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des années, surtout depuis la guerre de Chine, les bonnes gens de ces pays lointains vivaient dans une terreur perpétuelle d'une invasion anglaise. Nous aimons à penser qu'ils furent rassurés, au moins pour quelque temps, par le résultat de l'entrevue.

A quelques lieues plus haut que le chef-lieu se trouvent, des deux côtés du fleuve, plusieurs vastes couvents de lhamas, dont l'un paraît être le grand séminaire du pays; il renferme au moins deux cents moines et novices voués au célibat, la tête rasée et revêtus de frocs rouges taillés comme ceux des moines catholiques; la plupart des familles nobles y ont un de leur membre, et le rajah y avait son frère. Ces monastères, entourés de hautes murailles crénelées et munies de tours, toujours bâtis sur des hauteurs escarpées, ont leurs toits hérissés d'une quantité de drapeaux, qui achèvent de leur donner l'air de forteresses du moyen âge. Ils possèdent presque tous des bibliothèques assez soignées, où quelques centaines de volumes au plus, sont rangés chacun dans sa niche. Ce sont d'énormes liasses de plusieurs pouces d'épaisseur et de deux pieds et demi de long sur huit pouces de large; toutes les feuilles, grossièrement imprimées, sont détachées et solidement ficelées entre deux planches, chaque paquet portant son étiquette. Un savant hongrois, M. Czomo de Körös, a eu la patience de s'enfermer pendant bien des mois dans une lhamaserie du Thibet anglais, dont la bibliothèque est très-riche, et a publié, outre une grammaire thibetaine, un aperçu de la littérature de la langue. Il est impossible de se faire une idée d'un ramassis de graves puérilités et de fadaises mystiques pareil à celui qui compose en grande partie l'ensemble de ces productions littéraires.

La route de Ladak au Balti suit le cours de l'Indus pendant huit ou dix journées, et s'en écarte ensuite pour franchir le plus haut passage de ces contrées dominé par un immense dôme de neige de forme parfaitement ronde. Au delà, on

descend dans la vallée du Sayak, appelé quelquefois, par erreur, branche nord de l'Indus. Ici la langue change de nouveau ainsi que la religion. On est dans le Baltistan, qui a sa langue à part et dont les habitants sont musulmans chyites ou sectateurs d'Ali. Ce petit pays était, il y a vingt ans, une sorte de confédération de rajahs, dont le chef, Ahmed-Schah, souvent nommé par Jacquemont et par Vigne, possédait Iskardo, la ville principale de la contrée. C'était un grand ennemi des Séikhs et surtout de Goulab- Sing, lorsque celui-ci, du vivant de Runjet, préparait la conversion de son fief de Jumno en souveraineté indépendante. Battu déjà en 1835, Ahmed fut fait prisonnier en 1846, et la ligue des chefs brisée par la déchéance de tous ceux qui s'étaient réunis à lui. Le vainqueur eut pourtant soin de laisser le pouvoir nominal dans les mêmes familles, qui possèdent leurs principautés depuis un temps immémorial. La plupart prétendent descendre d'Alexandre le Grand, dont le nom est resté populaire dans tous ces pays barbares une fois soumis à son sceptre'; quelque bouffonne que puisse être cette prétention, il n'en est pas moins avéré que la plupart de ces petites dynasties de montagnes datent du commencement du quinzième siècle. Ces souverains au petit pied, peu habitués encore à la visite des Européens et effrayés du nom de l'Angleterre, dont leur nouveau suzerain se sert comme d'un épouvantail perpétuel, traitent de simples voyageurs avec un immense respect, allant à leur rencontre et les conduisant à travers leurs terres avec les plus grandes attentions. L'un d'eux, qui avait poussé le zèle jusqu'à faire établir des fontaines de distance en distance pour calmer la soif possible des

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Il est curieux de remarquer combien les souvenirs grecs sont encore vivants dans ces contrées. Jacquemont raconte en plus d'une occasion que les noms d'Alexandre (Iskander) Platon (Aflatoun) Aristote (Aristotl) et de Socrate (Bocrates), sont employés comme types de grandeur, de sagesse, de science et de vertu.

sahibs (es seigneurs, tel est le nom des Anglais dans tout l'Himalaya), raconta que récemment Goulab lui avait augmenté les redevances féodales, sous le prétexte ingénieux qu'il lui fallait beaucoup d'argent pour remplir le premier de ses devoirs, une magnifique hospitalité envers les Européens.

On retrouve bientôt l'Indus en descendant le Sayak sur des radeaux d'outres gonflées. Cette rivière est sujette aux épouvantables débâcles qui ont porté trois fois en quinze ans la dévastation jusque dans les basses plaines. Il arrive souvent que les glaciers abrupts de la chaîne de Karakoram d'où elle sort, glissent sur leur base et viennent obstruer son lit de leurs masses énormes. Si l'été n'est pas assez doux pour fondre cette barrière, l'hiver suivant en augmente infiniment la force, et les eaux s'accumulent quelquefois pendant plusieurs années, jusqu'à ce qu'un jour cette écluse cède, et un désastre pareil à celui de Bagnes, en Valais, vient désoler les pays en aval. En 1841, les ravages de l'inondation se firent sentir sur les bords de l'Indus jusqu'à 200 lieues au-dessous du confluent, et les campagnes du Punjab furent ravagées.

Iskardo, le chef-lieu de la contrée, est bâti au pied d'un immense rocher isolé au milieu d'une vallée aride et sablonneuse. Le climat est beaucoup plus doux que celui de Ladak, mais le paysage n'est guère plus riant, quoique fort grandiose. D'immenses montagnes couronnées de neiges éternelles s'élèvent abruptement et sans gradation du fond de la vallée, et sont surmontées d'autres plus hautes encore.

Le séjour de ce pays est assez peu intéressant, aussi les rares voyageurs qui y sont allés, n'y sont pas restés longtemps, mais ont repris assez vite la route de Sirinagur, en franchissant dès le second jour le col de Deotsa. Au sommet de ce passage est un immense plateau presque toujours couvert de neige, et il y fait un froid cruel; la seule créature animée qui puisse y vivre toute l'année est la marmotte, qu'on y trouve en nombres considérables. Une descente rapide dans la vallée de Garys et

l'ascension d'un nouveau et dernier chaînon de l'Himalaya, amènent à un point ou la vallée de Cachemyr s'étend de nouveau devant le voyageur, le lac de Wullur brillant à ses pieds.

La vue de cet endroit est peut-être la plus belle de tout ce cercle magnifique en ce qu'elle est double. Si, au lieu de regarder au sud, on tourne ses regards vers le nord-est, on voit une étendue encore plus vaste de montagnes; une succession non interrompue de chaînes s'étageant les unes sur les autres jusqu'aux cimes lointaines de l'Indo-Kuch, à l'extrême horizon, font ressortir la gigantesque silhouette de la pyramide isolée de Diamol, et les masses énormes et tourmentées des monts Gosseis, derrière lesquels coule l'Indus.

Nous avons accompli, comme nous nous l'étions proposé, une courte pérégrination dans les Etats que les traités ont donnés à Goulab-Sing. Il a hérité de son ancien maître, un des plus beaux et des plus misérables lieux du monde; il a conquis des provinces arides où des peuples calmes et laborieux savent tirer de leur travail et de l'ordre, une prospérité relative. Pourra-t-il faire du tout un état florissant, ou laisserat-il tomber Balti et Ladak dans la triste situation où il a trouvé Cachemyr? Avec les trois-quarts des princes asiatiques, il y aurait beaucoup à parier que la dernière alternative serait la plus probable; mais celui-ci a montré en plus d'une occasion qu'il y avait en lui l'étoffe d'un homme de sens; son successeur, élevé sous les yeux des généraux Allard et Ventura, a pris en grandissant beaucoup des idées de l'Europe, en sorte que l'on ne doit pas désespérer de voir ce délicieux pays refleurir et se ranimer. Du reste, si la dynastie nouvelle manque à ce mandat, la puissante main qui l'a établie peut la faire rentrer dans le néant et accomplir elle-même le miracle qu'elle a déjà répété sur tant de points de l'Inde. R. D.

VOYAGE D'UNE FEMME AU SPITZBERG

me

PAR

LÉONIE D'AUNET.

Il serait à désirer que parmi tous les membres d'une expédition scientifique, il y eût toujours une femme jeune, énergique et spirituelle, pour nous faire le récit de ses propres impressions et raconter d'une manière vive, piquante et gracieuse, les scènes dont elle a été témoin, les événements auxquels elle a pris part, et que les femmes comprennent presque toujours autrement que les hommes et souvent mieux.

On sait quelle énergie se trouve dans ces corps si frêles en apparence. On craignait le moindre courant d'air, on brave l'ouragan, et ces pieds délicats qu'aurait fatigués une promenade le long du boulevard, franchissent des obstacles qu'un homme se fait gloire d'avoir surmonté. Mme d'Aunet est une jeune Parisienne qui s'en est allée bravement au Spitzberg, et dont ni les fatigues ni les privations n'ont abattu le courage.

Un seul moment l'effroi l'a saisie: elle pense à la France, à tant d'amis qu'elle a quittés; puis elle a bien maigri; sa coquetterie souffre de son teint si pâle. Mais à quoi bon les regrets! une fantaisie lui a fait quitter la France pour explorer ces régions si tristement poétiques : elle veut aller jusqu'au bout de cette fantaisie qui est devenue un devoir.

Mme d'Aunet a une grande puissance de description, cela tient à la vivacité de ses impressions et à la simplicité avec laquelle elle les retrace. Sans chercher ce qu'on appelle l'effet, elle y parvient, tant est grande la séduction d'un style naturel. Elle ne se pose point en héroïne, et cependant, au milieu des étendues de glace où l'on n'entend d'autre bruit que celui de ces montagnes mouvantes s'entrechoquant et menant le

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