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cle; et les apologistes contemporains ont rarement, dans des ouvrages spéciaux, surpassé la précision de dialectique et la chaleur de langage dont M. Nettement fait usage chaque fois que son sujet le ramène aux luttes de la polémique philosophique, aux conquètes de la chaire chrétienne, aux essais brillants de poésie religieuse dont la France fut occupée, depuis le << Génie du christianisme » jusqu'aux « Affaires de Rome, » depuis les « Conférences de Saint-Sulpice » jusqu'aux accents qui, les derniers, ébranlèrent la tribune de la Chambre des Pairs. La classification adoptée par M. Nettement pour introduire, autant que possible, un ordre rationnel et rigoureux dans une matière aussi surabondante et aussi prodigieusement vaque la sienne, cette classification dérive, en grande partie, des opinions professées ou des tendances marquées au sujet de la religion révélée et des systèmes de théodicée naturelle, par les écrivains dont les noms sont successivement rappelés. Ce sujet est de ceux auxquels on manque en les effleurant, et nous voulons ici nous en tenir strictement au rôle de rapporteur nous espérons avoir assez dit sur ce point par l'indication sincère qui précède. Il nous tarde d'entrer, avec l'auteur, dans le fond même de son sujet.

riée

Les époques littéraires, aussi bien que les époques politiques, ne se présentent jamais isolées aux regards de l'observateur doué de quelque critique; l'une enfante l'autre ; et l'on reconnaît que les germes développés dans les plus récentes avaient été semés dans celles qui sont comparativement anciennes. C'est ainsi que l'époque de la Restauration, dans le mouvement littéraire qui la caractérise d'une façon si brillante, n'a fait, à bien des égards, que continuer l'époque du Consulat et de l'Empire.

Celle-ci elle-même héritait de l'époque de la révolution: la lutte soutenue avec tant d'énergie, pendant la période républicaine, contre les deux principes, les deux esprits qui se disputent maintenant encore l'Europe, cette lutte s'était poursuivie

pendant toute la durée du pouvoir impérial, mais avec des armes courtoises ou plutôt émoussées, en tant qu'elle s'opérait dans le domaine de la littérature. Le génie de l'époque impériale n'autorisait guère de luttes ouvertes entre des volontés qu'elle entendait tenir sous un même joug; mais refoulés au fond des cœurs, les sentiments si violemment hostiles les uns aux autres n'en fermentaient qu'avec plus d'ardeur; on s'en aperçut bientôt lorsqu'un régime de liberté presque absolue, quant à l'expression de la pensée, permit aux antagonistes de porter dans l'arène l'expression sincère de leurs convictions opposées et les élans de leurs passions.

L'expérience que la France venait de faire lorsque, à la fin du siècle dernier, elle chercha dans une dictature militaire, fondée sur la moins déguisée des usurpations, le remède au désordre de ses institutions aussi bien qu'aux désastres amenés par une administration incapable et corrompue, cette expérience, trop récente et trop absolue pour ne pas exercer beaucoup de puissance, au moins passagère, sur les esprits, fit accueillir avec transport, comme le symbole d'une ère meilleure pour le monde intellectuel, l'ouvrage dans lequel Chateaubriand donna les premiers signes de son génie. Toute une école de publicistes, dont le savoir était fondé sur des études théologiques, Bonald à sa tête, s'offrit pour aider au raffermissement de la société. Il était permis à ces écrivains, durant cette époque de reconstruction politique et de ménagements gardés envers tous les partis, il leur était permis d'aller fort loin dans leur retour, en théorie, bien entendu, vers le passé. Les « Considérations sur la France » dépassèrent pourtant la mesure de voulait autoriser un pouvoir qui entendait employer dans son propre édifice les matériaux, sains encore, de l'ancien régime, mais sur un plan nouveau et avec le ferme projet de n'y établir définitivement que soi-même. Aussi l'œuvre de Joseph de Maistre venait d'une terre étrangère et ne fut propagée que d'une façon mystérieuse, tandis que l'arbitre des des

ce que

tinées politiques de la France ne voyait pas sans quelque complaisance le succès de la « Législation primitive, » ouvrage auquel la réputation de Bonald demeure attachée; tandis que Fontanes, représentant fidèle et complet, par l'ardeur généreuse des sentiments, par l'indécision de quelques croyances, par l'élégance exquise et la prudente hardiesse du langage, représentant, disons-nous, de ce que l'ancien régime finissant avait de meilleur et de plus caractéristique, Fontanes devenait, dans la restauration des études et la réhabilitation du goût, l'instrument honoré et presque le collègue de Napoléon. Un journal qui eut le rare bonheur et qui conserve encore le solide mérite d'être une école, concentra dans ses publications fréquentes les rayons épars de cette flamme salutaire, laquelle ranimait les débris d'un passé surpris, plein de vie encore, par le cataclysme révolutionnaire, et réchauffait en même temps les germes d'un meilleur avenir. Il s'opéra, dans l'étude et l'enseignement des sciences philosophiques, plus qu'un progrès; il s'y fit une révolution véritable: le gouvernement impérial fut loin d'en reconnaître la portée; il s'y montra tout à fait indifférent; c'était, d'ailleurs, le moment de cette époque, si brève et si remplie, où la puissance suprême, enivrée de ses triomphes et de ses œuvres, dédaignait tout ce qui naissait en dehors d'elle, et, dans toutes les sphères de la pensée, ne demandait plus guère d'auxiliaires qu'aux sciences mathématiques et physiques; elle croyait avoir tout fait dans le domaine de la législation, et n'apercevait, dans celui de la philosophie, que de nébuleuses fantaisies dont elle croyait avoir raison par l'ironie. A l'abri de ce dédain, Royer-Collard, en 1811, fit un effort audacieux et couronné par le succès afin d'enlever l'enseignement philosophique aux théories qui en rabaissaient la dignité et en faussaient la tendance légitime. Dans cette voie, nouvelle pour la France, bien que les maîtres accrédités de l'école écossaise, de celle de Koenigsberg et d'autres encore, florissant dans les universités allemandes, l'eussent déjà frayée ou plu

tôt rouverte aux esprits contemporains, dans cette voie marchèrent des hommes illustres dès l'âge où d'autres préparent seulement leur renommée : MM. Guizot et Villemain, à qui M. de Fontanes donna des chaires, à l'un d'histoire moderne, à l'autre de littérature française. Royer-Collard, qui devait quitter de fort bonne heure l'enseignement public, avait un continuateur tout préparé dans Jouffroy; et son école s'apprêtait à gagner la plénitude de ses destinées, en remontant complétement vers les sources antiques, lorsque M. Cousin, disciple encore, prendrait à son tour la direction.

La cause même de la liberté politique ne demeura pas sans une défense éloquente pendant cette période où, toujours suspecte, elle finissait par être traitée en ennemie; Mme de Staël combattait pour elle; par sa conversation, alors une puissance véritable, par son silence, quand le langage était commandé, et par les doctrines énoncées tantôt sans ménagement dans un ouvrage dont le titre seul et la forme sont frivoles, tantôt avec plus de réserve dans ce traité « de l'Allemagne,» sans précédent dans son genre et dans son but, ouvrage où l'intelligence française, aiguisée par la curiosité, aidée par les demi-révélations du génie, comprit tout ce qui ne pouvait lui être qu'indiqué.

Sotto il velame delli carmi strani.

Depuis la conclusion du concordat, la chaire chrétienne s'était relevée; l'enseignement théologique et la prédication avaient mis en relief des talents brillants et de beaux caractères; il suffit de nommer M. de Boulogne et M. Emery. Les conférences de Saint-Sulpice replacèrent l'élite de la société laïque en communauté d'intérêt et sur le pied d'une pieuse déférence avec le plus accrédité entre les organes nouveaux du clergé. M. Frayssinous comme apologiste, M. de la Luzerne comme exégète et controversiste, retrouvèrent le terrain solide et les voies prudentes de l'Eglise gallicane, empruntant au nouveau régime la tolérance, et se trouvant par là plus forts

encore pour attaquer l'indifférence révolutionnaire en matière de religion.

Telle fut, envisagée seulement dans ses traits les plus généraux, à l'aide des productions capitales des quatorze premières années de notre siècle, la préparation littéraire à l'époque de la Restauration. Le régime politique auquel ce nom est demeuré procédait, on le sait, de la chute du grand établissement militaire auquel les institutions et les travaux de l'empire avaient fini par aboutir. A côté d'énormes désavantages, résultant fatalement des faits mêmes qui lui avaient donné naissance, le régime de la Restauration possédait deux inappréciables biens: d'une part, il ramenait, en la modérant et la fixant, la liberté politique dont les franchises littéraires sont un corollaire qu'on ne tarda pas beaucoup à concéder; de l'autre, il s'appuyait, en toutes choses, sur la notion du droit; il faisait de la légitimité l'article fondamental de son symbole; c'était une protestation efficace contre l'emploi dégradant de la force et la prépondérance des accidents qu'amènent la violence et la surprise. On a vu plus tard des génies brillants et même fiers tourner en dérision ce qu'ils appelaient la fiction vaine de ces théories; il n'en est pas moins certain que, jusqu'à présent, l'humanité n'a rien rencontré de plus propre à produire la mansuétude dans le commandement et la dignité dans l'obéis

sance.

Le mouvement littéraire qui suivit immédiatement les événements politiques d'où résultèrent les restaurations de 1814 et 1815, satisfit, dès son début, à deux tâches distinctes: il fit entrer dans des voies nouvelles les esprits qui se trouvaient déjà voués à la culture des lettres, et il ouvrit une carrière nouvelle, plus ample et plus libre, à bon nombre de nouveaux talents.

Au début de la Restauration, les deux grandes écoles littéraires dont l'antagonisme allait faire la puissance intellectuelle, l'intérêt, mais aussi le danger de cette époque, se

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