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tres, dorénavant, grand prince, je veux apprendre à rendre la mienne sainte. Heureux, si, averti par ces cheveux blancs du compte que je dois rendre de mon administration, je réserve au troupeau que je dois nourrir de la parole de vie, les restes d'une voix qui tombe et d'une ardeur qui s'éteint! »

Cette conclusion conserve évidemment le caractère de mélancolie et de tristesse qui a animé tout le discours. En la lisant, l'âme ne peut se défendre d'y participer, et de l'énoncer en quelque sorte avec une voix presqu'éteinte.

Il n'en est pas ainsi de la conclusion du discours que Milton met dans la bouche de Satan, lorsque celui-ci veut animer ses compagnons à la révolte contre Dieu. Ce morceau renferme-à-la fois, et le pathétique, et la conclusion.

<«< Eh quoi! dit Satan, pour avoir perdu le champ de bataille, tout est-il perdu? Une volonté inflexible nous reste encore, un desir ardent de vengeance, une haine immortelle, et un courage indomptable. Sommes-nous donc vaincus? Non; malgré sa colère, malgré sa toute puissance, il n'aura point la gloire de m'avoir forcé à fléchir un genou suppliant pour lui demander grâce. Je ne reconnaîtrai jamais pour souverain celui dont ce bras a pu faire chanceler l'empire : ce serait une bassesse, une ignominie, un affront plus sanglant encore que notre défaite. Faut-il qu'un revers nous ôte tout courage? Cherchons notre consolation dans les arrêts du destin. Notre substance est immortelle; nos armes sont toujours les mêmes; nos lu

mières sont augmentées; nous pouvons donc, avec plus d'espoir de succès, par force ou par ruse, faire une guerre éternelle à notre grand ennemi, qui main-tenant triomphe, et qui, charmé de régner seul, exerce dans le ciel toute sa tyrannie. »

L'audace, la haine, l'ambition et le dépit éclatent dans cette conclusion, comme dans toute la conduite et tous les discours de Satan. Ce n'est donc ni avec un' ton faible, ni avec une voix molle qu'il faut l'énoncer. Inflexible comme son héros, le lecteur, jusqu'au dernier moment, doit déployer une éloquence véhémente, fière et audacieuse. Il en est de même de la conclusion prononcée par Antoine dans la Mort de César. Ce triumvir, pour persuader aux Romains de venger le meurtre de César, avait fait apporter à leurs yeux le corps sanglant de ce héros. Les Romains 'éperdus, frémissent à ce spectacle. Un d'entreux, saisi d'horreur et de compassion, s'écrie:

<< Dieux! son sang coule encore. »

Antoine suit cette idée, et achève de leur mettre les armes à la main par cette pathétique conclusion: Il demande vengeance;

Il l'attend de vos mains et de votre vaillance;
Entendez-vous sa voix ? Réveillez-vous, Romains,
Marchez, suivez-moi tous contre ces assassins:

Ce sont là les honneurs qu'à César l'on doit rendre.
Des brandons du bûcher qui va le mettre en cendre,
Embrâsons les palais de ces fiers conjurés,

Enfonçons dans leur sein nos bras désespérés.
Venez, dignes amis ! venez, vengeurs des crimes,

Au Dieu de la patrie immoler ces victimes.

Quand la péroraison ne renferme qu'une analyse simple du discours, qu'un résumé concis et rapide. des argumens répandus et développés dans le corps de l'ouvrage, comme dans les affaires du barreau, le lecteur, renonçant au ton sentimental dont l'objet est d'aller au cœur, doit revenir au ton méthodique, clair et expressif d'une discussion didactique. C'est une dernière tentative qu'il a à faire, non plus sur le cœur des juges, pour les toucher, mais sur leur esprit, pour achever de les convaincre : c'est un tableau rapide qu'il leur remet sous les yeux, de ses droits à leur justice, et de la bonté de sa cause. Son ton, en concluant, doit donc être noble, élevé, pressant, tel, en un mot, qu'en finissant, les auditeurs soient forcés en quelque sorte de convenir de la justice de ses récla

mations.

TROISIÈME SUITE DE LA SIXIÈME LEÇON.

De la connaissance, par rapport au lecteur, des lieux communs de l'oraison.

Outre les parties principales du discours qui en constituent la disposition logique et oratoire, il est quelquefois des parties secondaires qui s'y trouvent, et qui s'enchâssent en quelque sorte dans les premières, soit pour leur prêter leur appui, soit pour leur servir d'ornement; mais toujours pour concourir avec elles à faire une plus forte impression sur l'esprit des auditeurs. Ces parties secondaires sont ce qu'on appelle en rhétorique lieux communs de l'oraison. Les prin

cipales sont, la définition, l'énumération des parties, la similitude, la différence et les circonstances. Parcourons successivement ces parties secondaires du discours.

La définition est un discours propre à faire concevoir une chose telle qu'elle est, et à en donner une idée claire, juste et distincte. Elle est ou oratoire, ou philosophique.

Les définitions de l'orateur diffèrent de celles du philosophe, en ce que celles-ci expliquent strictement et sèchement quelque chose par son genre et par sa différence, tandis que, dans les définitions oratoires, l'écrivain se donne plus de liberté, et définit d'une manière plus étendue et plus ornée. ·

Dans la lecture des définitions philosophiques, la précision, l'exactitude et la clarté sont d'autant plus essentielles, que, généralement parlant, les hommes ne sont en contradiction que pour ne pas avoir défini, ou pour avoir mal défini. La meilleure définition dans la bouche d'un mauvais lecteur, peut avoir le sort de la plus mauvaise des définitions, c'est-à-dire, qu'il peut tellement l'obscurcir, soit par la rapidité de son débit, soit par une prononciation incorrecte, triviale, embarrassée ou confuse, soit par la fausse interprétation des idées, que ce qui devait le plus contribuer à aplanir les difficultés de la discussion, les embrouille et les multiplie. Quand, par exemple, un professeur, en définissant la science ou les différentes branches de la science qu'il professe, ne s'énonce avec cette méthode, cette clarté et cette précision qui ouvrent en

quelque sorte l'intelligence de ses auditeurs, et leur épargnent une partie de l'attention profonde et soutenue qu'ils doivent donner à des matières souvent sèches et abstraites, que devient le reste de sa leçon, et de quelle utilité peut-elle être à ceux qui n'en ont pas compris les premières idées, les idées fondamentales? La définition est toujours le premier pas que fait un professeur dans la science qu'il se propose d'enseigner. Tout dépend de cette première opération, parce que tout s'y rattache et en est une suite: si elle est manquée, c'en est fait du reste de la discussion, et le professeur a déjà perdu tout le fruit de son travail.

Les définitions oratoires, sans avoir peut-être la même importance, n'exigent pas moins, de la pårt du lecteur, une clarté et une précision infinies. Sa tâche essentielle, dans cette partie du discours, est de ne laisser passer légèrement aucun des traits qui caractérisent la chose qu'il définit, et de les présenter tous avec une égale force et un égal intérêt.

Définition d'une armée dans l'Oraison funèbre de Turenne, par Fléchier.

« Qu'est-ce qu'une armée? C'est un corps animé d'une infinité de passions différentes, qu'un homme habile fait mouvoir pour la défense de la patrie...... C'est une troupe d'hommes armés qui suivent aveuglément les ordres d'un chef dont ils ne savent pas les intentions..... C'est une multitude d'âmes pour ·la

I.

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