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A HAUTE VOIX.

PREMIÈRE PARTIE.

DES MOYENS

DE CAPTIVER L'OREILLE,

OU

DES CONDITIONS GRAMMATICALES D'UNE bonne pronONCIATION.

PREMIÈRE LEÇON.

Avant de déclamer, il faut savoir parler:

a dit un de nos poètes, qui a consacré sa plume à l'art de la déclamation (Dorat). Une prononciation exacte, nette et régulière, est en effet la première condition de l'art de la parole, c'est celle qui sert de base à toutes les autres; et, prétendre aux succès brillans de cet art, sans avoir auparavant appris à bien parler, c'est s'abuser étrangement, c'est ressembler àpeu-près à un peintre mal-habile, qui voudrait revêtir des nuances les plus délicates de la peinture, une esquisse dégradée ou grossièrement préparée. Ni la

beauté du geste, ni la richesse des inflexions, ni le charme d'une physionomie expressive, ni les éclats d'un organe sonore et mélodieux, rien de tout cela ne peut couvrir les vices d'une prononciation défectueuse. Que dis-je? tous ces dons, au contraire, disparaissent et se flétrissent quand ils n'ont pas pour appui une prononciation correcte, pure, et conforme au génie de la langue que l'on parle.

Parcourez les différens théâtres de l'art de la parole, et cherchez pourquoi tant d'hommes y échouent ou y restent toute leur vie dans une humiliante médiocrité : vous verrez que toujours la première cause de : leur disgrâce est dans leur mauvaise diction et dans leur débit irrégulier.

Pourquoi en effet tel lecteur y excite-t-il tant de dégoût? c'est qu'il y parle comme une langue qui lui est étrangère, et qu'il y outrage, par les fautes les plus grossières, les premières lois de la prononciation française. Pourquoi tel autre y traîne-t-il tant d'ennui pour ses auditeurs? c'est qu'il n'y fait entendre que des sons confus et incertains, des mots tronqués, à demi exprimés, des syllabes à peine énoncées; en un mot, c'est qu'il n'y a aucune sorte de netteté ni de clarté dans son articulation. Et ailleurs, pourquoi le débit public est-il accompagné de tant de sécheresse et d'insipidité? c'est que l'orateur n'y prosodie aucun de ses mots; que souvent, au lieu de marcher, il se traîne pesamment, allongeant outre mesure toutes ses syllabes; et que plus souvent encore, lieu d'avancer avec méthode, il court, il se précipite,

ne laissant aucune trace de ses idées: semblable à celui qui, voulant faire remarquer les beautés d'un tableau, le coulerait rapidement sous les yeux de l'observateur, et le ferait disparaître immédiatement après. Et ailleurs enfin, pourquoi tant de rudesse, d'embarras et de dissonances dans les discours sou

tenus? c'est que celui qui les prononce ignore le grand art de la liaison des mots; qu'il tourmente son organe dans les passages qu'il devrait adoucir, et qu'il restitue à la langue toutes les aspérités des siècles de barbarie et de mauvais goût.

Je donnerais trop d'extension à ce tableau, si je voulais vous retracer ici tous les inconvéniens d'une mauvaise prononciation. L'organe le plus important, et en même temps le plus difficile à contenter, qui s'interpose entre le lecteur et ses auditeurs, est celui de l'oreille. On est généralement indulgent sur les impressions qui frappent les autres, parce qu'on sent bien qu'il n'est pas donné à tous les hommes d'exceller dans l'action extérieure: mais on est inexorable sur les impressions qui s'adressent à l'oreille, parce que le premier devoir de celui qui parle en public est de se faire bien entendre, et que la première condition de celui qui écoute est de saisir sans peine, sans étude, sans efforts, les idées qu'on veut lui transmettre.

Quintillien, traitant le même sujet, emprunte, pour le rendre sensible, une image frappante : il compare l'oreille à un vestibule. Si les paroles, dit-il, y arrivent en désordre, confuses, sans caractère, on faussement exprimées, elles sont repoussées, rejetées,

et l'entrée du cœur et de l'esprit leur est interdite. Nihil potest intrare in affectum, quod in aure quodam vestibulo statim offendit.

D'après cela, Messieurs, comment caractériser la conduite de ceux qui s'exposent à l'épreuve des lectures publiques, sans avoir préalablement réformé les vices de leur prononciation, qui revêtent d'inflexions tranchantes et oratoires une diction pitoyable? Rien n'est plus ridicule que cette prétention et cet alliage. Ce sont les bases qu'il faut d'abord solidement asseoir pour parvenir aux beaux effets de l'art de la parole: c'est la prononciation qu'il faut d'abord soigner et régulariser. Quand cela est fait, alors les prétentions sont permises; alors le débit peut recevoir tous les ornemens que l'intelligence, le goût et la sensibilité du lecteur peuvent lui inspirer; alors tout est en harmonie dans la noble fonction que l'homme exerce en parlant en public; alors il a droit d'aspirer au projet de maîtriser les cœurs et les esprits par l'irrésistible empire du plus beau des arts.

Cette partie de mon cours se rapportant tout entière à la manière dont un lecteur doit grammaticalement s'énoncer, je la réduis à quatre points de vue généraux premièrement, à la manière de former et d'émettre les sons élémentaires, soit simples ou articulés, qui servent de base au langage; secondement, à celle de combiner et de lier ces sons et ces articulations, pour en faire résulter des syllabes et des mots régulièrement exprimés; troisièmement, à celle de donner aux sons, dont les mots sont formés, la valeur proso

dique qui leur convient; quatrièmement enfin, à la manière d'enchaîner ou de diviser les mots dans le discours; le tout fondé sur ce que les lois et le génie de la langue française prescrivent à cet égard.

I.

Du génie de la Langue française, quant à la formation des sons simples et des sons articulés qui constituent son alphabet.

L'invention de l'alphabet est sans contredit une des plus belles découvertes de l'esprit humain; elle fut, comme presque toutes les autres, le résultat du

besoin.

Après s'être long-temps occupés des moyens de se communiquer verbalement leurs pensées, à l'aide des sons et des mots, les hommes, durent sentir que ces moyens ne suffisaient pas encore à l'étendue de leurs relations; ils imaginèrent donc, pour converser avec les absens, des signes ou des caractères qui, parlant à la vue de ceux à qui on les adressait, devaient leur transmettre distinctement une suite d'idées ou de faits.

Les premiers essais de ce genre furent très certainement des peintures. L'imitation est si naturelle à l'homme, que, dans tous les temps et chez tous les peuples, on a inventé quelque expédient pour copier ou pour tracer la ressemblance des objets sensibles. La seule écriture connue des Mexicains, lorsque l'Amérique fut découverte, consistait dans des peintures

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