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primaient par une sorte de virgule ou de signe d'abréviation placé au-dessus du mot. Ceux qui ont suivi les variations de l'orthographe des noms dans les documents de cette époque ne trouveront certes rien de forcé dans ce rapprochement. Or, Angeriacum était le nom propre du lieu où a été placée quelques années plus tard la royale abbaye de Saint-Jean-d'Angély. Le palais habité par les rois d'Aquitaine Louis-le-Débonnaire (781-814) et Pépin Ier son fils (814-838) est devenu, après les ravages des Normands, une des résidences des comtes du Poitou, et de nos jours de savants antiquaires en ont retrouvé les restes.

Il est donc naturel de reporter à cette année, 769, tous ces grands souvenirs qui, semblables à ces rayons du soir qui se font jour à travers des échappées de nuages, projettent leur lumière sur cette grande figure de Charlemagne, le géant du Moyen-Age. L'Eglise cathédrale de Saintes, SaintPierre, proclame pour ses fondateurs Pépin et Charlemagne ; lorsqu'au X siècle on posa les assises du clocher monumental de cette église, la statue colossale du grand empereur, aujourd'hui mutilée, en décora la base et l'on se plaisait déjà à rappeler que pendant son séjour à Saintes, il aimait à venir prier et à se faire lire la légende du martyr santon saint Saloine (Seronius) mis à mort pendant la persécution des Césars, dans l'église dédiée à ce martyr qu'on voyait alors sur le sommet du coteau qui fait face à celui de Saint-Vivien.

L'église de Notre-Dame de Lisle-en-Pons remonte aussi à Charlemagne. Ici les pierres parlent elles-mêmes. J'ai vu un chapiteau de la plus grande dimension caché sous l'herbe de la prairie, une pierre sculptée encastrée dans le mur d'une grange et quelques autres débris dont tous les caractères annoncent certainement cette époque. J'ai lu un précieux fragment que m'a communiqué M. Guillaume de Dampierre à qui il appartient; c'est la première page d'une sorte de grand cartulaire que ses enluminures ont sauvée du naufrage; l'écriture très-grande et très-belle est de la fin du XIVe siècle. Or, voici ce qu'on y lit : « L'an de grâce mil ccc iiijxx et v, le xxxo << jour du mois de Haoût, Mons. Reignaut sire de Pons fist commencer re<< hedifier l'église de Noustre-Dame de Lisle et fu achevée le mercredi xix « jour du mois de Novembre, l'an mil ccc iiijxx et sept.

« L'an de grâce mil ccc iiijxx et ix, le xvie jour du mois de May, le dit << Mons. Reignault, sire de Pons, fist consacrer la dicte église de Lisle à

« l'évêque de Mile (?) noble lequel était de l'ordre de Saint François.

<< De la église fut le premier fonzeor Charle Maigne qui la fist fere et

« puys ladicte église fu du tout fondue et destruicte des fondemens et des« puys ledict sire de Pons la fet rehedifier. »>

L'église de Notre-Dame de Lisle fut ruinée de nouveau en 1568; une supplique qui se trouve aux archives de la mairie de Pons en atteste le déplorable état au XVIIe siècle.

C'est en 769 qu'en sortant de Fronsac où il avait dû arriver d'Angoulême en passant par Baigne (car s'il avait suivi la route plus à l'Est, son ennemi lui aurait échappé en se jetant sur la rive droite de la Dronne), Charlemagne fonda l'abbaye de Brantôme. Mabillon a établi cette date. En 769 aussi que, selon la chronique de Maillezais, il fonda celle de Charroux. Cette assertion précise d'un auteur si ancien n'a pas, je le sais, arrêté la critique de juges très-compétents (V. Mém. de la Soc. des Antiq. de l'Ouest pour 1835, p. 233-300, une notice très-savante et très-intéressante de M. de Chergé.) Ils ne veulent pas que la fondation de l'abbaye remonte plus haut que le premier titre officiel en sa faveur, le testament du comte Roger. Ils citent ces inscriptions qui se lisaient sur le piédestal de deux statues colossales placées sous le parvis de l'église de Charroux et qui ont été transportées à Poitiers.

Rex juris lator Carolus probitatis amator, hujus fundator templi fuit et dominator.

Rotgerius comes et princeps Aquitanorum perfecit hoc templum imperante rege Francorum.

Mais y a-t-il donc opposition entre ces pièces et la déclaration du chroniqueur Iste rex magnus ædificare fecit cœnobium Carrofum et cæpit anno ab incarnatione Domini DCCLXIX et Rogerius comes cum eo in honore sancti Salvatoris? Il n'y avait pas de comtes en 769; mais il y a un long temps, seize ans peut-être, entre l'expression de la volonté du maître et sa complète exécution. Dès lors l'église de Furnis appartenait à l'abbaye de Charroux, puisqu'elle est mentionnée dans le testament du comte Roger. Cette église de Furnis en Saintonge est certainement Fournes, aujourd'hui hameau de la commune de Soulignonne, canton de Saint-Porchaire, mais alors église importante, car en 1326, le prieur de Fournes payait 35 sols tournois de subside au pape Jean XXII, somme qui le plaçait dans un rang élevé entre les prieurs de Saintonge.

Baigne n'a, il est vrai, ni sa date de fondation comme Brantôme, ni comme Charroux un testament du comte Roger et d'Euphrasie de 785, une confirmation de priviléges de 799, mais, dans l'absence de documents, tant d'analogies ne doivent-elles pas faire assigner aussi à sa fondation la date de 769? Le doute, à cet égard, ne serait pas raisonnable.

Les rois que Charlemagne donna à l'Aquitaine se firent accepter des populations et furent certainement favorables à l'Eglise. La volonté qui créa au nord de la Saintonge la grande abbaye de Sain-Jean-d'Angély ne dut pas être indifférente au développement de celle de Baigne, au sud. Mais nous n'avons rien de précis à cet égard, rien non plus sur la part de maux qu'elle eut à supporter pendant les invasions des Normands. Mais il n'est que trop facile de les conjecturer par la grandeur des ravages qui s'étendirent tout autour et dont les traces ne sont peut-être pas toutes effacées.

:

Les seuls points reconnus sont ceux-ci que Ramnulfe, évêque de Saintes, la remit (commisit) à saint Hugues, abbé de Cluni, et que Pierre, évêque du même siége, confirma cette donation à Ponce, comme l'atteste cette charte, conservée à Cluni et que nous croyons devoir emprunter au

Gallia Christiana:

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<< In nomine Patris et Filii et Spiritus sancti. Ego, Petrus Sanctonensis » humilis Episcopus, præsentium litterarum apicibus notificare curavi >> meis successoribus antecessorem meum domnum Ramnulfum scilicet episcopum dedisse, concessisse, per canonicam chartam firmasse abba» tiam S. Stephani de Beania domno abbati Hugoni et cœnobio cluniacenci « meque concessisse et confirmasse eamdem donationem et donationis. <«< chartam, salvo tamen in omnibus jure sanctonicæ sedis et sanctonen<«<sium episcoporum. Facta est hæc charta anno Dominicæ Incarnationis « M. C. X. apud S. Eutropium, in præsentia Domini Pontii abbatis anno I << ordinationis ejus, S. Petri episcopi, S. Amaluini archidiaconi, S. Gausce<< lini archidiaconi, S. Ramnulfi archipresbyteri. »

Le Gallia Christiana passe ensuite à la liste des abbés qu'il commence après le milieu du XIIe siècle. Qu'ajoutera à cela notre Cartulaire? Et d'abord, qu'est-ce que ce Cartulaire?

3o Le Cartulaire. - Le Cartulaire de l'abbaye de Baigne se compose de 106 feuillets de parchemin in-quarto mediocri, distribués en 14 cahiers, contenant chacun 8 feuillets, sauf le 1er qui en contient 9, le 2me qui en contient 7, le 13me qui en contient 6, et le 14me qui en contient 4 seulement. Il est relié avec deux ais de bois de chêne, recouverts en veau brun, et renferme 549 chartes ou notices, transcrites de plusieurs mains, dans le cours du XIIIe siècle. Les pièces sont précédées d'une courte rubrique en encre rouge. Les lettres initiales de chacune d'elles sont aussi en encre rouge ou bleue; quelques-unes même sont élégamment ornées, notamment celles des pièces 1, 18, 58, 164, 196, 210, 230, 253, 263, 283, 349, 364. A partir de la pièce 499 seulement, elles ont été faites en encre noire ou laissées en blanc.

Depuis la pièce 498, on peut aussi signaler de nombreuses lacunes dans les rubriques.

Nous avons dit comment et de quelles mains il était venu dans celles de M. Cholet. Nous ne pouvons pas le suivre plus haut; nous ne savons pas de qui M. Moreau l'avait acquis, et comment il était sorti de Baigne. Un acte de 1591, inséré entre les lignes d'un des feuillets, montre qu'il appartenait dès lors à une personne étrangère à l'abbaye et semble même, par sa nature, indiquer que c'était à un membre de l'église réformée : c'est un indice joint à beaucoup d'autres, que les titres de l'abbaye avaient été dispersés par suite des troubles religieux qui désolèrent la Saintonge vers 1568, ce qui rend tout simple que Dom Estiennot, en 1675, les regardât comme irrévocablement perdus. Il semble pourtant que vers cette époque le Cartulaire fût dans une main amie, puisqu'elle en faisait une copie intelligente : c'est par elle uniquement qu'on avait d'abord les cinq derniers feuillets dont les originaux égarés n'ont été retrouvés qu'à la fin d'octobre 1865, et qu'on a la dernière pièce du recueil, la bulle de Grégoire IX.

Quant à son authenticité, elle n'a nul besoin d'être démontrée; il suffit de l'ouvrir pour voir qu'on a sous les yeux un document du XII° siècle; il est impossible d'imaginer un intérêt, un motif quelconque qui ait pu porter à une imitation difficile et pénible. On ne peut même beaucoup hésiter sur la date. Le mode de rayure, la forme des lettres, celle des abréviations, les ornements des initiales peintes ne permettent pas de descendre plus bas que MCC; d'un autre côté les quatre cents premières Chartes sont d'une même main et n'ont même pas dû être écrites à de grandes distances l'une de l'autre; la plus récente d'entre elles est de 1163; on en doit conclure que le Cartulaire n'est pas antérieur à cette époque et qu'il faut le placer dans les quarante dernières années du XIIe siècle. Plusieurs écritures se rencontrent ensuite; aucune n'est postérieure au milieu du XIIIe siècle; quelques notes marginales ont été ajoutées au XVI®.

Mais un cartulaire n'est qu'une collection de copies et son authenticité ne prouve pas celle des chartes qu'il renferme. Le scribe peut avoir transcrit très-sincèrement l'œuvre d'un faussaire, et quelques-unes des chartes de Baigne éveillent à cet égard de graves soupçons. M. Léopold Delisle (Revue des Soc. savantes. Mai 1866. p. 510) signale à la tête d'une déclaration de Grégoire VII, une formule qui ne ressemble en rien à celle qu'on trouve dans les bulles et les lettres de ce Pontife: Ego Christi Jesu servorum servus Gregorius papa Romanus; à la suite d'une lettre de Pascal II, un mode de dater tout-à-fait étranger aux usages de la chancellerie romaine Data Tibere, XIII Kalendas Decembris, luna XV, epacta XX, bissextus

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VI, annus ab incarnatione Domini MCXI. (Ch. XVIII, et I). Or ce dernier point est d'autant plus grave que ce privilége est complétement inédit et n'est pas dans le recueil des actes de ce pape (Patr. Migne, t. 163). Dans d'autres occasions ces indications multipliées pour une seule date offrent des contradictions inconciliables : par exemple, Charte XLVIII. Peut-être faut-il mettre ces irrégularités sur le compte d'un copiste qui altère en ne voulant qu'éclaircir ou ramener à l'uniformité.

Le rédacteur se met quelquefois en jeu : Quoniam..... litteris adnotare decrevi (Ch. 461). Ses chartes sont parfois comme un résumé d'histoire et renferment un laps de temps assez long: transactis igitur temporibus multis. L'une d'elles (426) relate les donations faites par Adémar Acbrant, avec le conseil de sa femme et de son fils, la mort d'Adémar, celle de son épouse, la donation faite par Itier, le jour de l'inhumation de sa mère; elle embrasse plusieurs années et prévoit l'avenir. D'autres commencent à la première personne pour parler ensuite à la troisième et revenir encore à la première (459, 464); on dirait un récit entremêlé d'extraits sans qu'il en avertisse. Le début d'une charte la lie souvent à la précédente (Ch. 23-24; 162-163; 241-242) et cette liaison a quelquefois lieu sans égard à un autre titre qui s'est comme jeté entre les actes précédemment unis (Ch. 511-513). Les chartes sont désignées sous différents noms : carta, cartula, cedula, scedula, pagina, caucio, cautio (Ch. 305, 398, 320, 310, 530, 287, 343). On peut puiser là quelque chose pour appuyer ou éclaircir les articles de Ducange à ces mots.

Les formules initiales, les motifs qu'elles allèguent pour les donations, exposés quelquefois très-simplement, quelquefois avec une certaine emphase, ont dû participer, tantôt du caractère du donateur, tantôt du sentiment avec lequel les dons étaient reçus. Il y aurait là une étude de quelque intérêt. Beaucoup, il faut l'avouer, donnent sous l'impression de la crainte du jugement à venir, et comptent dans ce terrible jour sur l'intervention reconnaissante de saint Etienne (Ch. 49, 83): quelques-uns dans le but d'expier un crime spécial et récent, un grand crime, non pas un simple meurtre, mais un sacrilége (Ch. 325). D'autres ont cette vue plus relevée d'exprimer leur reconnaissance, de bien faire et d'être agréables à Dieu (Ch. 11, 14, 56, 93, 526). D'autres, enfin, évitent par humilité, mais en le faisant observer, la pompe du langage pour annoncer ce qu'ils vont faire (Ch. 492). Les formules de consécration ne sont pas moins variées et moins curieuses. Outre les témoins qui donnent à l'acte son caractère, on a parfois le soin d'invoquer d'une manière générale la présence d'un grand nombre de moines, de prêtres, de chevaliers devant lesquels

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