dant aucune critique imprimée dans le temps contre Britannicus. Ces sortes de critiques, à la vérité, tombent peu après dans l'oubli; mais il se trouve toujours dans la suite quelque faiseur de recueil qui veut les en retirer. Tout est bon pour ceux qui, moins curieux de la reconnoissance du public que de la rétribution du libraire, n'ont d'autre ambition que celle de faire imprimer un livre nouveau; et dans le recueil des pièces fugitives " tume de se réunir pour juger les piéces nouvelles, et qu'on appeloit le banc formidable. Le jour de la première représentation de Britannicus, ils se dispersèrent, afin de ne donner aucun soupçon de leur projet. Boursault étoit du nombre; il n'aimoit pas Racine. Il nous a laissé sur cette représentation des détails remplis de misérables plaisanteries, mais qui nous apprennent une circonstance qui mérite d'être conservée : c'est que Boileau se distingua dans cette occasion par son zèle à servir son ami, et qu'il prenoit un si grand intérêt à la pièce, que les différentes passions qu'exprimoient les acteurs se peignoient tour-à-tour sur son visage; d'où l'on pourroit conclure qu'il étoit moins insensible qu'on ne l'a pensé généralement. Boileau sut apprécier Britannicus, et à la fin de la piéce il courut vers Racine; et l'embrassant avec transport en présence d'un grand nombre de personnes, il lui dit : Voilà ce que vous avez fait de mieux, » Boursault rapporte encore que des connoisseurs auprès desquels il s'étoit trouvé avoient jugé les vers fort épurés, mais qu'Agrippine leur avoit paru fière sans sujet, Burrhus vertueux sans dessein, Britannicus amoureux sans jugement, Narcisse lâche sans prétexte, Junie constante sans fermeté, et Néron cruel sans malice. A ce jugement il suffira d'opposer celuici d'un moderne critique : « Burrhus nous offre le modèle de la véritable vertu qui sait en imposer au vice et se faire honorer dans la cour même la plus corrompue; Agrippine nous retrace les folies et les malheurs de l'ambition; Narcisse nous montre comment de vils flatteurs aplanissent aux princes la route du crime; on frémit en voyant le sort du monde entre les mains d'un jeune homme dont l'éducation a d'abord comprimé les mauvaises inclinations, mais qui, séduit par le pouvoir suprême, commence à secouer le joug de ses instituteurs pour se livrer à des scélérats. La jeunesse, la franchise et la générosité de Britannicus, la candeur, la modestie noble de Junie, répandent sur ce tableau politique une teinte douce d'intérêt et de sensibilité; le développement du caractère de Néron est un chefd'œuvre; les portraits d'Agrippine, de Burrhus, de Narcisse, sont dignes de Tacite, le plus grand peintre de l'antiquité. » faites sur les tragédies de nos deux poëtes fameux, qu'en 1740 Gissey imprima en deux volumes, je ne trouve rien sur Britannicus. On sait l'impression que firent sur Louis XIV quelques vers de cette pièce. Lorsque Narcisse rapporte à Néron les discours qu'on tient contre lui, il lui fait entendre qu'on raille son ardeur à briller par des talents qui ne doivent point être les talents d'un empereur : Il excelle à conduire un char dans la carrière, A disputer des prix indignes de ses mains, Ces vers frappèrent le jeune monarque, qui avoit quelquefois dansé dans les ballets; et quoiqu'il dansât avec beaucoup de noblesse, il ne voulut plus paroître dans aucun ballet, reconnoissant qu'un roi ne doit point se donner en spectacle. On trouvera ce que je dis ici confirmé par une des lettres de Boileau. Ceux qui ajoutent foi en tout au Bolæana croient que Boileau, qui trouvoit les vers de Bajazet trop négligés, trouvoit aussi le dénouement de Britannicus puéril, et reprochoit à l'auteur d'avoir fait Britannicus trop petit devant Néron. Il y a grande apparence que M. de Monchenay, mal servi par sa mémoire lorsqu'il composa ce recueil, s'est trompé en cet endroit. Je n'ai jamais entendu dire que Boileau eût fait de pareilles critiques; je sais seulement qu'il engagea mon père à supprimer une scène entière de cette pièce avant que de la donner aux comédiens; et par cette raison cette scène n'est encore connue de personne. Ces deux amis avoient un égal empressement à se communiquer leurs ouvrages avant que de les montrer au public, égale sévérité de critique l'un pour l'autre, et égale docilité. Voici cette scène que Boileau avoit conservée, et qu'il nous a remise: elle étoit la première du troisième acte. BURRHUS, NARCISSE. BURRHUS. Quoi! Narcisse, au palais obsédant l'empereur, NARCISSE. Avec tout l'univers je viens lui rendre hommage, BURRHUS. Près de Britannicus vous le servirez mieux. Craignez-vous que César n'accuse votre absence? Un soin dont ses malheurs se doivent défier. que rendus. NARCISSE. Ce langage, seigneur, est facile à comprendre; BURRHUS. Narcisse, vous réglez mes desseins sur les vôtres : a Junie est enlevée, Agrippine frémit; NARCISSE. loin la violence; BURRHUS. Puissiez-vous bientôt me démentir! de nos Césars réunissons le reste. Tandis qu'ils ne sont point séparés sans retour. On ne trouve rien dans cette scène qui ne réponde au reste de la versification; mais son ami craignit qu'elle ne produisît un mauvais effet sur les spectateurs : « Vous « les indisposerez, lui dit-il, en leur montrant ces deux « hommes ensemble. Pleins d'admiration pour l'un, et « d'horreur pour l'autre, ils souffriront pendant leur « entretien. Convient il au gouverneur de l'empereur, à « cet homme si respectable par son rang et sa probité, « de s'abaisser à parler à un miserable affranchi, le plus « scélérat de tous les hommes ? Il le doit trop mépriser pour avoir avec lui quelque éclaircissement. Et d'ail« leurs quel fruit espère-t-il de ses remontrances? Est-il " assez simple pour croire qu'elles feront naître quelques remords dans le cour de Narcisse? Lorsqu'il lui |