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Après la fin de la campagne, on renverra à Venise autant de navires que le gouvernement vénitien le demandera en conscience. Mais ils doivent repartir pour Constantinople au premier mot de l'empereur, montés par les mêmes hommes qui recevront une paye proportionnée à la longueur du service, ou bien avec d'autres équipages. Ils peuvent être également tenus en réserve à Venise, sur la demande de l'empereur et à ses frais 1.

Les Vénitiens établis à Constantinople et en Romanie prenaient part à ce service maritime dans des conditions particulières. L'empereur pouvait les enrôler dans les équipages des 100 navires ré glementaires, à condition de ne lever que 3 hommes sur 4, ayant plus de 20 ans et moins de 60. Cette faculté devenait même un droit toutes les fois que les navires, rappelés de Venise, ne revenaient pas à Constantinople dans le délai fixé, ou que l'empereur attaqué par une force de plus de 40 navires, ne pouvait demander le contingent vénitien en temps utile 2. Dans ces différentes circonstances, le gouvernement grec pouvait enrôler, aux conditions qui précèdent, les Vénitiens habitant la capitale et les environs jusqu'à Abydos, Philadelphie et Andrinople3.

tatis eorum, sive christiani sint, sive pagani, et ledent et expugnabunt eum et expellent, inferentque ei malum quod poterunt, bona fide, sine fraude et malo ingenio, et impugnabunt eum quousque et stolus imperatoriæ sublimitatis eum impugnabit bona fide et sine fraude.»

1 « Et si voluerit eas Venetia custodiri, custodientur ad honorem Imperii eorum, ac si essent propriæ Venetiæ, sed tamen cum imperiali expensa. »

2 « Item et, si imperium eorum voluerit in numero hujusmodi centum galearum servitium Veneticorum in tota Romania inventorum, debet illud habere cum tot scilicet galeis quot armari poterunt de inventis Venetis, ex quatuor tribus in galeas inductis secundum numerum inventorum Veneticorum cum et manifesta roga. Verumtamen non cogentur galeas ingredi viginti annorum homines et infra, neque sexaginta annorum et ultra. »

Le texte ne signifie donc pas, comme le prétend à tort Romanin (II, p. 127,' n. 3), que les Vénitiens de Constantinople, levés à raison de 3 sur 4, remplissaient à eux seuls les cadres des 100 navires, ce qui constituerait une population de 14,000 hommes en état de porter les armes, mais qu'ils seraient versés dans autant de navires qu'ils en pourraient remplir étant levés à raison de 3 sur 4, et que ces navires montés par eux seraient compris dans le contingent réglementaire des 100 bâtiments. Le tout étant plus grand que la partie, il est évident que les navires ainsi montés par les Vénitiens de Romanie étaient d'un nombre inférieur à 100, sans qu'on puisse dire ce qu'il était.

3

<< Item, si imperio eorum expedit auxilium ad defensionem terræ celsitudinis eorum ob aliquem inimicorum in Romaniam ingressurum cum galeis quadra

L'empereur se réserve à Venise même d'autres facilités pour le passage des troupes de terre qu'il pourrait lever en Occident. Les soldats qu'il enrôlerait en Lombardie et voudrait transporter en Romanie par Venise auraient droit au passage et à la protection armée de la république, si toutefois ils n'étaient pas levés contre elle, et s'il n'y avait pas d'empêchement majeur 1.

En récompense de ces services l'empereur donne aux Vénitiens recours contre le fisc ou les sujets grecs dont ils sont créanciers depuis l'époque de Manuel; il leur promet la restitution des biens que l'attentat de 1171 leur a fait perdre, ou le payement d'une indemnité équivalente. Il s'engage à maintenir leurs anciens priviléges, à les défendre contre l'agression, à ne pas traiter sans eux avec l'ennemi commun 2. De son côté, les doges de Venise lui jureront fidélité, selon la formule du serment qu'a prêté le doge régnant Aurio Mastropiero, protosevastos impérial3 (1187).

Les réparations pécuniaires, admises en principe, devenaient deux ans plus tard l'objet d'un acte nouveau.

Les Vénitiens n'avaient touché que 100 livres d'argent sur les 1500 fixées par le traité de 1178. Le chrysobulle de 1189 rappelle les différents ambassadeurs qui sont venus en réclamer le payement intégral, d'abord P. et J. Michieli, et Ottaviano Querini, ensuite Pietro Corner et Domenico Memo, procurateur de Saint

ginta vel pluribus, et nequiverit Venetiam mittere pro adjutorio, debet imperatoria celsitudo inducere ad defensionem terræ imperii eorum contra hujusmodi inimicum Veneticos, in magna urbe videlicet et circa eam existentes versus ortum et versus occasum, et ab ea usque Abidum et in eadem civitate similiter inventos, necnon et in terris, quæ infra sunt usque ad Philadelphiam et in ipsa civitate, et usque Andrianopolim et in ea similiter existentes, de quatuor tres, cum tot scilicet galeis quot armare poterunt, inventi secundum supradictum ordinem, cum et manifesta roga. » — Philadelphie est une ville de Lydie.

1 « Item, si imperium eorum voluerit homines aut vestiaria Venetiam mittere, gratia conducendi milites a Lombardia vel ab alia terra, et dispensandi ea quæ ad honorem et utilitatem terræ spectant celsitudinis eorum, licite faciet hoc, si hoc non est contra Venetiam. >>

2 Voy. la dernière page du document Libro dei Patti, I, 113. Tafel a publié ces différents documents (Fontes, t. XII, p. 178-203) après Marin (t. III, p. 263 293 et suiv.).

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« Nobilissimo et imperii nostri fidelissimo Duci Venetia, Aurio Magistro Petro, qui dignitate protosevasti a nostra sublimitate decoratus est. » (Chrys. de 1187, préambule, Patti, 1, 103.)

Voy. plus haut, p. 109.

Marc1. Accédant à leurs légitimes réclamations, l'empereur leur promet le payement des 1400 livres encore dues au moyen d'un versement de 200 livres comptant et de six annuités. Il y ajoute 100 livres comptant, une indemnité annuelle de 50 livres. Un revenu égal leur est assuré sur les Échelles franque et allemande qu'il leur concède à Constantinople. Ils auront recours contre leurs débiteurs, y compris le fisc. Aucun agent public ne pourra percevoir de droits sur les revenus nouveaux que l'empereur leur accorde dans sa capitale 2.

Ces derniers traités, qui avaient pour but le rétablissement de l'alliance, sont au contraire les signes les plus éclatants d'une lutte inévitable. En promettant aux Vénitiens les plus larges indemnités, Isaac l'Ange prenait un engagement dérisoire ou dangereux. En les enrôlant dans ses flottes, il mettait Constantinople et sa propre personne à leur merci.

Et d'ailleurs ce prince téméraire et prodigue avait-il au moins l'avantage d'une longue possession et le mérite de la sincérité? Était-il bien assis sur le trône d'où il faisait pleuvoir tant de grâces? Avait-il foi en ses alliés et en lui-même? Rien de tout cela. Cherchant à tout prix des soutiens, Isaac offrait ce qu'il n'aurait pu donner il n'était libéral que du bien d'autrui. Le jour où il eût réellement possédé l'empire, il eût été le premier à le défendre contre d'insatiables convoitises.

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L'empereur, pas plus que le doge, ne croyait à la durée d'une réconciliation qui pesait aux deux parties. Entre Vénitiens et Grecs on avait ramené la paix; on ne pouvait rétablir la confiance. Une répulsion invincible paralysait tous les efforts de la politique, et la plus vive antipathie se cachait sous l'excès même des démonstrations amicales. Isaac l'Ange avait beau dire que les Vénitiens n'étaient pas pour lui des étrangers, « qu'il les considérait comme des Grecs indigènes, qu'ils souffraient pour la Romanie comme les Romains eux-mêmes, qu'ils lui étaient dévoués comme à la mère patrie, » et que ces sentiments leur donnaient droit à tous les priviléges des Romains 3. Vainement espérait-il, sous les

Ces ambassadeurs furent envoyés en 1183. Cf. Codice delli ambasciatori (alla Marciana).

2 Libro dei Patti, I, 113. Tafel (ouvr. cité, p. 203).

3

Quanquam enim grave nostræ celsitudini videtur, latitudinem infra magnam urbem gentibus exhibere; verumtamen, quia, non ut alienigenas, verum ut abo

faux dehors de l'amitié, dissimuler aux autres et à lui-même les tristes nécessités de la dépendance. Les Vénitiens n'étaient pas plus que lui dupes de cette illusion volontaire. La crainte de la guerre perçait à travers tous les articles d'un traité destiné à conclure une intime alliance. Les serments se multipliaient avec les mensonges; on faisait jurer aux Vénitiens la fidélité; on n'attendait d'eux que la trahison. Menacé d'une ruine prochaine, le Bas-Empire cherchait à prolonger par une lâcheté suprême sa misérable existence. Ambitieuse, mais prudente et timide encore dans son ambition, Venise remplissait de ses marins les flottes impériales, avant d'accabler l'empire.

CHAPITRE VII.

LES VÉNITIENS EN ROMANIE; LEs grecs et leur influence à vENISE VERS LA FIN Du xiie siècle.

Depuis l'époque de Justinien, une pacifique et mutuelle invasion avait établi les Vénitiens dans toute l'étendue de la Romanie, et introduit à Venise l'influence, les usages et les arts de la Grèce byzantine. Avant de se combattre, les deux peuples avaient appris à se connaître et à s'imiter; ils s'étaient unis par les mariages, par l'échange des produits et des idées, par la communauté des travaux et des habitudes. Le jour où une haine réciproque les mit aux prises, ils donnèrent un sanglant démenti à une amitié sept fois séculaire, et affrontèrent l'horreur d'une guerre presque fratricide.

Avant de raconter la conquête du Bas-Empire par la république de Saint-Marc, il importe d'exposer les résultats de ces longs rapports entre les deux États les plus civilisés du moyen âge.

Le commerce qui reliait Venise à Constantinople était de plusieurs natures. La reine de l'Adriatique ne se contentait pas des échanges directs avec les Byzantins. Elle apportait à ses alliés les produits de l'Italie et de l'Allemagne, et distribuait à toutes ces régions les denrées et les riches travaux de la Romanie, qui sortaient souvent des manufactures vénitiennes, fabriqués par la colonie

rigines Romanos genus Veneticorum nostra serenitas reputat, tantumque pro Romania quantum et ipsi Romani, tantumque et erga eam habent devotionem, quantum et erga terram, quæ eos emisit, non eis tantum quantum Romaniæ largiendum esse videtur, quantumcumque eis largiatur.» (Patti, I, 103.)

de Péra. Le grand commerce d'Orient alimentait un transport trèsactif en Europe. Les petits fleuves de la Vénétie étaient sillonnés par les barques des Vénitiens, comme l'Adriatique et l'Archipel l'étaient par leurs navires. Ces marins infatigables restèrent les facteurs universels, jusqu'au moment où des rivaux sortis de Pise et de Gênes les forcèrent au partage.

Les produits nationaux étaient les objets les moins importants de leur commerce avec l'Orient.

Le sel, que Venise avait recherché dès les premiers jours de son existence et dont elle tendait à se réserver le monopole, passait en première ligne. Il donnait naissance à un autre genre de trafic, le poisson salé. On exportait aussi beaucoup de lin et de chanvre. Quant à l'industrie vénitienne, elle excellait dans les travaux de bois gros ou fins, destinés au service des bâtiments ou à l'usage domestique, dans la préparation des solives, planches, écuelles, plats, conques, vases et verres. Elle savait fondre certains métaux. Le doge Orso Partecipazio Ier (864-881), à la demande de l'empereur Basile1, lui envoya alors douze cloches. Celui-ci les fit mettre dans une église nouvellement construite, et c'est depuis cette époque que les Grecs commencèrent à avoir des cloches 2.

Venise tirait de l'Italie, de la Germanie, de la Hongrie, de l'lllyrie, de la Dalmatie et autres contrées, des marchandises de toute espèce, qu'elle répandait en Orient.

C'étaient d'abord les esclaves, hommes, femmes, enfants, eunuques. Les efforts communs des empereurs et des doges pour interdire ce commerce témoignent de la faveur dont il jouissait chez les deux peuples 3. Les manufactures d'Italie et d'Allemagne n'étaient guère moins recherchées à Constantinople que celles de l'Orient ne l'étaient dans les régions occidentales. Venaient ensuite les fruits secs et les salaisons, les métaux bruts et travaillés, fer, cuivre, plomb, étain, vif-argent; les cordages, les pelleteries de tout genre; les bois de construction soit pour les navires, soit pour la bâtisse; les travaux de bois et de terre cuite; les toiles de chanvre et de lin, la laine et les draps de laine. Toutes les marchandises,

p. 183.)

1 Basile Ier, le Macédonien, empereur en 867. (Voy. Dandolo, 2 Dandolo : « Qui honoris suscepti (protospatharius effectus) non ingratus XII magni ponderis campanas imperatori delegavit, et ex illo tempore Græci campanis uti cœperunt.» (Chron. p. 187.)

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