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c'est ainsi que des animaux sont devenus depuis bien des siècles les symboles des Evangélistes; types indiqués par les écrivains ecclésiastiques et puisés dans les livres saints, mais qui n'ont été figurés dans les monuments de l'art chrétien que dans les bas-temps, vers les commencements de l'époque que nous appelons le moyen-âge.

Au reste, il n'était pas besoin d'aller en Egypte pour trouver dans l'antiquité des animaux sacrés logės et entretenus dans les temples des dieux : j'en rappellerai seulement deux exemples bien connus. Athénée nous apprend que dans le temple célèbre que Junon avait à Samos, des paons étaient gardés en l'honneur de la déesse (1), dont cet oiseau était le principal attribut, souvent représenté avec elle ou seul, sur les médailles de cette île. On peut aussi, je crois, mentionner à Rome un fait analogue, les oies nourries dans l'enceinte du Capitole aux frais du trésor public, en souvenir du service que ces animaux, si peu intéressants par eux-mêmes, avaient rendu à la ville de Romulus, lorsque leurs cris la sauvèrent d'une surprise des Gaulois (2). Mais ni les paons de la Junon

(4) Deipn., XIV, 655 1. (70).

(2) Plin., Nat. hist., X, 22 (26); cf. liv. Hist. V, 47, etc.

Samienne, ni les oies du Capitole ne furent jamais des dieux pour les Grecs et les Romains. Pourquoi en aurait-il été autrement des animaux sacrés de l'Egypte? rien ne nous le révèle.

Il y a bien plus de motifs pour raisonner de même au sujet des légumes que l'on veut avoir été adorés par les Egyptiens; à Rome aussi, comme dans la Grèce, des arbres, des plantes, des fleurs et des fruits furent consacrés aux dieux, et reçurent par là un caractère sacré. Je n'ai pas besoin de rappeler que Jupiter eut ainsi le chêne, Apollon, le laurier, etc. Nous ne manquons pas de données sur l'origine historique ou fabuleuse de ces consécrations, parce que nous connaissons beaucoup mieux l'histoire et les mythes de la Grèce et de Rome que ceux de l'Egypte. Nulle part cependant, nous ne voyons que de tels végétaux aient été considérés comme des dieux, et adorés à ce titre. Chez les Egyptiens même, nous trouvons aussi quoique plus rarement, des plantes qui eurent les honneurs de semblables consécrations, le lotus, la persea, etc.; mais on n'a jamais dit qu'elles y fussent adorées. L'oignon et les légumes ses frères auraientils seuls été l'objet d'un culte exceptionnel, tandis que leur relation avec les dieux égyptiens nous reste toutà-fait inconnue? Cela ne paraît guère probable : il est plus naturel de présumer que s'ils eurent un caractère sacré sur quelque point de cette contrée, ils le durent

uniquement à ce qu'ils étaient les attributs de quelqu'une de ses divinités, de celle par exemple que nous avons vu figurée sur la médaille de Canata, malheureusement sans qu'il nous soit possible de la reconnaître et de lui donner un nom. Nous voyons seulement que les Egyptiens, plus superstitieux que les autres peuples (ils avaient cette réputation dans l'antiquité), portèrent le respect au point de se priver d'une telle nourriture, ce que les païens les plus fervents ne faisaient pas ailleurs pour les fruits consacrés à Minerve, à Bacchus, etc.

Tout ceci nous amène à porter un jugement motivé sur les témoignages des écrivains qui ont imputé un tel culte aux habitants de l'Egypte, en commençant par Juvénal et Lucien, qui paraissent en avoir parlé moins sérieusement que quelques autres. Je crois qu'ils ont bien moins songé à constater un fait réel, qu'à décocher quelques traits satiriques de leur métier. Horace avait fait une satire contre l'ail (1); mais ce n'était qu'une boutade, et dans cette pièce, le favoriļde Mécène n'envisageait point sous un rapport religieux le végétal objet pour lui de dédain et même d'horreur. Les deux autres auteurs allèrent beaucoup plus loin : ils s'emparèrent de quelques données vraies, comme

(1) Epod. 5.

il paraît par les citations plus graves que j'ai rapportées; mais en les dénaturant, comme ils le firent par leurs exagérations, on peut croire qu'ils se proposérent surtout de tourner en ridicule, le premier, un peuple étranger, peu aimé des Romains de son temps; le second, une religion que son impiété lui rendait odieuse, comme toutes les autres. Ils avaient beau jeu; car il ne s'agissait que d'un végétal assez ignoble, nourriture grossière des classes pauvres et obscures de la société : on n'avait pas songé à poétiser l'humble oignon comme on avait fait de l'olivier de Pallas, des pommes des Hesperides, et des glands de l'âge d'or.

Quant aux apologistes du christianisme et aux autres écrivains ecclésiastiques des premiers siècles, ils n'inventèrent rien à cet égard; mais ils avaient trouvé établi le préjugé contre le paganisme égyptien que nous venons de voir signalé; ils le voyaient consacré par l'autorité de quelques-uns des plus beaux génies de leur temps, dont le témoignage, en leur qualité de païens, ne pouvait être suspect aux disciples de l'Evangile. C'était une arme puissante contre l'idolâtrie; ils n'eurent pas à en examiner la trempe; ils la saisirent au milieu de la mêlée, comme ils faisaient de beaucoup d'autres, et la tournèrent avantageusement contre les ennemis qui leur faisaient une si rude guerre.

Il est temps de m'arrêter, Messieurs, et de mettre

fin à ces observations: je dois craindre de lasser l'attention bienveillante de la société distinguée qui m'écoute. Qu'il me soit permis seulement d'ajouter encore un mot. Admis depuis long-temps à l'honneur de partager ses travaux, depuis long-temps aussi je désirais l'occasion de paraître dans cette enceinte et d'assister à quelqu'une de ses réunions littéraires : je m'estime heureux d'avoir pu enfin aujourd'hui lui offrir personnellement mon premier tribut de considération et de gratitude.

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