Imágenes de páginas
PDF
EPUB

cens pauvres et un ton mesquin seraient incompatibles avec l'énonciation d'une idée riche; ce serait associer les haillons de la misère aux superbes ornemens de l'opulence. Comme tout s'enchaîne dans les dispositions du cœur humain, je puis citer en exemple un homme couvert d'une riche parure. Voyez l'espèce d'orgueil et d'importance qui siege sur son front: il croirait en quelque sorte être au-dessous des riches ornemens qui le décorent, s'il prenait un ton bas et rampant. Tel doit être le lecteur chargé d'exprimer des idées riches et brillantes: orgueilleux d'avoir une pareille tâche à remplir, il appelle à son secours toutes les ressources de la belle éloquence, et il ne permet pas que les pensées riches sortent de sa bouche, appauvries par des accens monotones ou languissans.

Les idées naïves sont celles qui dérivent du fond du sujet même, et qui viennent se présenter à l'esprit sans être demandées. Pour les énoncer avec intérêt, il faut être dans la nature, et écarter tout effort de sentiment et toute prétention. Les charmes de la naïveté consistent dans une expression dégagée de toute espèce d'apprêt, et dans une analogie parfaite avec la nature simple et sans fard. Si le lecteur, en exprimant une idée naïve, conservait la moindre disposition à l'afféterie, il lui enleverait tout son mérite, et à ses auditeurs tout le plaisir qu'elle devait leur causer. Nous verrons plus en détail, à l'article Apologue, de quelle manière doivent être énoncées les pensées naïves.

Enfin il y a une dernière espèce de pensées qui en

porte le nom par excellence, sans être désignée par ancune qualité qui lui soit propre. Ce sont ordinairement des réflexions de l'auteur même, enchâssées avec art dans le sujet qu'il traite: tantôt c'est une maxime de morale, tantôt c'est un principe de politique. Ces sortes de pensées ou de sentences doivent être détachées par le lecteur du corps de sa lecture, et présentées en quelque sorte d'une manière isolée. Si elles sont enchâssées dans le récit d'un fait, le ton de la narration doit être brusquement coupé à l'endroit où elles commencent, et repris lorsqu'elles sont énoncées, comme dans cet exemple: «Les séditieux tombèrent à ses genoux: -Eh! qui pourrait résister à l'ascendant de la beauté parée de tous les charmes de la vertu ! → En vain mille voix les encourageaient au-dehors au meurtre et à la vengeance; le respect et le remords les tinrent prosternés aux pieds de celle dont ils avaient juré la mort... » Le ton avec lequel ces idées isolées doivent être transmises, sera toujours grave, très marqué, et surtout expressif. Il faut que les maximes de morale ou de politique qui viennent à l'appui d'un récit, ajoutent à l'intérêt des faits dont il s'agit, et fassent une impression profonde sur l'esprit des auditeurs; c'est surtout lorsque ces pensées servent à justifier une action qu'il faut peser sur elles, et les graver fortement dans l'âme de ceux qui écoutent. Souvent au barreau tout dépend de l'effet que peuvent produire sur les juges ces sortes de pensées isolées, dont le but est de justifier une action, ou d'atténuer l'horreur qu'elle inspire. «Eh! quel homme parmi ceux qui m'écoutent,

k

[ocr errors]

s'écriait Linguet dans une affaire où il s'agissait d'arracher un de ses cliens aux suites d'une action criminelle, quel homme, s'il se sentait accablé de tant de maux à-la-fois, pourrait répondre de ses actions, et des mouvemens de son âme?»

Avant de terminer mes observations sur la conduite du lecteur, relativement aux idées, je remarquerai que souvent il s'en faut bien que l'expression employée par un écrivain pour représenter une pensée, soit dans le même goût que la pensée elle-même. Souvent il y a dans cette expression un caractère qui ne se trouve point dans l'idée. Par exemple, l'expression pent être fine sans que la pensée le soit. Quand Hippolyte dit, en parlant d'Aricie: Si je la haïssais, je ne la fuirais pas, la la pensée n'est pas fine, mais l'expression l'est, parce qu'elle n'exprime l'idée qu'à demi. De même l'expression peut être hardie, sans que la pensée le soit. Ce qui produit entre elles cette différence, c'est la diversité des règles de la nature, et de celles de l'art en ce point. Il serait naturel que l'expression eût le même caractère que la pensée; mais l'art a ses raisons pour en user autrement. Quelquefois par la force de l'expression on donne du corps à une idée menue et délicate; quelquefois par la douceur des mots, on tempère la dureté des pensées: un récit serait trop long, on l'abrège par la richesse des expressions; un objet est vil, on le couvre, on l'habille de manière à le rendre décent.

Dans tous ces cas, le lecteur doit s'en rapporter à l'expression, et transmettre à ses auditeurs la pensée

avec l'intérêt qu'exige la parure qui la couvre. C'est l'intention de l'écrivain qui doit alors lui servir de guide; et s'il ne peut jamais la travestir, il en a encore moins le droit lorsque des raisons particulières et puissantes sans doute, l'ont déterminée.

SUITE DE LA CINQUIÈME LEÇON.

Des Argumens, et de la manière de les énoncer.

En traitant des pensées et de la nécessité d'en apprécier le caractère, la valeur et la force, je n'ai fait que présenter une partie des moyens qui peuvent conduire un lecteur à un des principaux objets de sa lecture, celui de frapper l'esprit des auditeurs. Il ne suffit pas en effet de connaître les pensées en elles-mêmes, il faut encore les connaître dans leur liaison, dans leur dépendance, et dans les conséquences qu'elles amènent. Ce discernement des pensées réduites en argumens, est une des conditions indispensables d'une bonne lecture. Quel que soit le sujet d'un discours et le lieu où on le prononce, les argumens ou raisonnemens en formeront toujours une partie très importante; car, dans toutes les occasions sérieuses, l'homme qui parle a pour but de démontrer à ses auditeurs qu'une chose quelconque est bonne ou mauvaise, juste ou injuste, vraie ou fausse, et de déterminer leur conduite au moyen de cette conviction.

Pour expliquer ce que c'est qu'un argument, il faut savoir qu'il y a trois sortes de pensées : la première,

comme nous l'avons déjà dit, est une simple représentation de quelque chose dans l'esprit, comme quand je me retrace l'image d'un ami absent : c'est ce qu'on appelle communément idée.

La seconde est la représentation de deux idées enchaînées, comme quand je me dis en moi-même : mon, ami est sincère dans ses attachemens: c'est un juge

ment.

[ocr errors]

La troisième est la représentation du rapport de deux ou plusieurs liaisons entre elles, comme quand je me dis en moi-même : mon ami est sincère dans ses attachemens; donc il m'aime encore malgré son absence: c'est le raisonnement. Ainsi, concevoir, juger, raisonner, voilà les trois opérations de l'esprit.

Quand ces trois espèces de pensées sont exprimées par des mots, elles changent de nom. L'idée s'appelle terme, le jugement proposition, le raisonnement argument.

Les raisonnemens, comme l'on voit, supposent les jugemens, et les jugemens les idées, ou, ce qui est la même chose, les argumens sont composés de propositions, et les propositions sont composées de termes.

L'argument a quelquefois trois propositions, comme dans cet exemple:

« Il faut aimer ce qui nous rend heureux.
Or, la bienfaisance nous rend heureux

Donc il faut aimer la bienfaisance. >>

[ocr errors]
[ocr errors]

Voilà ce qu'on appelle un syllogisme en forme. La

« AnteriorContinuar »