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losophique, puisqu'elles font connaitre un homme, et une étude historique, puisque cet homme a été mêlé à des événements considérables. Ces deux volumes doivent à l'absence complète de préoccupation littéraire de la part de l'auteur, aux circonstances qui les ont produits au grand jour, aux sentiments auxquels ils répondaient, à ceux qu'ils ont modifiés, une valeur que je crois très-grande. L'impression que les Lettres de Saint-Arnaud ont produite a été profonde. Elle devait ètre et elle a été singulièrement favorable à un homme mal entouré par les circonstances, et, par conséquent, mal jugé.

Les Lettres de Saint-Arnaud, et plus encore les Souvenirs contemporains, nous ont amenés aux frontières de l'histoire, de ce genre littéraire le plus imposant de tous, à qui incombent les plus rudes labeurs et les plus austères devoirs. Au milieu des événements que chaque jour, chaque heure jetait à la curiosité publique, au travers de tant de préoccupations actuelles et palpitantes, il semble que l'étude du passé ait dû être négligée, que les hommes n'aient pas pu avoir le loisir de se recueillir, les uns pour enseigner, les autres pour écouter. Cependant 1855 nous lègue des livres historiques qui demeureront; il est vrai que ce sont, non pas de nouvelles entreprises, mais l'achèvement ou la continuation de travaux déjà commencés; toutefois la manière dont ils ont été poursuivis ne peut qu'ajouter aux renommées déjà mûres des éminents écrivains auxquels ils sont dus.

Il serait difficile de trouver trois hommes ayant moins d'analogie que MM. de Barante, Michelet et Thiers; il semble qu'il n'y ait entre eux rien de commun, ni la tournure des idées, ni la nature du talent, ni la façon d'envisager les choses, ni celle de les reproduire. Et il n'est aucun d'eux cependant qui ne soit doué d'éminentes qualités historiques. On sera frappé chez l'un de la rectitude du jugement, chez l'autre de la poétique énergie de la description, chez le troisième de l'admirable vivacité du récit. Tandis que l'œuvre de M. de Barante est un

tableau qui reproduit les événements, celle de M. Michelet est un miroir bizarrement taillé et plein de sauvages lueurs qui les reflète, celle de M. Thiers une glace à travers laquelle on les voit clairs et distincts. Chacun a ses prédilections: l'un étudie plus volontiers les individus, l'autre est attiré par les causes, l'autre séduit par les résultats. A l'historien du Consulat et de l'Empire le domaine des faits, à l'auteur de l'Histoire de France le vaste champ des théories, à celui de la Convention et du Directoire l'analyse des théories et des faits. S'il fallait trouver des nationalités à des tendances si variées, parfois même si opposées, je dirais que M. de Barante relève plutôt de la bonne école anglaise, M. Michelet de la grande école allemande et M. Thiers de l'école plus particulièrement et étroitement française. Au reste, en France même et dans le sein de la société politique, nous trouverons les sources auxquelles se sont abreuvés ces trois esprits, et nous reconnaîtrons dans leurs trois œuvres : la doctrine parlant avec toute l'autorité que donne l'honnêteté unie à la modération, c'est-à-dire le bon sens; la révolution représentée par ses instincts les plus dévoués, par ses plus généreuses illusions, et aussi par ses plus véritables gloires; et enfin les traditions, les idées fondamentales de l'empire défendues avec un éclat incomparable par un esprit trop vaste pour qu'il eût pu jamais être renfermé dans le despotisme administratif de cet imposant gouvernement.

M. de Barante a publié les derniers volumes de son Histoire du Directoire; il a ainsi achevé l'oeuvre ingrate à laquelle il s'était dévoué en entreprenant l'Histoire de la Convention. Cette œuvre est ingrate, parce qu'elle est éminemment honnête, parce que l'auteur n'a pas reculé devant l'obligation de faire descendre les faux dieux du piédéstal sur lequel la terreur publique les avait hissés. Leur amoindrissement a eu pour effet d'amoindrir les proportions, et, par conséquent, le prestige de l'histoire. Jusqu'ici l'effroi qui avait entouré les noms de certains hommes, le souvenir de leur règne sangui

naire, les avait grandis d'une façon démesurée. En voyant les chefs de la révolution en dehors de l'humanité par l'absence complète de toute idée morale, on s'était habitué à les regarder comme étant également en dehors et au-dessus de l'humanité par la vigueur de leurs conceptions, par l'inflexibilité de leurs principes, par leur génie, qu'on mesurait à la hauteur de leurs crimes. On avait ainsi fait d'eux des géants intellectuels, terribles Titans, objets à la fois d'horreur et d'admiration, qui avaient mérité la haine, mais qui commandaient le respect.

Ce sont ces hommes que M. de Barante a étudiés avec un soin impartial et un zèle inexorable, et qu'il nous montre tels qu'ils sont réellement. Grâce à lui, nous pouvons maintenant les voir de tout près, tantôt dans le tumulte désordonné de leurs délibérations ampoulées et violentes, tantôt dans le secret de leurs conseils sans sagesse et sans boussole, tantôt dans leurs fêtes prétentieuses et déclamatoires, tantôt dans leurs orgies de vulgaires parvenus. On éprouve quelque étonnement en se trouvant en face d'hommes merveilleusement médiocres, avocats bavards faisant encore mieux ressortir dans leurs phrases amphigouriques la pauvreté de leurs idées; épiciers voilant ou plutôt dévoilant leur couardise par le bruit des grosses voix avec lesquelles ils envoient courageusement les autres à la mort, ne comprenant rien ni à la politique, ni aux finances, ni à la guerre, ni aux besoins matériels, ni aux nécessités intellectuelles du pays; stupide troupeau dont en un jour d'ignominie la France a subi le joug, et que pendant près de cinquante ans elle s'est efforcée de réhabiliter, sans doute dans le but de se réhabiliter elle-même.

On comprend maintenant pourquoi la tâche de M. de Barante était ingrate; il fallait se prendre corps à corps avec l'opinion publique, qui voyait dans ces hommes tantôt des génies incompris, tantôt des génies malfaisants, des apôtres de l'humanité ou des monstres surnaturels. Ils n'étaient ni l'un ni

tableau qui reproduit les événements, celle de M. Michelet est un miroir bizarrement taillé et plein de sauvages lueurs qui les reflète, celle de M. Thiers une glace à travers laquelle on les voit clairs et distincts. Chacun a ses prédilections: l'un étudie plus volontiers les individus, l'autre est attiré par les causes, l'autre séduit par les résultats. A l'historien du Consulat et de l'Empire le domaine des faits, à l'auteur de l'Histoire de France le vaste champ des théories, à celui de la Convention et du Directoire l'analyse des théories et des faits. S'il fallait trouver des nationalités à des tendances si variées, parfois même si opposées, je dirais que M. de Barante relève plutôt de la bonne école anglaise, M. Michelet de la grande école allemande et M. Thiers de l'école plus particulièrement et étroitement française. Au reste, en France même et dans le sein de la société politique, nous trouverons les sources auxquelles se sont abreuvés ces trois esprits, et nous reconnaîtrons dans leurs trois œuvres : la doctrine parlant avec toute l'autorité que donne l'honnêteté unie à la modération, c'est-à-dire le bon sens; la révolution représentée par ses instincts les plus dévoués, par ses plus généreuses illusions, et aussi par ses plus véritables gloires; et enfin les traditions, les idées fondamentales de l'empire défendues avec un éclat incomparable par un esprit trop vaste pour qu'il eût pu jamais être renfermé dans le despotisme administratif de cet imposant gouvernement.

M. de Barante a publié les derniers volumes de son Histoire du Directoire; il a ainsi achevé l'œuvre ingrate à laquelle il s'était dévoué en entreprenant l'Histoire de la Convention. Cette œuvre est ingrate, parce qu'elle est éminemment honnête, parce que l'auteur n'a pas reculé devant l'obligation de faire descendre les faux dieux du piédestal sur lequel la terreur publique les avait hissés. Leur amoindrissement a eu pour effet d'amoindrir les proportions, et, par conséquent, le prestige de l'histoire. Jusqu'ici l'effroi qui avait entouré les noms de certains hommes, le souvenir de leur règne sangui

naire, les avait grandis d'une façon démesurée. En voyant les chefs de la révolution en dehors de l'humanité par l'absence complète de toute idée morale, on s'était habitué à les regarder comme étant également en dehors et au-dessus de l'humanité par la vigueur de leurs conceptions, par l'inflexibilité de leurs principes, par leur génie, qu'on mesurait à la hauteur de leurs crimes. On avait ainsi fait d'eux des géants intellectuels, terribles Titans, objets à la fois d'horreur et d'admiration, qui avaient mérité la haine, mais qui commandaient le respect.

Ce sont ces hommes que M. de Barante a étudiés avec un soin impartial et un zèle inexorable, et qu'il nous montre tels qu'ils sont réellement. Grâce à lui, nous pouvons maintenant les voir de tout près, tantôt dans le tumulte désordonné de leurs délibérations ampoulées et violentes, tantôt dans le secret de leurs conseils sans sagesse et sans boussole, tantôt dans leurs fêtes prétentieuses et déclamatoires, tantôt dans leurs orgies de vulgaires parvenus. On éprouve quelque étonnement en se trouvant en face d'hommes merveilleusement médiocres, avocats bavards faisant encore mieux ressortir dans leurs phrases amphigouriques la pauvreté de leurs idées; épiciers voilant ou plutôt dévoilant leur couardise par le bruit des grosses voix avec lesquelles ils envoient courageusement les autres à la mort, ne comprenant rien ni à la politique, ni aux finances, ni à la guerre, ni aux besoins matériels, ni aux nécessités intellectuelles du pays; stupide troupeau dont en un jour d'ignominie la France a subi le joug, et que pendant près de cinquante ans elle s'est efforcée de réhabiliter, sans doute dans le but de se réhabiliter elle-même.

On comprend maintenant pourquoi la tâche de M. de Barante était ingrate; il fallait se prendre corps à corps avec l'opinion publique, qui voyait dans ces hommes tantôt des génies incompris, tantôt des génies malfaisants, des apôtres de l'humanité ou des monstres surnaturels. Ils n'étaient ni l'un ni

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