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Ailleurs, Baour - Lormian le peignait sous ces traits:

Tous nos drames pleureurs ne sont qu'un froid jargon
Qu'un dégoûtant amas de sang et de poison,

Qu'un mélange confus de malheurs et de crimes,
De tableaux surannés, de stériles maximes,
De songes, de récits.... l'auditoire en langueur
Mesure avec effroi leur mortelle longueur..

Enfin, je vais vous lire un conte de Hoffman, intitulé: L'Origine du drame, qui obtint dans le temps où il parut une très grande vogue.

Quand de Sapho les jeunes prosélytes,
Au cœur brûlant, aux regards hypocrites,
Par les douceurs d'un art tout féminin
Charmaient l'oubli du sexe masculin ;
On n'a point vu leur fureur libertine
Se féconder de leurs baisers menteurs;
Et, de tout temps, la matrone Lucine
A dédaigné leurs stériles ardeurs.

Mais de nos jours, au milieu du Parnasse,
De deux tendrons le couple fortuné,
Au grand regret de Phébus étonné,
Vient de donner un germe de sa race.
Au seul récit de cet étrange hymen,
Mon cher lecteur, sans beaucoup d'examen,
A reconnu Melpomène et Thalie,
L'un si belle et l'autre si jolie,
Et pour leur fils, le Drame basané
Rieur amer et pleureur forcéné.
Le nouveau-né suivit la double trace
De ses parens, et leurs diverses lois :

Mais voulant rire et pleurer à-la-fois,
On dit qu'il fit une horrible grimace.
A son aspect tout le Pinde frémit;
A ses accens Apollon le maudit.

Ses deux mamans de honte se cachèrent,
Et
pour
leur fils trois fois le renièrent.
Mais un conseil qui bientôt s'assembla,
Fixa le sort du nouveau phénomène.
Sous les lauriers qui bordent l'Hipocrène,
Le blond Phébus en ces termes parla':

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Puisque ce monstre, enfant de deux pucelles, «Est né chez nous, qu'il y reste avec elles :

« Mais en vertu de notre autorité,

« Nous l'excluons de l'immortalité ;
« Et si jamais une Muse facile
«S'amourachait de ce drame éhonté,
<< De par le Styx, elle sera stérile,
« Monstre jamais n'eut de postérité.

La raison de tout ce déchaînement était prise dans la révolution qu'avait réellement opérée dans l'art dramatique une pièce de Lachaussée, le Préjugé à la mode, jouée avec beaucoup de succès le 3 février 1735. Ce poète considérant sans doute que pendant l'espace d'un siècle entier, tous les écrivains qui s'étaient succédés avaient couru une même carrière, .et qu'il ne restait à leurs successeurs que les difficultés de la concurrence et les dangers de l'imitation, imagina de se frayer de nouvelles routes; et c'est dans cet esprit qu'il introduisit sur notre théâtre ce genre de comédie mixte, dont les anciens avaient bien donné l'idée dans l'Andrienne de Térence, dont on retrou

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vait les traces dans les anciennes tragi-comédies qui se jouaient chez nous dans l'enfance de l'art, et que les Shakespeare, les Calderon, les Lopès et les Goldoni réalisaient chez nos voisins; mais qui plus étendu chez lui, plus déterminé et surtout plus régulier, devait lui mériter le titre de fondateur de ce nouveau

genre.

Lachaussée est en effet considéré comme tel, et le mérite de ses pièces qui n'est pas contesté, qui est encore le même après quatre-vingts ans, et qui a excité l'émulation d'un nombre considérable d'écrivains d'un talent supérieur, prouve qu'il ne s'était mépris, ni sur l'intérêt de cette nouveauté, ni sur l'esprit de la nation à laquelle il la présentait, pour augmenter ses jouis

sances.

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On a regardé cette entreprise comme une corruption de l'art; c'est peut-être pousser trop loin les conséquences. Il n'y a de corruption que dans ce qui est d'un goût faux, et les drames, comme les autres genres, peuvent valoir plus ou moins, selon qu'ils sont bien ou mal traités.

Tout ce qu'on peut dire de plus juste, ce me sernble, c'est que cette espèce de composition est réellement au-dessous du grand tragique et du comique véritable; parce que, dit Laharpe, empruntant quelque chose de l'un et de l'autre, elle affaiblit par ce mélange le caractère essentiel de tous les deux; parce que voulant en même temps émouvoir comme dans la tragédie et amuser comme dans la comédie, elle est beaucoup moins touchante que la première, et

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beaucoup moins gaie que la seconde : et cette disproportion sera toujours inévitable, par la raison qu'il ne paraît guère possible d'assembler des impressions si diverses, sans leur ôter de leur force.

que

l'on

Au reste, messieurs, quels que soient les jugemens que l'on ait portés de ce nouveau genre, et peut porter encore, il est facile de voir qu'il a déjà vaincu toutes les oppositions, et qu'il s'avance dans la carrière de l'art théâtral, soutenu par l'assentiment presqu'universel des esprits et par leur tendance vers les nouveautés. On aurait beau se le déguiser, il s'opère dans le domaine de l'art dramatique, une révolution lente, insensible, qui mine sourdement l'ancien édifice de notre poésie scénique, et qui finira peut-être par le renverser. Nos trois unités, sources de tant de beautés dans nos poètes classiques, commencent à peser à nos écrivains, et il ne faut qu'un empiétement de plus sur Popinion et sur les principes reçus, pour les faire franchir à front découvert. D'un autre côté, la difficulté de trouver de nouveaux sujets, ou le desir de la singularité, font recourir aux œuvres des poètes étrangers, et nos mœurs théâtrales contractent dans cette communication la teinte du genre et du caractère de leurs compositions. Il y a presque autant d'admirateurs aujourd'hui parmi nous des Schiller, et des Shakespeare que des Corneille et des Racine. Est-ce une preuve de la décadence du goût? Est-ce un effet néces saire de la marche de l'esprit humain? Il faudra pourtant qu'il prenne une assiette, et alors seront fixées sans doute toutes les hésitations qui nous tiennent en

core en balance sur les meilleures formes du genre dramatique. Ce sera l'ouvrage des génies qui viendront attacher leur puissance à leurs créations, et qui y feront reposer encore l'esprit humain, jusqu'à ce que de nouvelles impulsions, de nouveaux goûts l'entraînent encore dans d'autres routes, ou (ce qui vaudrait encore mieux) le ramènent vers celles que se sont frayées nos modèles.

II.

De la lecture des compositions dramatiques.

Après avoir donné une idée des trois principaux genres qu'embrasse la poésie dramatique, nous allons traiter particulièrement de la manière de lire les pièces de théâtre : et prenez garde, Messieurs, que je dis simplement de lire; car il ne faut pas confondre cet exercice avec la manière de déclamer un œuvre dramatique qui comporte en effet une grande différence. Lire une pièce de théâtre peut être un objet d'étude, de délassement ou de curiosité pour toute espèce de personnes. La déclamer n'appartient qu'à ceux qui font profession de monter sur la scène. J'ai déjà montré ailleurs (page 215), combien l'affectation des hautes inflexions théâtrales et des autres moyens qui concourent à favoriser l'illusion scénique, appliquée à la lecture d'une pièce dramatique faite dans les réunions de société, était vaine et blessait même les convenances: je maintiens ici de tout mon pouvoir ce principe, par une raison plus décisive encore; c'est qu'une pareille pré

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