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L'art de phraser, ou, ce qui revient au même, l'art de conduire une phrase ou une période, de manière que l'esprit des auditeurs aperçoive et saisisse distinctement et sans contention, le sens des idées qu'elle renferme, me paraît d'une si grande importance dans les discours publics, que je ne crains point de le placer à côté de l'indispensable condition d'une bonne et juste prononciation des mots. On peut et l'on doit même se passer quelquefois du secours des hautes i flexions et de celui de l'expression extérieure, qui sont, a rès tout, au débit public, ce que le luxe d'une riche broderie est à un vêtement: mais jamais on ne peut se passer de l'art de phraser régulièrement; parce que ses applications sont universelles, et qu'il n'est pas une idée dont l'exacte transmission ne dépende de la manière dont on la décrit. Je m'intéresse peu à la fausse méthode de ceux qui ne lisent que pour eux : s'ils font des erreurs, ce n'est du moins qu'à leur pro

pre préjudice. Mais, quand je me représente un lecteur, brouillant et confondant par sa diction vicieuse, les idées dont il s'est constitué l'organe, égarant l'esprit de ses auditeurs à travers un dédale de mots et de phrases, dont il ne sait point faire sentir les divisions ou les rapports; je ne puis, je l'avoue, supporter la présomption de son entreprise, et son rôle me paraît d'autant plus déplacé, qu'il outrage à-la-fois et l'écrivain dont il s'est chargé de transmettre les idées, en dénaturant toutes ses intentions, et l'intelligence de ceux à qui il s'adresse, en la soumettant à une indigne torture. Et que devient, en effet, sa lecture, lorsque l'esprit de ses auditeurs est forcé de s'arrêter sur des pensées mal phrasées, pour en démêler le sens et l'intention exacte, tandis que dans ce même instant, le mauvais lecteur court dans son sujet, semant partout le même principe de désordre, laissant à chaque pas derrière lui l'esprit de ceux qui l'écoutent, jusqu'à ce qu'enfin, lassés de leur contention, rebutés de prêter inutilement l'oreille à une lecture si obscure, si confuse, ils l'abandonnent et cessent de l'entendre? Dans toute bonne lecture, ou dans tout débit quelconque, il faut que l'énonciation de chaque idée porte avec elle une telle lumière, que l'intelligence des auditeurs satisfaite, puisse passer sans effort aux idées subséquentes, et en suivre la série jusqu'à la fin du discours, sans embarras, comme sans interruption: quand l'esprit est ainsi conduit et éclairé, son attention est sûre, et le but principal de tout débit public est rempli.

Mais il faut l'avouer, l'art de bien phraser, ne peut être l'effet ni du goût arbitraire des lecteurs, ni de quelques notions superficielles, suffisantes peut-être pour ceux qui souscrivent à rester toute leur vie des lecteurs ou des orateurs vulgaires. C'est à vous, messieurs, qui sentez le prix de l'art de la parole, que je m'adresse; et voici quelles sont, pour votre compte, les notions grammaticales et littéraires qui m'ont paru devoir nécessairement conduire à l'art de bien phraser.

Premièrement, il faut connaître le génie de la langue dans laquelle on s'exprime, ses formes, ses constructions particulières et les lois de sa syntaxe.

Secondement, ce que c'est qu'une période, comment elle se divise, et quels sont les espaces ou repos dont le discours est susceptible.

Troisièmement, il faut être exercé dans la connaissance et l'analyse des pensées, savoir discerner leur nature, leur force, leurs rapports et leurs qualités logiques ou oratoires.

Quatrièmement enfin, on doit connaître l'ordre général des compositions littéraires, et être en état de les suivre convenablement dans toutes leurs parties.

I.

De la connaissance, par rapport au lecteur, du génie de la langue dans laquelle il s'exprime, de ses formes particulières, et des lois de sa syntaxe.

Proposer l'étude du génie particulier de sa langue. à celui qui veut la parler en public avec correction et

méthode, c'est le ramener à la première source de l'art de phraser regulièrement. Rien n'est plus simple en effet pour quiconque est jaloux d'exprimer avec clarté les idées qu'il doit transmettre, que de chercher à connaître les formes et les constructions particulières sous lesquelles ces idées sont exposées; de cette connaissance, dépend celle du sens que renferment les signes extérieurs de la parole, et par conséquent une des notions grammaticales les plus nécessaires à un lecteur.

pas

L'arrangement des mots employés par une langue, est ce qui en constitue le génie particulier. Sous ce rapport, il n'est pas une langue de laquelle on ne puisse dire qu'elle a un génie qui lui est propre, parce qu'il n'en est pas une qui ne comporte dans sa construction et dans les formes qu'elle a adoptées, des différences très remarquables. D'où peut venir cette variété notable dans les langues? Les hommes, en ce qui leur est essentiel, ne sont-ils pas les mêmes dans tous les lieux et dans tous les temps? N'ont-ils tous une faculté qui pense, et une autre qui sent? Ne communiquent-ils pas en tous lieux à leurs pareils les mouvemens intérieurs de ces facultés, par le motif du besoin; et ne sont-ils pas toujours portés à se faire cette communication par la voie la plus courte et la plus sûre? Oui, sans doute, c'est le besoin, ce ressort impérieux, qui imprime partout aux pensées des hommes le même mouvement et la même activité; nulle distinction, ni pour les pays, ni pour le temps: mais, s'il produit partout le même ordre dans les

idées, il n'en est pas ainsi de la parole qui en est le résultat extérieur et sensible: ce second ressort a plus ou moins de vitesse, plus ou moins de force, selon le caractère des peuples qui l'emploient. Chez les peuples flegmatiques et lents, par exemple, il n'est pas surprenant de voir toutes les idées principales et accessoires se classer tour-à-tour, et avec toutes leurs circonstances dans leur langue, parce qu'il est dans leur caractère de prendre tout le temps nécessaire pour exprimer leurs pensées et pour les offrir jusque dans le plus petit détail. Chez les peuples qui ont plus de vivacité et de feu, la langue exprime moins de choses et en laisse deviner davantage, parce que, se contentant des principales idées qu'ils expriment fortement, ils négligent les autres qui pourraient les arrêter dans leur course, et les empêcher d'arriver si tôt. Delà, cette différence de couleurs qui règne dans les langues; delà ces formes variées, ces constructions diverses qui les distinguent, et dans lesquelles on remarque néanmoins toujours le caractère particulier du peuple qui les parle.

L'histoire des langues, sous ce rapport, offrirait ici un tableau curieux, et je l'introduirais volontiers dans cet ouvrage, si je ne craignais d'associer à mon sujet des discussions qui m'entraîneraient trop loin. Mais ce qui doit rester pour constant, d'après le principe de la variété des langues quant à leurs formes extérieures, c'est l'indispensable nécessité, pour ceux qui veulent les phraser régulièrement, de bien se pénétrer de leur génie pour y conformer leur diction.

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