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a chée sensiblement. Je vous écris dans l'amertume de « mon coeur, et en versant des larmes que je voudrois pouvoir répandre en assez grande abondance devant Dieu

pour obtenir de lui votre salut, qui est la chose « du monde que je souhaite avec le plus d'ardeur. J'ai « donc appris avec douleur que vous fréquentiez plus « que jamais des gens dont le nom est abominable à

toutes les personnes qui ont tant soit peu de piété, et « avec raison, puisqu'on leur interdit l'entrée de l'église, « et la communion des fidèles, méme à la mort, à moins « qu'ils ne se reconnoissent. Jugez donc, mon cher neveu, « dans quel état je puis être, puisque vous n'ignorez pas « la tendresse que j'ai toujours eue pour vous, et que je « n'ai jamais rien desiré sinon que vous fussiez tout à «Dieu dans quelque emploi honnête. Je vous conjure « donc, mon cher neveu , d'avoir pitié de votre ame, et « de rentrer dans votre cour pour y considérer sérieuse« ment dans quel abyme vous vous êtes jeté. Je souhaite « que ce qu'on m'a dit ne soit pas vrai: mais si vous êtes « assez malheureux pour n'avoir pas rompu un com« merce qui vous déshonore devant Dieu et devant les « hommes, vous ne devez pas penser à nous venir voir; « car vous savez bien que je ne pourrois pas vous parler, « vous sachant dans un état si déplorable, et si contraire « au christianisme. Cependant je ne cesserai point de

prier Dieu qu'il vous fasse miséricorde, et à moi en « vous la faisant, puisque votre salut m'est si cher.»

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Voilà une de ces lettres que son neveu, dans sa ferveur pour les théâtres, appeloit des excommunications. Il crut donc

que M. Nicole, en parlant contre les poëtes, avoit eu dessein de l'humilier : il prit la plume contre lui et contre tout Port-Royal, et il fit une lettre pleine de traits piquants, qui, pour les agréments du style, fut

goûtée de tout le monde. « Je ne sais, dit l'auteur de la « continuation de l'Histoire de l'Académie françoise, si « nous avons rien de mieux écrit ni de plus ingénieux « en notre langue. » Les ennemis de Port-Royal encouragèrent le jeune écrivain à continuer, et même, à ce qu'on prétend, lui firent espérer un bénéfice. Tandis que M. Nicole et les autres solitaires de Port-Royal gardoient le silence, il parut deux réponses, dont la première, fort solide, et qui fut d'abord attribuée à M. de Sacy, étoit de M. du Bois: la seconde, fort inférieure, étoit de M. Barbier d'Aucour. Mon père connut bien au style qu'elles ne venoient pas de Port-Royal, et il les méprisa. Mais peu après, ces deux mêmes réponses parurent dans une édition des Visionnaires, faite en Hollande, en deux volumes; et il étoit écrit dans l'avertissement, à la tête de cette édition, qu'on avoit inséré « dans ce recueil les « deux réponses faites à un jeune homme qui, s'étant «chargé de l'intérêt commun de tout le théâtre, avoit « conté des histoires faites à plaisir, parceque ces deux réponses feroient plaisir, ayant pour leur bonté partagé les juges, dont les uns estimoient plus la pre« mière, tandis que les autres se déclaroient hautement "pour la seconde. »

Mon père, moins piqué de ces deux réponses que du soin que messieurs de Port-Royal prenoient de les faire imprimer dans leurs ouvrages avec un pareil avertissement, fit contre eux la seconde lettre, et mit à la tête une préface qui n'a jamais été imprimée, et qu'il assaisonna des mêmes railleries qui règnent dans les deux lettres. Après avoir dit qu'il n'y a point de plaisir à rire avec des gens délicats qui se plaignent qu'on les déchire dès qu'on les nomme, et qui, aussi sensibles que les gens du monde, ne souffrent volontiers que les mortifications qu'ils s'imposent à eux-mêmes, il s'adressoit ainsi

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à M. Nicole directement: « Je demande à ce vénérable « théologien en quoi j'ai erré, si c'est dans le droit ou « dans le fait. J'ai avancé que la comédie étoit innocente: « le Port-Royal dit qu'elle est criminelle; mais je ne a crois pas qu'on puisse taxer ma proposition d'hérésie; « c'est bien assez de la taxer de témérité. Pour le fait, « ils n'ont nié que celui des capucins; encore ne l'ont-ils

pas nié tout entier. Toute la grace que je lui demande « est qu'il ne m'oblige pas non plus à croire un fait qu'il « avance, lorsqu'il dit que le monde fut partagé entre « les deux réponses qu’on fit à ma lettre, et qu'on dis« puta long-temps laquelle des deux étoit la plus belle : « il n'y eut pas la moindre dispute là-dessus, et d'une « commune voix elles furent jugées aussi froides l'une

que l'autre. Mais tout ce qu'on fait pour ces messieurs «a un caractère de bonté que tout le monde ne con

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« noît pas.

« Il est aisé de connoître, ajoutoit-il, par le soin qu'ils « ont pris d'immortaliser ces réponses, qu'ils y avoient « plus de part qu'ils ne disoient. A la vérité, ce n'est

pas « leur coutume de laisser rien imprimer pour eux qu'ils « n'y mettent quelque chose du leur. Ils portent aux « docteurs les approbations toutes dressées. Les avis de « l'imprimeur sont ordinairement des éloges qu'ils se « donnent à eux-mêmes; et l'on scelleroit à la chancelle« rie des privileges fort éloquents, si leurs livres s'impri« moient avec privilège.

Content de cette préface et de sa seconde lettre, il alla montrer ces nouvelles productions à Boileau, qui, toujours amateur de la vérité, quoiqu'il n'eût encore aucune liaison avec Port-Royal, lui représenta que cet ouvrage feroit honneur à son esprit, mais n'en feroit pas ropur, parcequ'il attaquoit des hommes fort estimés, et

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à son

le plus doux de tous 1, auquel il avoit lui-même, comme aux autres, de grandes obligations. «Eh bien! répondit « mon père, pénétré de ce reproche, le public ne verra << jamais cette seconde lettre. » Il retira tous les exemplaires qu'il put trouver de la première; et elle étoit devenue fort rare, lorsqu'elle parut dans des journaux. Brossette, qui la fit imprimer dans son édition de Boileau, quoiqu'elle n'eût aucun rapport aux ouvrages de cet auteur, joignit en note que le Port-Royal, « alarmé « d'une lettre qui le menaçoit d'un écrivain aussi redou<< table que Pascal, trouva le moyen d'apaiser et de rega«gner le jeune Racine. » Brossette étoit fort mal instruit. Le Port-Royal garda toujours le silence, et ne fit aucune démarche pour la réconciliation. Mon père fit lui seul, dans la suite, toutes les démarches que je dirai. On n'ignore pas le repentir qu'il a témoigné; et un jour il fit

' M. Nicole, qui avoit régenté la troisième à Port-Royal, avoit été son maître. Tout le monde sait quelle étoit sa douceur: il subsistoit du profit de ses ouvrages; et le grand débit des trois volumes de la Perpétuité fit dire dans le public qu'il profitoit du travail d'autrui, parcequ'on croyoit cet ouvrage commun entre lui et M. Arnauld, qui avoit seulement mis un chapitre de sa façon dans le premier volume, et ne vit pas les autres. M. Nicole souffrit ces discours sans y répondre. Lorsque le P. Bouhours, en écrivant sur la langue françoise, releva plusieurs expressions des traductions de Port-Royal, M. de Sacy dit qu'il ne se soumettroit point à ces remarques: M. Nicole dit qu'il se corrigeroit, et en effet n'employa point dans les Essais de morale celles qui lui parurent justement critiquées. Dans les petits troubles qui arrivoient à Port-Royal sur quelques diversités de sentiments, il ne prenoit aucun parti, disant qu'il n'étoit point des guerres civiles. Madame de Longueville, qui, de l'envie de connoître les hommes fameux, passoit souvent, comme bien d'autres, à l'ennui de les voir trop long-temps, ne changea jamais à l'égard de M. Nicole, qu'elle trouvoit fort poli. Dans les conversations où il étoit contredit, ee qui arrivoit plus d'une fois, elle prenoit toujours son parti; ce qui lui fit dire, quand elle mourut, qu'il avoit perdu tout son crédit : « J'ai même, disoit-il, perdu « mon abbaye,» parcequ'elle l'appeloit toujours M. l'abbé Nicole. (L. R.)

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une réponse si humble à un de ses confrères, qui l'attaqua dans l'Académie par une plaisanterie au sujet de ce démêle, que personne dans la suite n'osa le railler sur le même sujet. Lorsque Brossette fit imprimer la première lettre, il ne connoissoit pas la seconde, qui n'étoit connue de

personne, ni de nous-mêmes. Elle fut trouvée, je ne sais par quel hasard, dans les papiers de M. l'abbé Dupin; et ceux qui en furent les maîtres après sa mort la firent imprimer.

Je reprends l'histoire des pièces de théâtre, et je viens à Andromaque. Elle fut representée en 1667, et fit, au rapport de M. Perrault, à-peu-près le même bruit que le Cid avoit fait dans les premières représentations. On voit, par l'épitre dedicatoire, que l'auteur avoit eu auparavant l'honneur de la lire à Madame : il remercie son altesse royale des conseils qu'elle a bien voulu lui donner. Cette pièce coûta la vie à Montfleuri, célébre acteur: il y représenta le rôle d'Oreste avec tant de force, qu'il s'épuisa entièrement : ce qui fit dire à l'auteur du Parnasse réformé, que tout poëte désormais voudra avoir l'honneur de faire crever un comédien.

La tragédie d'Andromaque eut trop d'admirateurs pour n'avoir pas d'ennemis. Saint-Évremont ne fut ni du nonibre des ennemis, ni du nombre des admirateurs, puisqu'il n'en fit que cet éloge: « Elle a bien l'air « des belles choses ; il ne s'en faut presque rien qu'il n'y « ait du grand.»

Un comédien, nommé Subligny, se signala par une critique en forme de comédie'. Elle ne fut

pas

inutile à

Subligny n'étoit pas comédien, il étoit avocat, ou du moins il en prenoit le titre. Sa comedie étoit intitulée la Folle Querelle , ou la critique d'Andromaque. Elle fut jouée au mois de mai 1668, et imprimée la même année. Il annonçoit dans la preface avoir trouvé plus de trois cents faute's de sens dans Andromaque. La Folle Querelle a été réimprimée dans un re

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