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faussé dans leur position; il n'y a plus d'accord entre elle et son objet, et de part et d'autre la chute est inévitable.

Et ce qui me paraît bien digne d'être senti et remarqué, c'est la nécessité de faire prédominer la dignité et la noblesse dans toutes les passions quelconques d'une pièce dramatique, passions qui souvent se diversifient à l'infini dans le cours d'un rôle, et transportent l'acteur aux extrémités quelquefois les plus opposées des sentimens humains. Ainsi, dans les scènes où l'amour d'Orosmane se manifeste par les aveux les plus doux et les plus expansifs, comme dans celles où ce même amour aigri, furieux, tantôt lui arrache des pleurs, expression du dernier degré de la faiblesse humaine, et tantôt le précipite dans des transports qui semblent ne pouvoir être apaisés que dans le sang de celle qu'il adore; dans tous ces contrastes, la dignité de l'art ne doit jamais rien perdre de ses droits. Il a même plus, et je dis que c'est surtout dans les cas où les passions ont atteint le dernier terme du désordre et du délire, qu'il est souverainement dangereux de sortir de la ligue des convenances de cette dignité. Il faut dans ces occasions, et il n'y a pas de milieu; ou faire frémir, ou faire rire; car vous sentez-bien qu'il n'y a rien au fond qui approche plus de l'extravagance et de la folie, que ces sortes de situations; et que, pour en tirer des effets tragiques, il faut nécessairement quelque chose de plus que ce qui est dans leur

essence.

y

C'est la dignité théâtrale appliquée à tous les ressorts

du jeu de la scène, qui peut seule soutenir l'acteur dans ces crises violentes des passions humaines; dépouillées de ce prestige, elles tombent dans la parodie, et le public, dont le goût ne peut être, à cet égard, ni surpris, ni égaré, au lieu d'y puiser des émotions de terreur ou de pitié, résultat nécessaire de la tragédie, les métamorphose en sujets de comédie grotesque ou de farce, si vous l'aimez mieux, dont il fait tomber le ridicule sur l'acteur qui n'a pas su soutenir son personnage, et qui a eu la maladresse de le livrer dans toute sa nudité à la dérision et au mépris. Pourquoi les fureurs, d'Oreste font-elles plus souvent rire que frémir? C'est que l'acteur qui les exprime, faute de saisir le point fixe après lequel il n'y a plus d'illusions théâtrales, les présente accompagnées de cris et de contorsions qui réveillent toutes les idées d'un délire absurde et risible. Nous n'avons, je crois, qu'un modèle qui unisse les véritables convenances de la dignité tragique, avec la forte expression que renferme cette situation; c'est celui que nous offre Talma dans ce fameux dénouement d'une de nos plus belles tragédies qui a été et qui sera long-temps peut-être l'écueil des talens même les plus exercés.

Quant au jeu muet, dont l'expression entre si avant dans l'action dramatique, il a sa racine et en même temps son modèle dans les formes les plus simples et les plus habituelles de la vie sociale. Voyez deux hommes s'entretenant d'affaires sérieuses; ils parlent alternativement: mais tandis que l'un porte la parole, l'autre écoute en silence, et tout son maintien exprime

l'attention qu'il porte à ce qui lui est dit. Si les répliques de part et d'autre deviennent vives et pressantes, l'attention de ces interlocuteurs redouble, et elle prend sur tout leur être un caractère plus marqué. Poussons plus loin la similitude. Si l'entretien dégénère en contestation, en paroles offensantes, en reproches, ou en menaces, alors l'attention silencieuse se combine avec des mouvemens passionnés qui expriment ou l'impatience, ou la fierté, ou la surprise, selon les atteintes reçues; telle est l'image du jeu` muet.

Savoir écouter est donc la première condition de cette expression extérieure au théâtre il n'est point de scène, soit comique, soit tragique, où elle ne doive entrer. Tout personnage introduit dans une scène y est plus ou moins intéressé; tout ce qui l'intéresse doit fixer son attention, et tout ce qui fixe son attention doit être nécessairement écouté. Voilà ce qui fait la condamnation de ces acteurs impardonnables dans leurs négligences, et qui, insensibles et sourds dès qu'ils ont cessé de parler, s'occupent à parcourir le spectacle d'un œil indifférent et distrait, en attendant leur tour vienne de reprendre la parole. On appelle cela n'être pas en scène, on devrait dire, n'être pas digne de la scène; car, s'il existe une indécence au théâtre, c'est bien celle-là : elle suppose, dans celui qui en mérite le reproche, non-seulement une absence absolue de bon sens, mais encore une impertinence pour laquelle il n'y a pas de nom. J'ai observé que ces écarts se manifestaient particuliè

que

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rement parmi les actrices qui bien souvent se permettent, dans leurs silences, d'établir une espèce de colloque de regards avec des personnes placées dans une loge voisine. C'est outrager la décence publique autant que l'art théâtral : la plus belle figure du monde ne devrait jamais obtenir grâce pour une pareille li

cence.

Mais il ne suffit pas de savoir écouter dans le jeu muet, il faut encore que, dans l'attention silencieuse de l'acteur, soient empreintes toutes les passions que le dialogue éveille ou excite dans l'àme des interlocuteurs. Souvent, ce sont des atteintes subites et profondes que le cœur y reçoit; souvent, ce sont des consolations et des joies inespérées qui en résultent. Tantôt il faut écouter avec douleur, tantôt avec mépris, tantôt avec fierté, tantôt avec indignation : chacune de ces passions doit donner à l'attention une expression particulière, et cette expression doit s'étendre à tout l'individu de l'acteur qui écoute. Mais que de ménagemens demande ce jeu muet, si nécessaire à la complète illusion théâtrale, pour être toujours d'accord avec les décences de la scène ! Je l'ai vu quelquefois entièrement dénaturé, changé même en expression ridicule, par l'immodération ou par la superfluité des mouvemens qui l'accompagnaient; je l'ai vu souvent grossièrement démenti par une action froide, sèche, compassée et sans vie, par des traits inanimés de physionomie qui annonçaient le peu de part que l'âme prenait à cette action. Dans tous ces cas, le jeu muet ne mérite pas de porter lenom qu'on lui

donne; ce n'est qu'une fiction fausse, sans effet, et insupportable à l'œil comme au goût.

mer

Au reste, le jeu muet est susceptible de mille modifications accidentelles, dont un acteur habile peut tirer le plus grand avantage pour l'expression d'une situation. Dans combien de circonstances, la crainte, le respect, ou toute autre cause, doivent le compridu moins dans son action sensible? Mais alors, par quelles nuances délicates s'échappent les agitations d'une âme ulcérée et qui se fait violence pour ne pas céder à ses émotions! Ailleurs, une passion peut être tellement profonde et peser avec tant de force sur le cœur, qu'il ne reste au jeu muet aucun moyen de l'exprimer; c'est la stupeur qui en prend la place: ingentes stupent : mais alors encore, combien cette absolue immobilité, combien ce silence de l'âme peut devenir savant, et plus fécond en expressions fortes que tous les mouvemens réunis de la douleur et du désespoir! Ailleurs, le jeu muet est tout en signes d'adulation et de joie, tandis que la rage est dans le cœur; mais à travers ces apparences, que d'émanations du sentiment contenu peuvent jeter de l'intérêt sur cette situation, et la rendre plus expressive!

Ainsi le jeu muet peut être tantôt simple et tantôt mixte : il est simple, lorsque l'action extérieure peint le sentiment dans toute sa force, dans toute sa vérité; et il est mixte lorsque deux ou plusieurs sentimens agitent une âme et doivent recevoir une expression simultanée à travers les efforts l'on fait que dissimuler. La crainte, la fierté, la pudeur, le dépit

pour

les

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