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martine étaient élevées, tendres, rèveuses, pleines de regrets mal assoupis, et d'espérances trop vivement colorées pour n'être pas trompeuses. «Depuis le Génie du christianisme, aucun livre n'avait produit en France une impression plus vive et plus profonde. » Le rôle joué par l'auteur des Méditations dans le monde intellectuel fut d'autant plus grand que, cédant à la seule impression de son génie, «< il n'avait ni prétention, ni système ; » le public suivit en lui, non pas un maître, mais un enchanteur. L'école religieuse et politique à laquelle le poëte reconnaissait appartenir n'avait rien d'équivoque ni d'indécis, mais il faut ajouter que, dès ses premiers accents, M. de Lamartine fit voir qu'il appartenait à cette école moins par des dogmes nettement arrêtés que par des sentiments chaudement conçus, et qu'il s'efforça doucement de l'entraîner elle-même vers une latitude de croyances et une expansion de liberté que les organes plus sévères de ce grand parti ne consentirent pas longtemps à subir. M. de Lamartine a noblement reconnu que les bienfaits de Louis XVIII,

qui avait de l'Auguste dans le caractère littéraire1,» vinrent le chercher avec autant de délicatesse que d'empressement, sitôt qu'il se fût revélé au roi en même temps qu'à la France. Entre le premier recueil des « Méditations » et le second, entre les «Secondes Méditations» et les « Harmonies poétiques, >> dernière œuvre de M. de Lamartine pendant la période de la Restauration, l'œil le moins exercé aperçoit des différences, indiquant les progrès des tendances individuelles de l'écrivain, à mesure que, développées par l'âge, enhardies par le succès, et stimulées par les événements extérieurs, elles se dégagent des croyances générales et des obligations officielles de l'école dont le poëte avait été, non pas l'oracle, mais l'éclat. Peu, de mois avant la révolution de juillet, M. de Lamartine entrait à l'Académie française; il y fut reçu par Cuvier. Les discours des deux écrivains sont dignes de leurs noms; on éprouve un plai'Préface des Méditations, édition de 1849.

sir mélancolique à se rappeler qu'on a vécu dans de pareils jours.

M. Victor Hugo fit, dans le monde poétique, ses débuts en 1822; il n'avait alors que vingt ans. Il se plaça, d'une façon bien plus résolue que M. de Lamartine, puisque sa verve était agressive, et qu'il semblait vouloir se charger des justices austères de la postérité, il se plaça, disons-nous, sous le drapeau religieux et politique près duquel le chantre des Méditations s'était rangé. Le talent précoce de M. Hugo fut salué comme du génie; effectivement il devait plus tard y monter. M. Hugo fut traité avec une indulgence aveugle: on lui sut gré de ne rien ménager; le public se rendit par l'exagération de ses éloges et le mauvais choix de ce qu'il louait le plus, complice en grande partie des excès de tout genre qui firent de M. Hugo un des principaux corrupteurs, d'abord du goût littéraire, ensuite du sens politique, qu'il y ait eu de notre temps. En 1824, des théories littéraires d'une indépendance fière, cachet que le caractère de M. Hugo garda toujours, commencèrent à se faire jour dans des essais de composition en prose qui décelaient une autre face du talent souple et multiple de l'auteur. Une de ces querelles oiseuses qui, d'espace en espace, ébranlent le monde littéraire, et qu'on se rappelle, avec un vague ennui, par son titre de «Débat entre le genre classique et le genre romantique,» était alors à l'apogée de sa violence. Elle eut son bon côté, en ce sens qu'elle porta vivement à l'étude des littératures étrangères; elle eut son mauvais côté, et celui-là, je crois, plus considérable, en ce qu'elle diminua généralement le respect pour les modèles classiques de notre langage, et ouvrit les portes au néologisme barbare dont nous sommes infestés. M. Hugo intervint dans cette querelle avec la supériorité d'une conviction dédaigneuse; d'ailleurs, les solutions qu'il indique sont équitables et même fécondes; il faut lire tout ce morceau; l'auteur aurait singulièrement gagné à s'en tenir pour lui-même à la sentence arbitrale qu'il prononce entre les combattants.

Casimir Delavigne, par ses « Messéniennes, » la première parut en 1815, et le poëte avait vingt-deux ans, prit avec mesure, mais avec décision, la place d'organe principal, dans la sphère poétique, des sentiments blessés par les événements politiques, et hostiles aux tendances essentielles de la Restauration. L'inspiration lyrique chez Casimir Delavigne est franche sans être puissante; le théâtre se trouva bientôt plus favorable à la richesse tempérée de son talent; il y porta les mêmes doctrines philosophiques, la même indignation contre toute intervention de la force étrangère dans les affaires d'une nation, la même antipathie pour les classifications sociales qui rappellent, même de loin, l'ancien régime français. Un respect religieux pour les formes anciennes du langage s'unissait dans l'auteur des Messéniennes (comme chez la plupart des écrivains de son école politique) à une affection excessive pour les doctrines énoncées et les intérêts développés en 1789. Aussi Casimir Delavigne sera, d'après toute apparence, rangé par la postérité parmi les écrivains purs, mais froids et contenus. « Les rares épitres de ce poëte sont un reflet élégant, spirituel, mais un peu décoloré, de celles de Voltaire.» M. de Béranger, en s'insinuant dans toutes les émotions, bonnes et mauvaises, qui agitent les âmes et les esprits des classes laborieuses et pauvres, s'acquit une puissance bien plus réelle, bien plus durable, et qui allait jouer un rôle très-marqué dans la préparation à une révolution nouvelle. Pour combattre le christianisme et la Restauration, solidaires à ses yeux, toutes les armes du sarcasme, du pathétique, de la bouffonnerie, de l'ironie, du persiflage contenu, de la verve emportée, devinrent familières à M. de Béranger. C'est le Tyrtée de la cause qu'il avait entrepris de relever; les souvenirs de l'époque impériale se transfigurent dans ses chansons en quelque chose de touchant presque autant que d'héroïque. Le gouvernement de la Restauration se composait, relativement à la surveillance de la presse, de deux éléments bien distincts, l'un favorable par principe, au libre développement de l'intelligence,

l'autre, et celui-ci dominait habituellement, inquiet par instinet, mais indulgent par tempérament envers ce travail hàté et passionné de la pensée. Ces deux éléments se trouvèrent d'accord pour reconnaitre le danger dont la popularité de M. de Béranger menaçait l'établissement politique, et pour chercher à lui appliquer ces mesures de répression, alors strictement légales et presque dérisoires dans leur modération, mesures dont l'usage ne fit que stimuler l'ardeur de l'adversaire, accroître son crédit dans la multitude, et lui donner à peu près gratuitement le prestige attaché aux objets de toute persécution.

Bien d'autres poëtes très-distingués fleurirent à l'époque de la Restauration : leur action s'exerça dans des sphères plus restreintes; un public spécial, et généralement d'élite, suivit avec intérêt leurs travaux. M. Nettement caractérise, à notre sens, avec beaucoup de justice et de bonheur, dans cette troupe illustre, M. Alfred de Vigny, plus fécond encore comme prosateur, éminent dans le genre si difficile et si distingué du roman philosophique; M. Viennet, talent d'une rare vigueur, caractère d'une calme et måle indépendance, inépuisable dans sa veine dramatique, incisif et judicieux dans ses satires ; Soumet, Guiraud, Chênedollé et Delphine Gay, au-devant de qui, lorsqu'à la fleur de l'âge et dans toute la fraicheur d'une inspiration printannière elle publia ses premiers vers, volèrent tant d'espérances qui ne devaient pas être entièrement déçues.

Ce fut le glorieux et en même temps redoutable privilége de l'époque de la Restauration que ses destinées politiques se trouvèrent indissolublement liées au travail, même littéraire, de la pensée, en sorte qu'une histoire littéraire de cette époque doit être consacrée en grande partie à raconter les luttes de la tribune, et qu'il lui faut réserver une place très-ample aux publicistes et aux orateurs.

Ce serait faire tort à l'époque impériale que croire la supériorité intellectuelle étrangère à ce faisceau formidable d'éléments d'action et de force avec lequel le pouvoir souverain

tenait la France courbée sous le joug, et travaillait à y mettre l'Europe; mais la liberté était bannie de toute application, de toute expression même, des facultés de l'esprit; l'éminence littéraire pouvait conduire à la faveur; jamais elle ne menait à la puissance. Le gouvernement parlementaire, rétabli par la Restauration, ouvrit une carrière aussi franche que vaste à ce qui, dans les classes supérieures et moyennes de la société, combinait l'aptitude aux débats politiques avec l'ambition d'entrer pour quelque chose dans les destinées de l'État. Le droit de suffrage électoral, et généralement tout accès aux fonctions politiques, demeura refusé aux hommes complétement dénués de fortune; restriction blessante et manifestement injuste dans un petit nombre de cas, mais dont les événements ultérieurs ont peut-être justifié la sévérité: le suffrage universel n'ayant, en définitive, mis en France de méthode et de suite qu'à détruire l'essence du gouvernement représentatif. Quoi qu'il en soit, la tribune politique, relevée par la charte de Louis XVIII, ne tarda pas à briller par l'union de magnifiques talents et de caractères d'une élévation vraiment antique. Il faut le dire la tribune, en illustrant le présent, ne prit point assez de souci de l'avenir. Les partis s'y donnèrent une licence qui prévint contre la nature même du gouvernement représentatif des millions d'esprits timorés, auxquels le souvenir d'un passé récent inspirait des craintes incurables sur les résultats produits par l'exaspération des rivalités politiques. Les orateurs favoris du public poursuivaient, à peu d'exceptions près, avec une vivacité presque toujours aveugle, le triomphe momentané de leurs causes spéciales et l'agrandissement de leur influence personnelle :

Liceat in dies,

Dixisse Vixi; cras, vel atrâ
Nube polum Pater occupato,
Vel sole puro...

:

Et ce fut l'orage qui vint. Mais la tribune française, pendant les trente-trois années où, libre, elle domina toutes choses dans

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