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la cause, je ne m'arrêterai pas long-temps à la discuter; peut se faire que dans certains cas, il y entre un peu de lassitude, et que la poitrine fatiguée de celui qui prononce, laisse tomber les derniers sons, pour arriver plus tôt au repos. Il me semble néanmoins plus naturel de penser que cet abaissement se fait par la force secrète de quelque loi qui s'exécute mécaniquement en nous-mêmes dans le passage du mouvement au repos. Les animaux même semblent suivre cette loi il n'en est point qui ne finissent leur cri par une inflexion plus ou moins sensible.

En partant de ce point que la voix s'abaisse aux finales, et qu'elle s'élève avant que de s'abaisser, la question se réduit à savoir sur quelles syllabes la voix s'élève. Pour réussir dans cette recherche, il faut lire un morceau, et prêter une oreille attentive à ce qu'on entend.

Déjà frémissait dans son camp | l'ennemi confus et déconcerté ».

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dans cette période un demi-repos après camp, et un repos final après déconcerté; par conséquent il y a deux accens oratoires : le premier se fait sentir sur le mot son, dans son camp; le second sur l'avantdernière syllabe de déconcerté. Que le lecteur prenne un ton bas ou élevé, qu'il prononce fortement ou faiblement, s'il s'arrête, ou s'il fait sentir le moindre repos après le mot camp, il fléchira sa voix s'il ne s'y arrête point, ce sera une raison de plus pour faire sentir l'inflexion sur l'avant-dernière syllabe de dé

concerté.

« Déjà prenait l'essor! pour se sauver dans les montagnes, cet aigle | dont le vol hardi avait d'abord effrayé nos provinces. | »

Dans cette seconde période il y a cinq repos : le premier après déjà; le second après essor; le troisième après montagnes; le quatrième après cet aigle, le cinquième après hardi, et enfin le repos final après provinces. On peut contester, sans doute, ces repos, ces demi-repos, ces quarts de repos; mais ce qu'on ne pourra jamais contester, c'est que sans repos, il n'y a point lieu aux inflexions, et que sans les inflexions, la prononciation de la période serait roide, sèche, dure et sans grâce.

<«<Hélas! | nous savions ce que nous devions espérer [et nous ne pensions pas à ce que nous devions craindre.»

Outre les trois repos qui sont évidemment marqués dans cette phrase, après hélas! espérer et craindre, et qui exigent trois inflexions, il y a une antithèse qui doit être rendue par une intonation plus haute dans le premier membre, et plus basse dans le second. Cette intonation ne tient point du tout aux inflexions que demandent les repos, elle est relative aux deux membres en opposition qu'il s'agit de faire contraster par le son de la voix, comme on les a fait contraster par la nature des idées.

<< O Dieu terrible mais juste dans vos conseils sur les enfans des hommes! | vous immolez à votre grandeur de grandes victimes et vous frappez quand il vous plaît ces têtes illustres que vous avez tant de fois couronnées. >>

En prononçant le premier membre de cette période, O Dieu terrible, le lecteur élevera la voix, et l'abaissera ensuite sur le second membre, mais juste; il appuiera sur la première syllabe de terrible, et fera sentir fortement les deux rr, il appuiera de même sur la première de juste, en faisant un peu siffler la consonne j. Il précipitera un peu l'articulation du reste de la période sur les enfans des hommes, parce qu'il y a un peu trop de sons pour l'idée. Il appuiera de même sur immoler, sur grandeur, sur frappez; il développera la première syllabe du mot tête, et l'avant-dernière d'illustres, enfin il allongera la dernière de couronnées....

Je termine ici sur les nombres considérés comme chutes ou cadences finales, bien persuadé que vous aurez senti l'importance et la nécessité de les employer dans la lecture comme il convient. Les nombres bien employés, dit l'abbé Le Batteux, sont comme des pointes acérées au bout d'une flèche, qui donnent du poids, de la portée aux pensées, et qui en assurent la direction. Quand tous les sons se trouvent liés ensemble par une juste mélodie, et qu'outre cela on les attache à une finale vive et frappante, il en résulte ce que Séneque appelle pugnatorius mucro. Toutes les phrases sont autant de traits qui portent loin et qui font brèche.

Voyez dans ma prosodie, et dans le volume joint à celui-ci, la théorie complète de l'accent oratoire.

CINQUIÈME LEÇON.

III.

Des dispositions intellectuelles du lecteur, pour discer ner, dans l'objet de sa lecture, la nature des pensées, leur caractère, leur force et leur dépendance mutuelle.

Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement.....

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Ce principe de Boileau s'applique autant au lecteur dont la tâche est de transmettre au public les idées d'autrui, qu'à l'écrivain qui veut publier les siennes. Des deux côtés, tout dépend de la manière plus ou moins juste dont on a conçu ou envisagé une pensée; et il est aussi impossible de la représenter nettement la plume à la main, qu'il l'est de l'exprimer avec clarté dans la lecture, lorsqu'on ne l'a pas méditée, approfondie, et saisie sous ses véritables rapports.

Représentez-vous ici un lecteur manquant de ce jugement rapide et exercé qui fait discerner tout-àcoup la force et la nature d'une idée, ou qui lisant machinalement, glisse sur toutes les parties d'un discours, comme sur une surface unie. Dans la bouche de ce lecteur, tout est brouillé et dénaturé; il confond les propositions avec les preuves, et les preuves avec les conséquences; il confond les divisions avec le récit, les objections avec les répliques, les pensées communes et triviales avec les pensées élevées, les idées gracieuses avec les idées tristes, et de ce chaos, au milieu duquel

l'auditeur le plus attentif se traîne, se fatigue, et saisit à peine quelques lueurs, résultent, pour les auditeurs vulgaires, des sons et des mots qui frappent seulement l'oreille, et ne laissent dans l'esprit aucune impression. Une des conditions essentielles pour énoncer justement une pensée quelconque, c'est de se bien pénétrer de sa nature, de sa force, et de l'intention avec laquelle elle a été employée. Pour peu que le lecteur ait de l'âme, le ton de vérité, de conviction avec lequel il doit l'exprimer se présentera alors comme de luimême, et il vérifiera pour la lecture ce que Boileau dit de l'écrivain qui est maître de sa pensée, c'est-àdire, qu'il la représentera aussi facilement par la role, que le compositeur la représente avec les mots et le tour qui lui conviennent, lorsqu'il s'en est rendu un compte exact.

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Une pensée en général est la représentation de quelque chose dans l'esprit, et l'expression en est la représentation verbale et extérieure. Toutes les fois que cette représentation rend la pensée telle qu'elle est ou telle qu'elle a été conçue par l'écrivain qui s'en est servi, alors l'élocution du lecteur est vraie; elle est fausse quand la pensée est rendue autrement qu'elle n'est, et quand il n'y a aucune conformité entre sa nature et la manière dont elle est rendue.、

Puisque l'élocution du lecteur est donc d'antant plus juste qu'elle représente fortement la pensée, il s'ensuit que plus un lecteur sait saisir la nature et l'importance des idées qu'il doit représenter, que plus il sait les démêler les unes des autres, et les considérer

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