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Et pourquoi te cachois-je avec tant de détours'
Un secret si fatal au repos de tes jours?

Combien de fois, tes yeux forçant ma résistance,
Mon cœur s'est-il vu près de rompre le silence!
Combien de fois, sensible à tes ardents desirs,
M'est-il, en ta présence, échappé des soupirs!
Mais je voulois encor douter de ta victoire ;
J'expliquois mes soupirs en faveur de la gloire;
Je croyois n'aimer qu'elle. Ah! pardonne, grand roi,
Je sens bien aujourd'hui que je n'aimois que toi.
J'avourai que la gloire eut sur moi quelque empire;
Je te l'ai dit cent fois. Mais je devois te dire
Que toi seul, en effet, m'engageas sous ses lois.
J'appris à la connaître en voyant tes exploits;
Et de quelque beau feu qu'elle m'eût enflammée,
En un autre que toi je l'aurois moins aimée.
Mais que sert de pousser des soupirs superflus
Qui se perdent en l'air et que tu n'entends plus?
Il est temps que mon ame, au tombeau descendue',
Te jure une amitié si long-temps attendue;

1Te cachois-je est d'une dureté remarquable dans un poëte qui avoit l'oreille si sensible. Un secret si fatal est un contre-sens. L'auteur veut et doit dire un secret dont dépendoit le repos de tes jours. Il a dit à-peu-près le contraire. (L.)

2 Louis Racine trouve cette image poétique et belle : cependant la figure qui permet de prendre la partie pour le tout est employée ici abusivement, parcequ'on n'enferme point une ame dans un tombeau. (L.) Tout ce monologue est froid et languissant. On n'aime point à entendre Axiaue parler de soupirs superflus qui se perdent dans l'air, de son secret caché avec tant de détours, et de cette haine étouffée qui sert de trophée à une fausse douceur.

Il est temps que mon cœur, pour gage de sa foi,
Montre qu'il n'a pu vivre un moment après toi.
Aussi-bien, penses-tu que je voulusse vivre

Sous les lois d'un vainqueur à qui ta mort nous livre?
Je sais qu'il se dispose à me venir parler;

Qu'en me rendant mon sceptre il veut me consoler.
Il croit peut-être, il croit que ma haine étouffée
A sa fausse douceur servira de trophée!

Qu'il vienne. Il me verra, toujours digne de toi,
Mourir en reine, ainsi que tu mourus en roi.

SCENE II.

ALEXANDRE, AXIANE.

AXIANE.

Hé bien, seigneur, hé bien, trouvez-vous quelques charmes
A voir couler des pleurs que font verser vos armes?
Ou si vous m'enviez, en l'état où je suis,

La triste liberté de pleurer mes ennuis?

ALEXANDRE.

Votre douleur est libre autant que légitime:
Vous regrettez, madame, un prince magnanime.
Je fus son ennemi; mais je ne l'étois pas

Jusqu'à blâmer les pleurs qu'on donne à son trépas.
Avant que sur ses bords l'Inde me vît paraître,
L'éclat de sa vertu me l'avoit fait connaître ;
Entre les plus grands rois il se fit remarquer.

Je savois...

AXIANE.

Pourquoi donc le venir attaquer?

Par quelle loi faut-il qu'aux deux bouts de la terre
Vous cherchiez la vertu pour lui faire la guerre?
Le mérite à vos yeux ne peut-il éclater
Sans pousser votre orgueil à le persécuter?

ALEXANDRE.

Oui, j'ai cherché Porus; mais, quoi qu'on puisse dire,
Je ne le cherchois pas afin de le détruire.
J'avourai que, brûlant de signaler mon bras,
Je me laissai conduire au bruit de ses combats,
Et qu'au seul nom d'un roi jusqu'alors invincible,
A de nouveaux exploits mon cœur devint sensible.
Tandis que je croyois, par mes combats divers,
Attacher sur moi seul les
yeux de l'univers,
J'ai vu de ce guerrier la valeur répandue
Tenir la renommée entre nous suspendue;
Et voyant de son bras voler par-tout l'effroi',

'Je ne condamnerois pas plus l'effroi de son bras que la terreur de ses armes, qui est assurément une phrase reçue, et qui se justifie par l'usage de la même ellipse, la terreur causée par ses armes, l'effroi causé par son bras; mais j'avoue que je ne trouve pas le même rapport entre faire voler la terreur et faire voler l'effroi. C'est ici qu'il faut distinguer les nuances des synonymes. La terreur présente l'idée d'une espèce de contagion qui se propage rapidement : de là l'expression de terreur panique. L'effroi exprime particuliè rement le saisissement causé par la peur. Ces distinctions sont essentielles à observer dans l'usage des mots qu'on appelle synonymes: c'est de là que dépendent en partie la pureté du style et la justesse de l'expression. Ces deux vers,

Et voyant de son bras voler par-tout l'effroi,

L'Inde sembla m'ouvrir un champ digne de moi,

peuvent fournir une autre observation. Voyant est ici un de ces ablatifs absolus (moi voyant), qui sont si favorables à la poésie, et

L'Inde sembla m'ouvrir un champ digne de moi'.
Lassé de voir des rois vaincus sans résistance,
J'appris avec plaisir le bruit de sa vaillance.
Un ennemi si noble a su m'encourager;
Je suis venu chercher la gloire et le danger.
Son courage, madame, a passé mon attente:
La victoire, à me suivre autrefois si constante,
M'a presque abandonné pour suivre vos guerriers.
Porus m'a disputé jusqu'aux moindres lauriers;
Et j'ose dire encor qu'en perdant la victoire
Mon ennemi lui-même a vu croître sa gloire;
Qu'une chute si belle éléve sa vertu,
Et qu'il ne voudroit pas n'avoir point combattu.

AXIANE.

Hélas ! il falloit bien qu'une si noble envie

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dont

personne ne s'est mieux servi que Racine. Ils esigent quelques précautions, pour ne produire dans la phrase ni embarras, ni obscurité. Entre autres choses il faut prendre garde que l'ablatif ahsolu ne puisse pas se rapporter à deux substantifs : ici voyant peut également s'entendre de l'Inde et d'Alexandre. Il y a donc amphibologie, et c'est une faute. Remarquez que

l'ablatif absolu est naturel aux langues qui marquent les cas par la terminaison, parceque alors il ne peut guère produire d'équivoque. Il n'en est pas de même des langues modernes , qui marquent leurs cas par des articles : ici l'ablatif absolu est souvent près de l'équivoque. Il sert beaucoup en vers pour la rapidité et la précision ; mais il peut nuire à la clarté, et celle-ci est avant tout. (L.)

Ce vers est la traduction de ce mot d'Alexandre, rapporté par Quinte-Curce Video tandem par animo meo periculum,» « Je vois enfin un danger digne de mon courage. » Q. Curt., lib. VIGI, cap. 47. (G.)

:

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Lui fît abandonner tout le soin de sa vie,
Puisque, de toutes parts trahi, persécuté,
Contre tant d'ennemis il s'est précipité.

Mais vous, s'il étoit vrai que son ardeur guerrière
Eût ouvert à la vôtre une illustre carrière,
Que n'avez-vous, seigneur, dignement combattu?
Falloit-il par la ruse attaquer sa vertu,

Et, loin de remporter une gloire parfaite,
D'un autre que de vous attendre sa défaite?
Triomphez; mais sachez que Taxile en son cœur
Vous dispute déja ce beau nom de vainqueur;
Que le traître se flatte, avec quelque justice,
Que vous n'avez vaincu que par son artifice:
Et c'est à ma douleur un spectacle assez doux
De le voir partager cette gloire avec vous.

ALEXANDRE.

En vain votre douleur s'arme contre ma gloire:
Jamais on ne m'a vu dérober la victoire,

Et par ces lâches soins, qu'on ne peut m'imputer,
Tromper mes ennemis au lieu de les dompter.
Quoique par-tout, ce semble, accablé sous le nombre
Je n'ai pu me résoudre à me cacher dans l'ombre:
Ils n'ont de leur défaite accusé que mon bras;

Ce semble se disoit autrefois pour à ce qu'il paroît, et étoit plus précis. Il est tombé en désuétude, on ne sait trop pourquoi, puisqu'on dit encore ce me semble: c'est une bizarrerie de l'usage. Mais ce semble est ici répréhensible absolument, parcequ'il ne sauroit se lier avec la phrase, qui veut dire, quoique par-tout accablé sous le nombre, à ce qu'il paroissoit, je n'ai pu. (L.)

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