey et Briard sont restées également dans l'Amérique du Nord.

Ce pays manquant totalement de gaîté, j'ai préféré m'embarquer tout de suite à la Havane avec le reste de l'armée, sur la Clyde, excellent vapeur anglais qui nous a conduits directement à l'ile Saint-Thomas.

Nous avons profité de ce que cette île était émaillée de fièvre jaune pour nous en sauver incontinent sur l'Atrato, autre vapeur également anglais, qui, malgré un temps atroce, malgré un vent épouvantable qui a déchiré nos voiles et brisé l'un de nos mâts, nous a débarqués sains et saufs à Southampton, le 30 janvier 1856, ce qui faisait un total de vingt jours et de vingt nuits. Rien que ça !

Aussi avec quelle volupté nous avons foulé le sol britannique, avec quelle ivresse profonde nous nous sommes évanouis sur une cloyère d'huîtres alliées. Véritablement, quand ce ne serait que pour le plaisir qu'on éprouve quand on est à terre, on devrait voyager sur mer éternellement. A Southampton, Raphaël Félix, ses sœurs Lia et Dinah et M. Félix père nous ont quittés sans verser aucune larme et sont allés s'embarquer à

Londres. Nous autres, nous nous sommes embarqués tout bonnement où nous étions; ce qui était plus simple, et le 31, à quatre heures du matin, nous avons pu débarquer au Havre où, pendant les visites de la douane, j'ai attrapé le plus beau rhume de cerveau qui se puisse voir.

Maintenant, mon cher monsieur de Villemessant, ne trouvez-vous pas comme moi que l'instant est venu de raconter l'Odyssée de la tragédie française en Amérique? Je reviens de là-bas avec un volume d'anecdotes, d'histoires, de cancans. Un volume entier, vous verrez ! Je vous avouerai, du reste, que c'est un peu pour cela que j'étais parti... Je n'avais pas l'intention de faire quatre mille lieues dans une multitude de pays plus fantastiques les uns que les autres, pour me livrer exclusivement aux tirades de ce grand Jocrisse qui s'appelle Hippolyte, et de ce faux marchand de dattes qui a nom Bajazet! - Oh! non!

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(Ici nous demanderons la permission d'ouvrir une petite parenthèse, ce sera la seconde et la dernière, - pour avouer, en toute humilité, que ces surnoms peu littéraires, octroyés si cavalièrement par nous aux deux héros de Racine, n'ont pas manqué d'entr'ouvrir sous nos pas tout un abîme de reproches, plus amers les uns que les autres. - Maintenant que nous avons fait cette confession, nous en hasarderons une autre, en toute humilité, toujours! C'est que ces reproches n'ont exactement rien changé à notre opinion, quant aux personnages en question; ce sont de détestables rôles

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et nous n'en démordrons pas. Le rebelle Hippolyte n'est qu'un sauvage de contrebande qui ne ressemble pas plus au fils de Thésée que ce morose Bajazet ne resssemble au Grand Turc! Pardieu! Racine peut bien être coupable de ces deux méchantes choses-là : il en a fait d'autres assez belles! Louer tout, d'ailleurs, c'est ne louer rien; et crier au sublime à propos de ce « prince déplorable» et de son confrère enturbanné, c'est trouver tout ordinaires ces admirables caractères de Phèdre, d'Agrippine, d'Hermione, de Clytemnestre, de... J'en passe, et des meilleurs, - pour en finir avec cette petite parenthèse qui n'en finit pas! Nous continuons l'épître à Villemessant.) J'ai écrit tout, noté tout!

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Et je vous prie de croire que j'en ai terriblement long à vous narrer, depuis ma lettre à Roger de Beauvoir. Lettre que je vous remercie d'avoir si gracieusement insérée dans votre Figaro, et qui a été reproduite là-bas en anglais, en espagnol, et probablement en mohican et en peau-rouge.

Ces bons Yankees étaient furieux après moi, aux États-Unis. Un journal a trouvé fort étrange que je me permisse de dire ce que je disais d'un pays dont je ne parlais seulement pas la langue.

Prétention incroyable, vous en conviendrez !

Comme si l'on était forcé d'apprendre l'anglais pour avoir le droit de voir des maisons qni brûlent et des gens qui s'éventrent!

Somme toute, je suis enchanté d'avoir visité l'Amérique du Nord, parce que c'est une affaire faite et que je n'aurai plus à y retourner, Dieu merci!

Je suis enchanté d'avoir vu les Antilles et la Floride, parce que c'est véritablement quelque chose de splendide et de merveilleux !

Je suis enchanté enfin, et surtout, d'être revenu dans ma bonne ville de Paris, parce qu'on a beau dire et beau faire, il n'y a que Paris, et il n'y aura jamais que Paris.

Vous voyez qu'il n'est guère possible de trouver un homme plus enchanté que moi; et, pourtant, vous pourrez mettre le comble à tous ces enchantements-là, en ouvrant les colonnes du Figaro à la publication de : Rachel et le Nouveau-Monde.

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Je vous garantis que ce sera curieux et amusant. Cette conviction est peut-être bien prétentieuse; mais, ma foi, je reviens de si loin!...

J'attends votre réponse et je vous serre la main.

Votre bien dévoué,

Léon BEAUVALLET.

On se demandera peut-être en l'honneur de quel saint nous avons placé cette lettre, écrite, il y a deux mois, à notre retour en France,

volume.

C'est bien simple.

en tête de ce

Si nous n'eussions pas adressé ladite missive au très

spirituel rédacteur du Figaro,

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rément ses vérités, maintenant que nous n'avons plus besoin de lui !) il est clair comme le jour que Villemessant n'eût pu nous répondre : « Votre idée me va cómme plusieurs gants. Travaillez vite! Les bras du Figaro vous sont ouverts. »

Sans cette adhésion, il nous eût été matériellement impossible de publier notre voyage dans le journal précité. Repoussé de ce côté, il est plus que probable que nous nous serions privé de traîner ailleurs nos guêtres et nos histoires de l'autre monde.

Lesdites histoires n'ayant été publiées dans aucun journal, notre ami Cadot n'eût pu songer un instant à les reproduire, malgré la meilleure volonté du monde. Et voilà pourquoi la lettre en question, se trouvant être la seule et unique cause de ce livre, se carre si majestueusement à la première page.

Quelques jours après son apparition dans les colonnes du Figaro (14 février), H. de Villemessant, — déjà nommé, faisait paraître la note suivante :

<< Nous commençons aujourd'hui, sous le titre de Rachel et le Nouveau-Monde, une publication, destinée, nous le croyons, à un grand succès de curiosité; -c'est à Figaro,—qui, le premier, a révélé au public, dans tous ses détails, le traité de mademoiselle Rachel avec son frère; son directeur, qui, le premier, a publié les noms et les appointements des artistes composant la troupe de M. Raphaël; qui, le premier, a fait

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