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triche; ce n'est point ainsi que l'avaient, jadis, entendu les Rois d'Espagne, et notamment Charles II, lorsqu'ils avaient prescrit une option pour ces cas éventuels.

Le vrai motif des propositions de La Haye n'était pas la prudence, qui est toujours modérée, mais la haine, qui est souvent extrême et ridicule.

Les renonciations anciennes, appliquées à la lettre, n'excluaient que la branche régnante de Bourbon et la branche d'Orléans. Elles n'atteignaient pas et ne pouvaient atteindre la branche de Condé. La note de La Haye s'attaquait à la famille en masse, et l'écartait, en entier, même dans les cas où le cumul des couronnes était imprévoyable ou impossible. C'était une sorte de mort civile ou politique, qu'on voudrait vainement faire revivre aujourd'hui, en altérant le sens et la lettre des traités, et par laquelle la France eût été mise hors du droit commun dans la candidature à la couronne espagnole ouverte à toute l'Europe. L'introduction de ce principe dans le droit public européen aurait eu pour objet de concentrer, au profit de la maison d'Autriche, la successibilité au trône d'Espagne, d'exclure à jamais l'alliance française de ce pays, et de maintenir ainsi, au détriment de la France, le voisinage menaçant d'un ennemi de plus.

Dans le fond des choses et au simple point de vue de l'intérêt français, la prohibition avait donc une grande portée politique. On voulait empêcher à jamais une étroite amitié entre la France et l'Espagne, en fermant exactement les avenues du trône espagnol à la maison de Bourbon; car les maisons régnantes ne sont, en pareils cas, que la plus haute et la plus vraie

personnification des peuples: tant le bien-être, la grandeur et l'intérêt des nations se confondent et s'identifient avec la prospérité, la gloire et la puissance des races royales. C'était l'abaissement de la France qu'on poursuivait dans l'exclusion infligée à la maison de France. Et l'on assure, même, que le parti dominant, en Angleterre, avait l'espérance insensée de détrôner Louis XIV et de partager nos provinces. « Louis XIV, >> dit Burnet, refusa toujours de joindre ses efforts à » ceux des coalisés, pour obliger Philippe V à l'éva>> cuation du territoire espagnol. Les alliés insistèrent >> sur cette demande exorbitante, avec d'autant plus » d'opiniâtreté, qu'ils avaient déjà conçu le dessein » de conquérir le royaume de France (1). » L'humiliation des conditions de La Haye n'eût donc été qu'un premier pas de Louis XIV pour descendre du trône.

Au point de vue du droit des gens, les propositions de La Haye constituaient une détestable violation du droit d'indépendance et de souveraineté des nations. La coalition s'ingérait dans le droit public interne de l'Espagne. De son autorité, elle décrétait une loi de succession pour ce royaume. Elle ne bornait point ses actes à des mesures de salut public pour l'Europe, elle distribuait encore et ôtait des trônes, sans consulter l'État souverain auquel ils étaient imposés ou enlevés. Elle proscrivait une maison royale tout entière, et supprimait le droit qu'a tout peuple de se donner une race de son choix, pour la gouverner; car le Roi Philippe V avait été reconnu par les cortès d'Espagne, et des armées espagnoles combattaient pour lui contre les armées autrichienne et anglaise.

(1) Histoire de mon temps, Paris, 1824, 4 vol. in-8°.

La coalition en arrivait donc à ce point de mettre en péril les principes civilisateurs acquis aux nations de l'Europe, depuis plus d'un siècle, et consacrés par le grand traité de Westphalie.

L'article

ainsi conçu :

des mêmes Préliminaires proposés était

« Et d'autant que le duc d'Anjou est présentement en possession » d'une grande partie des royaumes d'Espagne, des côtes de Tos>> cane, des Indes et d'une partie des Pays-Bas, il a été réciproque»ment convenu que, pour assurer l'exécution desdits articles et des >> traités à faire et à achever dans l'espace de deux mois, à com>> mencer du premier du mois de juin prochain, s'il est possible, Sa » Majesté très-chrétienne fera en sorte que, dans ce même terme, >> le royaume de Sicile soit remis à Sa Majesté catholique Charles III; >> et ledit duc sortira en pleine sûreté et liberté de l'étendue des >> royaumes d'Espagne, avec son épouse, les princes ses enfants, » leurs effets, et généralement toutes les personnes qui les voudront >> suivre, en sorte que, si ledit terme finit, sans que ledit duc d'An>> jou consente à l'exécution de la présente convention, le Roi très» chrétien et les princes et États stipulants prendront de concert les me»sures convenables pour en assurer l'entier effet. »

Ainsi, les alliés exigeaient que la paix se fit avant l'expiration des deux mois pendant lesquels durerait l'armistice, et les conditions définitives de la paix demeuraient indéterminées à leur gré; Louis XIV devait engager, pendant ce temps, son petit-fils à descendre du trône, et s'il le refusait, le Roi devait prendre, de concert avec les alliés, les mesures convenables pour assurer l'effet des conventions; c'est-à-dire qu'il devait joindre ses armes à celles des alliés pour détrôner son petit-fils. Les alliés ne se contentaient pas que Louis XIV retirât ses troupes de l'Espagne, ils exigeaient encore qu'il forçât Philippe V, avec eux et par les armes, à déposer sa couronne; et, dans l'intervalle,

pour prouver la sincérité de ses promesses, Louis XIV devait encore faire évacuer les places de la Flandre et des Pays-Bas espagnols.

Enfin le 37 article était ainsi conçu :

>> En cas que le Roi très-chrétien exécute ce qui a été dit cy » dessus, et que toute là monarchie d'Espagne soit rendue et cédée au» dit roi Charles III, dans le terme stipulé, on a accordé que la ces»sation d'armes entre les armées des hautes parties en guerre con>> tinuera jusques à la conclusion et à la ratification des traités de » paix à faire. >>

Cet article était matériellement impraticable; il était impossible que dans deux mois les conditions qu'on imposait fussent exécutées; et l'on subordonnait pourtant, la continuation de l'armistice à leur accomplissement préalable et immédiat. Ainsi donc, après avoir livré ses places et évacué l'Espagne, Louis XIV, qui n'était assuré ni de la paix, ni de ce que feraient les Espagnols, était exposé à être livré désarmé à ses ennemis et à voir continuer la guerre, sans pouvoir la soutenir avec aucune chance de succès. On lui demandait, en réalité, de mettre bas les armes et de se rendre à discrétion, après avoir trahi la nation, les devoirs du prince et ceux de la nature.

M. de Torcy revint à Versailles pour prendre les ordres du Roi, qui rompit sur-le-champ les conférences de La Haye.

Louis XIV adressa aussitôt une proclamation ou circulairé aux gouverneurs des provinces (1), pour faire connaître à la France la conduite qu'il avait tenue, dans l'espoir de rendre la paix à ses peuples, et les

(1) Voy. cette belle lettre, dans M. de Flassan, loc. cit., pag. 234. Nous regrettons de ne pouvoir la transcrire ici.

exigences odieuses de ses ennemis. L'appel à la nation produisit le plus grand effet; malgré les souffrances cruelles auxquelles elle était condamnée, elle répondit par le dévouement qu'inspire le sentiment de l'amour de la patrie et de l'honneur national outragé. Ce ne fut, dit Saint-Simon, qu'un cri d'indignation et de vengeance. De nouveaux efforts furent faits avec enthousiasme et l'élévation d'âme du monarque, dans cette situation critique, fut parfaitement secondée par l'héroïsme de la nation espagnole et du roi Philippe V, qui écrivait: Je ne quitterai l'Espagne qu'avec la vie (1). Mais la fortune trahit une fois de plus Louis XIV et la France. La France fut encore vaincue à Malplaquet (septembre 1709).

Accablé par l'adversité, le Roi se montra disposé à souscrire aux conditions dures et humiliantes qu'on lui imposait. Il était résigné à laisser la nation espagnole défendre seule son honneur, son droit, sa liberté, son Roi, son indépendance. Il demanda de nouveau la paix. Mais, aveuglés par leurs succès et par leurs ressentiments, Marlborough, Heinsius et Eugène ne mirent plus de bornes à leurs prétentions. Ils acceptèrent des conférences qu'ils ouvrirent, à Gertruydenberg, au mois de février 1710, non pas pour travailler à la paix, mais pour jouir à loisir et de près de l'humiliation du grand Roi. L'objet principal de la négociation y fut, toujours et volontairement, perdu de vue, et quand on s'en rapprochait, de nouvelles difficultés et de nouveaux doutes détruisaient l'espérance acquise, ou la convention arrêtée, et ne laissaient plus aucune chance à l'avenir. La France s'étant enfin soumise (1) Voy. de Flassan, tom. IV, pag. 288.

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