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ce sont elles qui rendent piquantes les idées, en offrant d'abord à l'attention ce qui peut frapper l'esprit avec le plus de force.

Donnons quelques exemples des inversions les plus familières à la langue française:

« La valeur, dit Fléchier, n'est qu'une force aveugle et impétueuse qui se trouble et se précipite, si elle n'est éclairée et conduite par la probité et par la prudence; et le capitaine n'est pas accompli, s'il ne renferme en soi l'homme de bien et l'homme sage. Quelle discipline peut établir dans le camp, celui qui

ne peut régler ni son esprit, ni sa conduite? Et comment saura calmer ou émouvoir selon ses desseins, dans une armée, tant de passions différentes, celui qui ne sera pas maître des siennes. >>?

La première phrase est dans l'ordre français; mais l'inversion est évidente dans les deux autres. Pour le sentir, il ne s'agit que s'agit que de comparer l'inversion que l'orateur a fait subir à ces phrases avec leur construction naturelle.

« Quelle discipline peut établir dans le camp celui qui ne peut régler ni son esprit, ni sa conduite »>? Voilà l'inversion.

<«< Celui qui ne sait régler ni son esprit, ni sa conduite, peut-il établir la discipline dans un camp »? Voilà la construction naturelle.

« Et comment saura calmer ou émouvoir selon ses desseins, dans une armée, tant de passions différentes, celui qui ne sera pas maître des siennes »? Voilà l'in

version de la seconde phrase: pour la rendre à sa construction naturelle, il faudrait dire :

« Et comment celui qui ne sera pas maître de ses passions, saura-t-il calmer ou émouvoir, selon ses desseins, daus une armée, tant de passions différentes » ?

Dans la langue française, soit en poésie, soit en prose, on transporte très bien après le verbe, le nom qui le régit; ainsi on dit avec grâce:

Tout ce que lui promet l'amitié des Romains.

«

Et en prose: << M. de Turenne fait voir ce que peut, pour la défense d'un royaume, un général d'armée qui s'est rendu digne de commander. »>

Elle admet également les transpositions des noms entre eux, comme dans cet exemple :

Et des fleuves français les eaux ensanglantées.

Celles d'un nom régi par la préposition de ou du :
Seigneur, de mes malheurs, ce sont là les plus doux.
Du plus grand des Romains, voilà ce qui nous reste.

Celles d'un nom régi par un verbe avec les prépositions de et à.

Allez, de ses fureurs, songez à vous défendre.

D'une voix entrecoupée de sanglots, ils s'écriè

rent:

Sans doute, à ce discours, tu ne t'attendais pas.
A toutes ces questions, qu'avez-vous à répondre?

Je n'insisterai pas davantage sur les inversions qu'il me serait facile de vous faire remarquer dans la langue française; il suffit d'avoir montré qu'elle est susceptible de cet intérêt, et que, sous ce rapport, elle jouit d'un avantage à peu près pareil à celui des langues grecque et latine: je dirai même plus, et sans me faire ici l'apologiste outré de la langue française, sans contester que les langues anciennes n'aient, et plus d'énergie, et plus de vivacité, et plus de feu dans certaines de leurs constructions; je dirai que nous avons quelque supériorité sur elles, du moins en certains cas. Par le moyen des articles, nous mettons dans nos phrases une précision que les Latins ne connaissaient peut-être pas. Par exemple, nous pouvons traduire de trois manières, et toujours avec un sens différent, la seule phrase latine: panem præbe mihi; et nous pouvons dire: Donnez-moi un pain. Donnez-moi le pain. - Donnez-moi du pain.

Le mot

maximus dans le latin, n'indique que la supériorité relative; mais les deux superlatifs français très grand, et le plus grand, signifient deux sortes d'excellences, l'absolue et la relative: on peut être en effet très savant, sans être pour cela le plus savant. Dans les verbes latins, les caractéristiques des modes, des temps, des personnes, sont incorporés avec eux, et ne peuvent se séparer, comme dans cet exemple: Amabit, amabitur. Dans la langue française, ces caractères sont séparables, et on en tire souvent un très grand avantage. Ainsi, en dérangeant seulement dans les mots il aime, il aimera, la carac

téristique il, on peut en faire les interrogations suivantes : aime-t-il? aimera-t-il? tandis que les Latins ne pouvaient former ces interrogations qu'en employant une particule étrangère: an amabit? amabitur ne?

Ces exemples suffiront, je pense, pour vous donner une idée précise du génie de la langue française; la monotonie qui résulterait de l'arrangement uniforme de ses mots, est détruite par les inversions qu'elle se permet : elle a, comme les langues anciennes, toutes les suspensions qui naissent de la disposition de la matière, de l'arrangement et de la liaison des choses, des tours oratoires, des périodes et des figures; elle a celle des nombres et de l'harmonie; enfin il ne lui a rien manqué de ce qui constitue une langue riche et flexible, puisqu'elle a suffi aux écrivains qui se sont exercés dans son idiôme, pour s'élever au niveau des plus célèbres auteurs de l'antiquité : elle leur a suffi dans tous les cas et dans tous les genres, depuis la simplicité de La Fontaine et de madame de Sévigné, jusqu'à l'éloquence de Buffon, et le sublime de Racine et de Bossuet; et malgré ses détracteurs, elle est parvenue à un tel degré de considération, qu'elle partage aujourd'hui avec la langue latine, la gloire d'être cette langue que les nations apprennent par une convention tacite pour se faire entendre.

SUITE DE LA TROISIÈME LEÇON.

De la construction des Langues ou des principes de la grammaire générale, et de leur application à la langue française.

Après avoir considéré la langue française dans son génie particulier et distinctif, je passe à la construction des langues, c'est-à-dire, à la Grammaire générale. Relativement au sujet que je traite, cette partie est d'une extrême importance, et les connaissances qu'elle donne servent singulièrement à le développer. C'est à l'ignorance des principes de la grammaire générale que l'on doit imputer le grand nombre de fautes graves et de contre-sens que l'on fait non-seulement dans la composition des ouvrages, mais encore dans leur lecture.

Je n'ai point le projet d'établir ici un système relativement à la grammaire en général. La discussion minutieuse des finesses ou des raffinemens du langage m'entraînerait trop loin des autres objets qui doivent nous occuper dans ce cours; je me propose seulement de passer en revue les principes fondamentaux de la Grammaire générale, de faire quelques observations sur les différentes parties du discours, et de les appliquer, autant qu'il me sera possible, à la langue française.

En fixant d'abord notre attention sur la division adoptée des parties du discours, nous trouvons que

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