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partie, comprenant les remèdes contre le découragement et la présomption, donnée de manière à reproduire aussi tout le texte de notre saint. Celui-ci se trouve dans la colonne de Louis de Grenade (celle de droite), reconnaissable à cette particularité que la suite du texte commun aux deux écrivains espagnols se voit en caractères ordinaires, les parties propres à Louis de Grenade étant en italiques et celles de saint Pierre d'Alcantara seul étant placées [entre crochets] 1.

A première vue, on est frappé de ce fait que, partout où paraît Alcantara, les textes de Louis de Grenade sont apparentés, identiques presque, avec les siens, tout au moins autant, sinon beaucoup plus, qu'ils ne le sont, pour les parties non communes, avec les textes de Séraphin de Fermo 2. A cause de cela, certains pourraient s'estimer en droit d'admettre que, s'il est incontestable que Louis de Grenade a travaillé sur le foni de Séraphin de Fermo, il y a également lieu de croire que saint Pierre d'Alcantara aura rédigé son Traité en abrégeant, non point Séraphin de Fermo, mais bel et bien Louis de Grenade 3.

Cette conclusion semblerait même certaine, au cas où il serait démontré et non pas seulement affirmé sans nulle preuve-que la rédaction du saint, étant postérieure à celle de Séraphin de Fermo, le mystique italien n'a pas pu appuyer sa rédaction sur le travail du réformateur franciscain. Mais, jusque-là, l'alternative subsiste, avec une énergie que nous ne nous permettrons pas d'atténuer. Il faut absolument, ou bien que saint Pierre d'Alcantara ait copié Louis de Grenade, ou que le Traité

prunter au dominicain andalous? Du moment que l'on accepte les témoignages des chroniqueurs franciscains, peut-on ne pas pousser la gracieuseté jusqu'à leur faire bon accueil jusqu'au bout? Accordons, dès lors, pleine confiance à cette information du Martyrologe franciscain: "Dono scientiae, linguarum et prophetiae, atque miraculorum abundantissime fuit illustratus." (Martyrologium franciscanum... cura R. P. ARTURI A MONASTERIO, Parisiis, MDCLIII, 18 octobris, 7; pag. 510.)

ac labore

I Comme précédemment, nous marquerons d'une croix (+) les précédant, chacun des alinéas faisant partie de ces textes et arrivant, chacun à son tour et à sa place, dans Fermo et Grenade, aussi bien que chez saint Pierre d'Alcantara.

2 La non-identité viendrait de ce que Séraphin de Fermo aurait écrit son texte italien, en traduisant l'original espagnol de saint Pierre d'Alcantara et que cette même traduction plus ou moins exacte aurait été de nouveau habillée en espagnol dans la version castillane, sur laquelle a travaillé Louis de Grenade. Ce retour à l'espagnol au travers d'une double version est moins sûr et moins purement castillan que ne l'est le texte direct de saint Pierre d'Alcantara, conçu et écrit par l'auteur, dans sa langue.

3 A moins que l'on n'aime mieux admettre, avec nous, que c'est Louis de Grenade qui a copié de préférence dans saint Pierre d'Alcantara, toutes les fois que l'occasion s'est présentée à lui d'opter entre celui-ci et Séraphin de Fermo.

de l'Oraison ait été connu en Italie avant toute publication du Livre de l'illustre dominicain.

En attendant que cette question de priorité puisse être tranchée, qu'on nous permette de livrer quelques réflexions suggérées par la collation des textes.

Un premier point de contact, entre les trois écrivains, c'est le rapprochement chez tous, dans un seul et même avis, des deux passions contraires de la pusillanimité et de la présomption, ainsi que des remèdes propres à l'une et à l'autre. Quelque intéressante que soit, par ellemême, la constatation, elle ne peut amener aucune conclusion certaine, au point de vue qui nous occupe, du moment que cette idée ne leur est nullement particulière et qu'on la rencontre chez des auteurs antérieurs. Bien plus, au fond, le remède pour ces deux passions opposées en apparence seulement, est identique: il consiste essentiellement à se dépouiller de la confiance exagérée qu'on avait en soi-même, et de la reporter tout entière dans la miséricordieuse bonté de Dieu 1.

Le remède au découragement (au désespoir 2, selon Séraphin de Fermo) est plus complet, chez saint Pierre d'Alcantara que dans les deux autres textes. A la défiance de soi, seule mise en avant par ceux-ci, le saint a ajouté le lecteur jugera de l'opportunité de l'addition-la confiance à reporter totalement sur la bonté de Dieu, auquel tout est

1 Alcantara débute ainsi : (+) “Contra las tentaciones de la desconfianza, y de la presumpcion, que son vicios contrarios, es forzoso que haya diversos remedios." Cette contrariété des passions tout comme la diversité des remèdes proposés, ne sont qu'apparentes; au fond, leur origine est commune: l'une et l'autre consiste dans la substitution, à la confiance due à Dieu seul, d'une confiance injustifiée en un autre que Dieu, celui-ci étant généralement nous-mêmes. Le remède, par contre, consistera essentiellement à restituer à Dieu, après s'en être désapproprié, cette confiance illimitée qu'on lui avait injustement refusée. Aussi l'idée de rapprocher ces passions contraires, ainsi que leurs remèdes, n'appartient-elle en propre à aucun de nos auteurs. On la retrouve déjà au Troisième Abécédaire, dans ces lignes: "Mandaua dios que no tomassen al deudor la muela inferior ni la superior porque para moler son menester ambas juntas: aquel quita la muela superior que con sus amenazas nos quita la esperança de aprouechar en la contemplacion: y aquel quita la inferior que nos quita el temor de los peligros que suelen acaecer; lo qual no es menos malo que lo primero." (Let. E, cap. II, fol. 48 v.0)

2 Là où Alcantara et Grenade traitent de la desconfianza (manque de confiance ou découragement), Séraphin de Fermo s'occupe de la desesperación, que le Dictionnaire de l'Académie Espagnole définit: "Pérdida total de la esperanza." Il se peut que le choix de cette expression ait uniquement dépendu du traducteur; mais il ne serait guère surprenant-on le verra par d'autres cas-que ce dépassement de la pensee eût eu pour auteur l'écrivain italien lui-même qui, en fait d'exagérations, le cèderait à un bien petit nombre. La traduction latine porte desperatio.

possible 1. Cette différence caracteristique s'observant dans toutes les éditions attribuées à saint Pierre d'Alcantara et dans les diverses publications du Livre de Grenade, rend absolument inadmisible la thèse du Père Cuervo. Si, de fait, le Traité avait été, lui aussi, rédigé par Louis de Grenade, comment s'expliquer qu'en 1553, cet auteur n'ait mentionné que la partie négative ou privative du remède, que, vers 1560, il se soit ravisé et ait complété, en adjoignant la partie positive; puis, que dans les révisions survenues à partir de 1564, il ait remis en honneur la première portion évidemment incomplète ?2 C'est maintes autres fois que nous constaterons des fluctuations non moins étranges et tout aussi inexplicables, dans l'hyopthèse du Père Cuervo.

Le remède à la présomption pourrait fournir mieux encore. Que l'on observe le dernier alinéa, avec son conseil, en apparence le même chez tous, de regarder dans un miroir 3. Jusqui'ici, l'idée n'a rien d'original,

1 (+) Si desseas vencer la desesperacion, que o nace de la flaqueza de tus fuerças, o de la dificultad de la empresa, considera que esta gracia, no por tu industria o merecimiento, mas por la diuina largueza se concede,

y assi tanto mas deues presumir de alcançarla, quanto menos alcançan a ella tus fuerças.

Si quieres pues vencer [Para] la desconfiança, la qual nace o de la flaquezn de tus fuerças, o de la difficultad de la empresa: considera [el remedio es considerar] que este negocio no se ha de alcançar por solas tus fuerças, sino por la diuina gracia,

la qual tanto mas presto se alcança, quanto mas el hombre desconfia de su propia. virtud [, y confia en sola la bondad de Dios, á quien todo es posible].

2 Comment, surtout, se ferait-il que toutes les éditions survenues plus tard, de son vivant ou même après sa mort, eussent maintenu, dans les publications diverses, ces bizarres divergences? On s'explique difficilement, par exemple, que, lorsqu'en 1573, puis en 1576, Portonariis publia à Salamanque le Libro de la Oración, Grenade y main. tint seulement la partie négative du remède contre la pusillanimité; mais que, dans cet intervalle de trois ans, lorsqu'en 1574, le même Portonariis fit paraître, au nom de Louis de Grenade, la Recopilación breve dont il sera parlé en son lieu, la partie négative ne parût pas seule, mais amenât avec elle le côté positif du remède. Si, de fait, cette dernière publication est bien, ainsi que le prétend le Père Cuervo, due à son illustre confrère, ne sont-ils pas étranges, incroyables même, ces perpétuels changements chez un si grand écrivain qui a voulu une chose, en 1553; en a voulu une autre en 1560; est revenu à la première en 1564; l'a reniée, en 1572; puis reprise, en 1573; est revenu à la seconde, en 1574, pour changer de nouveau, en 1576, etc., etc., etc.?

3 L'idée de considérer, soit les autres hommes, soit toutes les créatures, même les plus inférieures, comme des miroirs dans lesquels nous devons reconnaître notre imperfection et trouver les moyens d'y remédier, remonte aux temps les plus reculés. De là, sont venues toutes les fables et les apologues. Les livres saints invitent le paresseux à aller s'instruire à l'école de la fourmi, et Notre-Seigneur n'enseigna presque qu'en paraboles. Aussi sont-ils innombrables les ouvrages, populaires ou savants, fondées sur cette idée. Sous la rubrique Exempla, la Bibliotheca realis, de LIPENNIUS, ne cite pas moins de vingt auteurs distincts, ayant écrit des recueils d'exemples. Un dominicain célèbre, THOMAS DE CANTIMPRÉ, dès le milieu du treizième siècle,

le même conseil ayant été donné de tous temps. Mais tout change, si l'on considère les objets que l'on conseille d'examiner dans ce miroir: chacun, alors, se présente avec une mentalité particulière et une visée différente. Pour Séraphin de Fermo, c'est la contemplation qui est visée; Louis de Grenade veut attirer seulement à la dévotion; quant à notre saint, ce n'est ni à la contemplation, ni à la dévotion; c'est à la vie des saints, tant défunts que vivant encore dans leur chair 1, qu'il nous invite à demander des modèles, parce que, à ses yeux, il n'y a pas de contemplation pour la contemplation, ni même de dévotion pour la dévo

en avait donné un où il montrait, dans les Mœurs des abeilles, la conduite à suivre par les prélats. Il est vrai que ce travail ne fut publié que plus tard (Douai, 1595) comme le Speculum Exemplorum de JEAN MAJOR (Douai, 1605) et encore le Liber Exemplorum, ouvrage d'un franciscain anonyme du treizième siècle publié par A. G. LITTLE, à Aberdeen, en 1908, dans la Collection de la Société des Etudes Franciscaines. Mais, dès 1535, Juan Navarro, de Valence, avait imprimé un Espejo de bien biuir, œuvre d'un augustin anonyme et, à Logroño, Arnao Guillem avait publié un Espejo de la concien cia, dédié à Juana de Cárdenas par un franciscain de la province des Anges. GALLARDO, qui cite plusieurs autres éditions de ce livre (numéros 618, 619 620) n'a pas connu celle-ci dont un exemplaire est pourtant à la Bibliothèque Colombine. (Catálogo, Tom. III. pag. 33.) On n'en finirait pas si l'on voulait répertorier les ouvrages parus avant nos auteurs, sous le titre latin de Speculum; ou Espejo, en castillan; ou bien, en français, avec, au titre, Miroir ou Mirouer. L'Inventaire de la bibliothèque du roi Charles VI. fait au Louvre en 1423, contient un Miroir Albert (traduction française du Speculum Astronomiae d'ALBERT LE GRAND); un Miroir aux Dames, œuvre du cordelier WATRI QUET, fait à la demande de la reine de France, Jeanne d'Evreux; un Miroir Historial, de VINCENT DE BEAUVAIS, traduit en français par le frère hospitalier JEHAN DE VIGNAY. Ce livre fut imprimé, pour la première fois, à Paris, en 1495 et 1496, en cinq volumes in-folio. Notons tout particulièrement, un Speculum Vitae Humanae, différent d'avec celui qu'on mit sur le compte de Louis de Grenade et qui se rencontre déjà parmi les livres inventoriés, chez Jean de Badonvillers, sieur d'Annoy, de la Rivière et Maitre des Comptes, le vendredi, 13 juin 1544, par Gallot du Pré, libraire et imprimeur juré de l'Université de Paris. (PICHON ET VICAIRE, Documents pour servir à l'histoire des imprimeurs de Paris (1486-1600). Paris, 1895.) Nous aurons l'occasion de reparler de ce Speculum Vitae Humanae.

Pour le dire en passant, noter ce caractère si vraiment distinctif de la mentalité des Franciscains qui, comme école, sont ici en opposition absolue avec les Dominicains, non seulement au point de vue de la mystique, mais encore sous le rapport de la pure et simple spéculation. Pour saint Thomas, notre théologie, à nous voyageurs, est principalement d'ordre spéculatif; selon Duns Scot, elle ne saurait, en aucun cas ni pour aucune raison, ne pas être, par dessus tout, d'ordre pratique. La science pour la science est, selon les conceptions franciscaines, une science dévoyée, désordonnée, n'aboutissant à rien, parce que détournée de sa fin, l'esprit de dévotion et d'oraison, but et fin de toutes les choses temporelles, selon la formule de saint François luimême. Qu'on juge, de ce seul chef, de l'abime qui sépare les enseignements des trois auteurs examinés ici, qu'on croirait si bien apparentés. Noter encore comment la formule de saint Pierre d'Alcantara contient en germe toute la division du chapitre de Séraphin, de Fermo et, par suite, de Louis de Grenade: c'est aux saints, vivants ou morts, qu'il recommande de demander des exemples. Ce sont des exemples d'anciens saints, puis de personnes vivant dans leur chair, que Séraphin de Fermo et Louis de Grenade mettent sous nous yeux.

tion; l'une et l'autre chose doivent amener à une vie sainte: c'est dans cette vie sainte que se réalise, et se parfait toute dévotion et toute contemplation, celles-ci n'ayant d'autre valeur et d'autre mérite que la vie sainte qu'elles déterminent et nourrissent.

Quant au remède proposé, il est le même chez tous 1; mais l'image qui l'incarne, en quelque sorte, mérite notre attention: Toujours dési

I(+) No menos es peligroso persuadirse el hombre, y darse á entender que ha ya llegado al cabo, que desesperar de llegar.

Por tanto quiero darte tambien remedio para este mal de la presuncion como te lo he dado para el de la desesperacion. Primeramente, tu puedes hallar la medicina en esta dolencia, y concluir

que no hay señal mas cierta para :er que estás lexos, quanto es creer que ya has llegado,

porque los que de verdad han llegado, cada hora apressuran mas el passo,

no teniendo en nada lo que han alcançado
en comparacion de lo que queda.
Assi sant Pablo ponia en oluido lo pas-
sado, y quanto mas andaua adelante, tan-
to mas se encendia en el desseo, como !::
piedra que se mueue mas ligeramente
mientra mas se va llegando al centro,

y si tu consideras que el objeto adonde tu vas es infinito, siempre te juzgarás carecer d'el quantoquier que fuesses de muchos dones adornado,

mas si piensas que lo possées todo enteramente, sepas que tu anima aun no ha gustado sino cosa finita, pues juzga que la comprehende.

Otros muchos documentos te podria dar para abaxar la temeraria y loca presuncion, mas desseando ya concluir con este tratado, solamente te dexo esto, que tengas en memoria que si quieres saber quan lexos estás de la verdadera oracion, deues como en espejo mirarte en aquellos que fueron verdaderamente contemplatiuos, en comparacion de los quales veras

No es menor tentacion el pensar que has ya llegado al cabo, que pensar de nunca poder llegar:

Para [la presuncion,] lo cual tambien
prouare a darte su remedio.
[el remedio es considerar,]

Y tu puedes hazer desta misma ponçoña
la triaca para contra ella, concluyendo,
y aueriguando por muy cierto,
que no hay mas claro indicio de estar
[el hombre] muy lexos, que creer que
[esta muy cerca] has ya llegado.
Porque en este marauilloso camino, los
que van descubriendo mas tierra, essos
se dan mayor priessa, por ver lo [mucho]
que [les] falta; y con el sabor de lo que
han visto, siempre les crece el desseo
de lo que queda por ver, y por esso nun-
ca hazen caso [de lo que tienen] del pas-
sado, en comparacion de lo [que dessean]
venidero.

Assi dize el Apostol que echaua en olui-
do todo lo passado, y que siempre anhela-
ua, y sospiraua por lo de adelante, como
haze la piedra que se mueue azia bajo,
que quanto mas se llega a su centro, tan-
to se da mas priessa por acabar de llegar.
Y si tu piensas como el centro que vas
a buscar es infinitamente perfecto, siem-
pre te parecera que estas lexos del, y
que no has alcançado nada, aunque estu-
uiesses lleno de inestimables riquezas.
Mas si crees que ya lo possees todo, ar-
gumento es muy claro, que todo lo que
has recebido es cosa pequeña.

Muchos otros remedios te pudiera dar contra esta presumpcion temeraria; mas desseando llegar al fin, solo este auiso te dare, que si quieres entender, quan lexos estas de la verdadera oracion,

te mires [mirate, pues,] como en vn espejo, en aquellos que fueron verdaderamente deuotos [la vida de los Santos, y

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