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Et le jour a par-tout éclairé mes combats 1.

Il est vrai que je plains le sort de vos provinces 2;
J'ai voulu prévenir la perte de vos princes;

Mais, s'ils avoient suivi mes conseils et mes vœux,
Je les aurois sauvés ou combattus tous deux.

Oui, croyez...

AXIANE.

Je crois tout. Je vous crois invincible:
Mais, seigneur, suffit-il que tout vous soit possible?
Ne tient-il qu'à jeter tant de rois dans les fers,
Qu'à faire impunément gémir tout l'univers?
Et que vous avoient fait tant de villes captives,
Tant de morts dont l'Hydaspe a vu couvrir ses rives?
Qu'ai-je fait, pour venir accabler en ces lieux 3
Un héros sur qui seul j'ai pu tourner les yeux?
A-t-il de votre Gréce inondé les frontières?
Avons-nous soulevé des nations entières,
Et contre votre gloire excité leur courroux?
Hélas! nous l'admirions sans en être jaloux.
Contents de nos états, et charmés l'un de l'autre,
Nous attendions un sort plus heureux que le vôtre :

Vers très beau, mais qui ne le justifie pas contre le reproche
qu'on lui fait. La trahison de Taxile diminue beaucoup l'éclat de sa
victoire. (L. R.)

2 VAR. Il est vrai que j'ai plaint le sort de vos provinces.

3 Pour venir se rapporte par la construction à Axiane, et par le
sens à Alexandre. C'est Axiane qui parle, et c'est Alexandre qui
vient. L'emploi de l'infinitif est donc une incorrection. L'exactitude
grammaticale demandoit pour que vous veniez.

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Porus bornoit ses vœux à conquérir un cœur
Qui peut-être aujourd'hui l'eût nommé son vainqueur.
Ah! n'eussiez-vous versé qu'un sang si magnanime',
Quand on ne vous pourroit reprocher que ce crime,
Ne vous sentez-vous pas, seigneur, bien malheureux
D'être venu si loin rompre de si beaux nœuds?
Non, de quelque douceur que se flatte votre ame,
Vous n'êtes qu'un tyran.

que,

ALEXANDRE.

Je le vois bien, madame, Vous voulez saisi d'un indigne courroux, En reproches honteux j'éclate contre vous 2. Peut-être espérez-vous que ma douceur lassée Donnera quelque atteinte à sa gloire passée 3. Mais quand votre vertu ne m'auroit point charmé,

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race,

Lorsqu'on emploie le mot sang au figuré, dit La Harpe, pour famille, on peut y joindre l'épithète de magnanime; mais lorsque le mot sang est employé au propre, on dit un sang noble, illustre, généreux. Je doute qu'on puisse dire un sang magnanime, le mot magnanime présentant une idée beaucoup plus rale.

2

Voltaire, dans Zaïre, s'est approprié ce vers tout entier :
Vous ne m'entendrez point, amant foible et jaloux,
En reproches honteux éclater contre vous.

mo

Cette expression élégante, éclater en reproches, n'étoit rien moins que commune quand l'auteur d'Alexandre s'en servit. Il y avoit donc quelque mérite à la trouver : c'est ce qui fait que cet emprunt de Voltaire méritoit d'être remarqué. (L.)

3 Portera seroit beaucoup plus élégant que donnera, et à ma gloire vaudroit mieux qu'à sa gloire. La gloire de ma douceur n'est pas une bonne expression, comme le seroit la gloire de ma clémence. (L.)

Vous attaquez, madame, un vainqueur désarmé.
Mon ame, malgré vous à vous plaindre engagée,
Respecte le malheur où vous êtes plongée.
C'est ce trouble fatal qui vous ferme les yeux,
Qui ne regarde en moi qu'un tyran odieux1.
Sans lui vous avoûriez que le sang et les larmes
N'ont pas toujours souillé la gloire de mes armes;

Vous verriez...

AXIANE.

Ah! seigneur, puis-je ne les point voir Ces vertus dont l'éclat aigrit mon désespoir? N'ai-je pas vu par-tout la victoire modeste Perdre avec vous l'orgueil qui la rend si funeste? Ne vois-je pas le Scythe et le Perse abattus Se plaire sous le joug et vanter vos vertus, Et disputer enfin, par une aveugle envie, A vos propres sujets le soin de votre vie?

Mais

que sert à cé cœur que vous persécutez De voir par-tout ailleurs adorer vos bontés? Pensez-vous que ma haine en soit moins violente, Pour voir baiser par-tout la main qui me tourmente? Tant de rois par vos soins vengés ou secourus, Tant de peuples contents, me rendent-ils Porus? Non, seigneur: je vous hais d'autant plus qu'on vous aime, D'autant plus qu'il me faut vous admirer moi-même2,

I

Ces deux vers offrent une image incohérente. On ne conçoit pas ce que c'est qu'un trouble fatal qui ferme les yeux, et qui cependant regarde un tyran.

2

Pompée, dans Corneille, tient à Sertorius un langage à-peuprès semblable (act. III, sc. 11). (L. B.)

Que l'univers entier m'en impose la loi,

Et que personne enfin ne vous hait avec moi.

ALEXANDRE.

J'excuse les transports d'une amitié si tendre ;
Mais, madame, après tout, ils doivent me surprendre:
Si la commune voix ne m'a point abusé,

Porus d'aucun regard ne fut favorisé ;

Entre Taxile et lui votre cœur en balance,

Tant qu'ont duré ses jours, a gardé le silence;
Et lorsqu'il ne peut plus vous entendre aujourd'hui,
Vous commencez, madame, à prononcer pour lui.
Pensez-vous que,
sensible à cette ardeur nouvelle,
Sa cendre exige encor que vous brûliez

pour elle?
Ne vous accablez point d'inutiles douleurs ;
Des soins plus importants vous appellent ailleurs.
Vos larmes ont assez honoré sa mémoire1:
Régnez, et de ce rang soutenez mieux la gloire;
Et, redonnant le calme à vos sens désolés,
Rassurez vos états par sa chute ébranlés.

Parmi tant de grands rois choisissez-leur un maître.
Plus ardent que jamais, Taxile...

AXIANE.

Quoi ! le traître!

ALEXANDRE.

Hé! de grace, prenez des sentiments plus doux;
Aucune trahison ne le souille envers vous.

Il veut qu'elle essuie promptement ses larmes, puisque si Porus est mort, il ne l'est quc depuis un moment. C'est pourquoi, quand il a dit sa cendre, ce mot ne peut être excusé que comme une expression poétique. (L. R.)

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Songez que,

Maitre de ses états, il a pu se résoudre
A se mettre avec eux à couvert de la foudre.
Ni serment ni devoir ne l'avoient engagé
A courir dans l'abyme où Porus s'est plongé.
Enfin, souvenez-vous qu'Alexandre lui-même
S'intéresse au bonheur d'un prince qui vous aime.

réunis

par un si juste choix, L'Inde et l'Hydaspe entiers couleront sous vos lois ; Que pour vos intérêts tout me sera facile Quand je les verrai joints avec ceux de Taxile. Il vient. Je ne veux point contraindre ses-soupirs ; Je le laisse lui-même expliquer ses desirs : Ma présence à vos yeux n'est déjà que trop rude: L'entretien des amants cherche la solitude; Je ne vous trouble point'.

SCENE III.

AXIANE, TAXILE.

AXIANE.

Approche, puissant roi, Grand monarque de l'Inde; on parle ici de toi : On veut en ta faveur combattre ma colère; On dit que tes desirs n'aspirent qu'à me plaire, Que mes rigueurs ne font qu'affermir ton amour:

' Tous les commentateurs ont remarqué combien Alexandre étoit dégradé dans cette scène. Il s'y fait l'interprète et le protecteur de l'amour de Taxile, et finit par se retirer en contident discret pour ne pas gêner son entretien.

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