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le même voyage. Il y a, nous le savons, quelque chose de profondément mélancolique dans ces pays déshérités au delà desquels il n'y a plus rien que les glaces éternelles du pôle. On se sent saisi d'un frisson à la pensée de ces existences humaines qui s'écoulent dans ces lugubres régions. Et cependant on assure que le Lapon ne survit pas à l'abandon de sa patrie. Ainsi même la Laponie est une patrie. Au reste pourquoi s'en étonner?

Le pauvre Lapon dans sa misérable cabanne vit peut-être aussi heureux que nous, entourés de tous les agréments et des conforts de la vie; il ne sent pas la privation de jouissances qu'il ne connaît pas; il en est ainsi de toutes choses. - A l'homme il faut beaucoup; l'enfant sourit à son hochet.

Nous avons eu, pour parler de ce livre, un motif particulier. En général les expéditions septentrionales sont peu connues du public autrement que par ces grandes catastrophes qui, de temps à autre, attirent l'attention de l'Europe. Cela résulte de ce que ces régions redoutables ne sont guère visitées que par des hommes qui les explorent dans un but scientifique. Le capitaine, la boussole à la main, étudie les phénomènes magnétiques, les officiers absorbés par la conduite matérielle de l'expédition n'ont que peu de temps à donner à des observations auxquelles du reste les habitudes et la direction de leur vie impriment un cachet de précision infiniment utile, sans doute et du plus haut intérêt, mais d'un intérêt tout autre et moins sympathique que les simples récits du poëte. A bord du vaisseau s'embarquent l'astronome, le naturaliste, le mathématicien; mais on n'y accorde pas de place à l'ignorant. Et cependant c'est l'ignorant, on comprend dans quel sens nous prenons le mot, qu'aime le public qui demande moins à s'instruire qu'à être ému, moins à comprendre les phénomènes qu'à se les représenter, et qui cherche la nouveauté des impressions plutôt que la nouveauté des faits scientifiques. Il en résulte que les grands ouvrages qui racontent les expéditions dans le

Nord sont plus admirés que connus, et ont produit des noms immortels, mais non pas des noms populaires. Le livre de Mme d'Aunet est un premier effort tenté pour combler partiellement cette lacune regrettable; elle s'est trouvée en présence d'une nature dont elle a contemplé, sans trop les approfondir, ni les scruter, les mystérieuses évolutions et les sombres spectacles. Au reste, ne semble-t-il pas que les récits de voyage sont, de tous les genres littéraires, celui qui est le mieux adapté au génie particulier de la femme. Ce génie est de sentir vivement et naïvement. Quand une femme veut rester femme et ne point chercher à lutter avec les hommes sur le terrain aride des considérations politiques ou des débats philosophiques ; quand elle dit ses impressions sans rougir de leur mobilité, sans chercher ni à les combattre ni à trop les expliquer; alors elle écrit à merveille, avec une fraicheur et un imprévu auxquels il est difficile de résister. Le plus beau titre de Mme de Staël n'est-il pas Corinne? Et Corinne c'est un voyage, c'est l'Italie. Et qu'on ne nous dise pas que nous réclamons pour notre opinion l'appui d'une gloire qui est trop grande pour avoir un sexe quelconque? Corinne ne pouvait être écrit que par une femme, une femme de génie soit; mais aucun homme n'eût senti l'Italie de cette façon-là. Tandis que beaucoup de littérateurs médiocres eussent aussi bien conduit l'intrigue du roEt en général les romans écrits par des femmes manquent de trait; les caractères y sont faiblement estompés plutôt qu'ils ne sont peints vigoureusement; il y a de la monotonie dans les situations, les touches de détail sont délicates, mais l'ensemble n'a pas cette vigueur qu'on désire rencontrer dans une œuvre de ce genre. Nous en dirons autant pour l'histoire: les femmes, et c'est là leur beau rôle, se laissent séduire plutôt par les individualités que par les théories, les accidents ont pour elles plus d'attrait que les principes; elles ont trop de rectitude morale pour avoir beaucoup de rectitude politique; l'impartialité leur est presque impossible; car dans toute apprécia

man.

tion elles mettent un peu d'enthousiasme, et l'enthousiasme c'est la bienveillance pour les uns et la haine pour les autres. Quant aux études purement philosophiques, quelles que soient d'ailleurs la distinction et l'étendue de l'esprit des femmes, il n'aura jamais cette liberté qui seule permet d'aborder certaines questions et de les traiter à fond. Il ne suffit pas, pour écrire sur ces matières-là, d'avoir de nobles instincts, une conviction inébranlable, ni même beaucoup d'esprit. Il faut, je ne dirai pas que le cœur, mais que l'intelligence n'ait pas de parti pris. Or, chez les femmes l'intelligence et le cœur sont trop étroitement unis pour que tous deux ne soient pas toujours du même avis.

Que les femmes gardent donc dans les domaines de la pensée, le magnifique rôle qui leur a été assigné; les arts, l'imagination, en un mot la poésie. Il y aura toujours assez d'hommes pour parler la prose.

DE L'AVENIR POLITIQUE DE L'ANGLETERRE

PAR

le Comte de MONTALEMBERT.

APRÈS LA PAIX

CONSIDÉRATIONS SUR LE LIBÉRALISME ET LA GUERRE D'ORIENT

PAR

le Comte A. de GASPARIN.

Les sages du moyen âge possédaient un onguent qui guërissait tous les maux et prévenait toutes les maladies. Qu'on eût un os brisé, une fluxion de poitrine, un coup d'épée dans les chairs, peu importait! La panacée était universelle, d'une vertu égale pour tous les genres d'accidents, et pour toutes les infirmités. Il s'appliquait tantôt intérieurement, tantôt extérieurement, mais toujours infaillible.

De nos jours, où l'on se dit moins crédule, mais où l'on se préoccupe beaucoup des sociétés qui passent pour être plus malades que les individus, c'est l'Angleterre qui joue le rôle d'élixir de longue vie. C'est à elle que regardent tous les partis. Le radicalisme, expulsé du continent, a trouvé à Londres un refuge; de plus, convaincu que dans la lutte actuelle l'Angleterre eût voulu démolir autre chose que les murailles de Sébastopol, il désirait avec ardeur que la conduite politique de la guerre lui fût confiée. L'empire voit en elle une alliée puissante, utile et fidèle. —Le libéralisme considère le parlement britannique comme l'arche sainte des libertés constitu tionnelles et modérées. Il n'est pas jusqu'aux anciens royalistes, conservateurs, peu importe la dénomination, qui' ne ressentent une vieille et secrète sympathie à l'endroit d'un pays qui a tant combattu naguère pour les trônes de l'Europe, et qui, après tout, est la première patrie des grands seigneurs.

Dans cette position, que les événements ont faite à l'Angleterre, il y a de quoi flatter son amour-propre, mais il y a aussi de quoi effrayer son bon sens. Elle ne peut guère espérer de conserver longtemps cette popularité. Il viendra un moment où, pour garder l'alliance des uns, elle devra se résigner à la haine des autres. On a beau être illogique, on ne peut pas rester fidèle à la fois à des traditions aristocratiques, à des passions révolutionnaires, à des idées libérales, à des envies bureaucratiques, à des mœurs parlementaires, à des admirations despotiques. Un grand pays ne saurait louvoyer éternellement. J'admets que des circonstances exceptionnelles puissent exercer sur l'opinion publique une action assez forte pour concilier les instincts les plus contraires; mais cette conciliation n'est que momentanée, elle cesse avec les préoccupations qui l'ont produite. La bataille recommence, et la bataille c'est le triomphe des uns et la défaite des autres.

Ces réflexions m'ont été suggérées par les deux écrits remarquables que j'ai sous les yeux. Il est évident que MM. de Montalembert et de Gasparin ne peuvent avoir ni les mêmes sympathies ni les mêmes espérances, et cependant tous deux font de l'Angleterre un éloge d'autant plus complet qu'il est fondé sur une connaissance réelle des faits, des institutions, des idées, et surtout des mœurs qui expliquent idées, faits et institutions. Il y a peut-être un certain sentiment commun à tous deux dans la pensée première qui a, je ne dirai pas dicté ces livres, mais inspiré l'idée de les écrire. Mais, quelle que soit, si mon hypothèse est fondée, la similitude d'origine dans ces écrits, je trouve dès l'abord une différence fondamentale dans les bases mêmes sur lesquelles ils reposent, dans les sentiments avec lesquels les deux écrivains ont envisagé l'Angleterre. Je ne crois pas me tromper en disant que M. de Gasparin estime qu'en Angleterre c'est l'homme qui a fait la société, tandis qu'aux yeux de M. de Montalembert c'est la société qui a fait l'homme. Au reste, ces questions-là sont

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