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les établir dans toute leur pureté. Boileau disoit que la France avoit, comme l'Italie, ses auteurs classiques, et qu'il seroit nécessaire de relever leurs beautés et leurs défauts dans des notes consacrées à ce seul objet. Notre travail est une réponse à ce væu. Le premier poëte des temps modernes méritoit d'être assimilé aux premiers poëtes des temps anciens : nous avons fait pour lui ce qu'on a fait pour Virgile. Puissent les hommes vraiment habiles s'emparer de cette idée, et reproduire dans une suite de variorum tous les classiques françois!

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MÉMOIRES

SUR

LA VIE ET LES OUVRAGES

DE JEAN RACINE,

PAR LOUIS RACINE.

l'a

Lorsque je fais connoître mon père, mieux que ne l'ont fait connoître jusqu'à présent ceux qui ont écrit sa vie, en rendant ce que je dois à sa mémoire, j'ai une double satisfaction: fils et père à-la-fois, je remplis un de mes devoirs envers vous, mon cher fils, puisque je mets devant vos yeux celui qui, pour la piété, pour mour de l'étude, et pour toutes les qualités du cœur, doit étre votre modèle. J'avois toujours approuvé la curiosité que vous aviez témoignée pour entendre lire les Mémoires dans lesquels vous saviez que j'avois rassemblé diverses particularités de sa vie; et je l'avois approuvée sans la satisfaire, parceque j'y trouvois quelque danger pour votre âge. Je craignois aussi de paroître plus prédicateur qu'his- · torien, quand je vous dirois qu'il n'avoit eu la moitié de sa vie du mépris pour le talent des que vers, et pour gloire que ce talent lui avoit acquise. Mais maintenant qu'à ces Mémoires je suis en état d'ajouter un recueil de ses lettres, et qu'au lieu de vous parler de lui, je puis. vous le faire parler lui-même, j'espère que cet ouvrage, que j'ai fait pour vous, produira en vous les fruits que

la

j'en attends, par les instructions que vous y donnera celui qui doit faire sur vous une si grande impression.

Vous n'êtes pas encore en état de goûter les lettres de Cicéron, qui étoient les compagnes de tous ses voyages; mais il vous est d'autant plus aisé de goûter les siennes, que vous pouvez les regarder comme adressées à vousmême. Je parle de celles qui composent le troisième recueil.

Ne jetez les yeux sur les lettres de sa jeunesse que pour y apprendre l'éloignement que l'amour de l'étude lui donnoit du monde, et les progrès qu'il avoit déja faits, puisqu'à dix-sept ou dix-huit ans il étoit rempli des auteurs grecs, latins, italiens, espagnols, et en même temps possédoit si bien sa langue, quoiqu'il se plaigne de n'en avoir qu'une petite teinture, que ces lettres, écrites sans travail, sont dans un style toujours pur et naturel.

Vous ne pourrez sentir que dans quelque temps le mérite de ses lettres à Boileau, et de celles de Boileau : ne soyez donc occupé aujourd'hui que de ses dernières lettres, qui, quoique simplement écrites, sont plus capables toute autre lecture de former votre cœur, parceque qu'elles vous dévoileront le sien. C'est un père qui écrit à son fils comme à son ami. Quelle attention, sans qu'elle ait rien d'affecté, pour le rappeler à ce qu'il doit à Dieu, à sa mère et à ses sœurs! Avec quelle douceur il fait des réprimandes, quand il est obligé d'en faire! Avec quelle modestie il donne des avis! Avec quelle franchise il lui parle de la médiocrité de sa fortune! Avec quelle simplicité il lui rend compte de tout ce qui se passe dans son ménage! Et gardez-vous bien de rougir quand vous l'entendrez répéter souvent les noms de Babet, Fanchon, Madelon, Nanette, mes sœurs: apprenez au contraire en quoi il est estimable. Quand vous l'aurez connu dans sa famille, vous le goûterez mieux lorsque vous viendrez à

le connoître sur le Parnasse; vous saurez pourquoi ses vers sont toujours pleins de sentiment.

Plutarque a déja pu vous apprendre que Caton l'ancien préféroit la gloire d'être bon mari à celle d'être grand sénateur, et qu'il quittoit les affaires les plus importantes pour aller voir sa femme, remuer et emmailloter son enfant. Cette sensibilité antique n'est-elle donc plus dans nos mœurs, et trouvons-nous qu'il soit honteux d'avoir un cœur? L'humanité, toujours belle, se plaît sur-tout dans les belles ames; et les choses qui paroissent des foiblesses puériles aux yeux d'un bel esprit, sont les vrais plaisirs d'un grand homme. Celui dont on vous a dit tant de fois, et trop souvent peut-être, que vous deviez ressusciter le nom, n'étoit jamais si content que quand, libre de quitter la cour, où il trouva dans les premières années de si grands agréments, il pouvoit venir passer quelques jours avec nous. En présence même d'étrangers, il osoit être père : il étoit de tous nos jeux; et je me souviens (je le puis écrire, puisque c'est à vous que j'écris), je me souviens de processions dans lesquelles mes sœurs étoient le clergé, j'étois le curé, et l'auteur d'Athalie, chantant avec nous, portoit la croix.

C'est une simplicité de mœurs si admirable, dans un homme tout sentiment et tout cœur, qui est cause qu'en copiant pour vous ses lettres, je verse à tous moments des larmes, parcequ'il me communique la tendresse dont il étoit rempli.

Oui, mon fils, il étoit né tendre, et vous l'entendrez assez dire; mais il fut tendre pour Dieu lorsqu'il revint à lui; et du jour qu'il revint à ceux qui dans son enfance lui avoient appris à le connoître, il le fut pour eux sans réserve; il le fut pour ce roi dont il avoit tant de plaisir à écrire l'histoire; il le fut toute sa vie pour ses amis; il le fut depuis son mariage et jusqu'à la fin de ses jours

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