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Alexandre VI, qui le choisit même en 1494 pour accompagner son neveu, le cardinal de Montréal, à Naples, où il allait couronner le roi Ferdinand II. Davila revint à Rome et y mourut le 28 octobre 1497, après avoir purgé la mémoire de son père, et sans que Torquemada eût réussi à porter atteinte à sa propre liberté.

VI. D. Pierre Aranda, évêque de Calahorra, ne fut point aussi heureux : il était fils de Gonzale Alonso, juif baptisé du temps de S. Vincent Ferrier, et qui fut dans la suite maître de la chapelle de S. Barthélemi, dans l'église paroissiale de Saint-Laurent de la ville de Burgos. Gonzale eut la satisfaction de voir nommer évêques ses deux fils le second fut D. Alphonse de Burgos, archevêque de Montréal en Sicile, qui fut enterré dans la chapelle dont je viens de parler, quoique l'historien Gil Gonzalez Davila ait écrit que l'évêque déposé dans le tombeau était D. Pierre Aranda. Celui-ci mourut à Rome en 1498: il avait été nommé à l'évêché de Calahorra en 1478, président du conseil de Castille en 1482; et néan moins, en 1488 il était déjà l'objet d'une instruction secrette dirigée par Torquemada, ce qui ne l'empêcha point de convoquer un synode dans la ville de Logrogno en 1492.

VII. Sur ces entrefaites, Torquemada et les autres inquisiteurs de Valladolid entreprirent le procès de Gonzale Alonso, son père, en cherchant à prouver qu'il était mort hérétique judaïsant. Il suffisait que quelque juif converti fût mort riche et heureux, pour qu'on essayât de faire naître des soupçons sur sa foi et sa religion; tant la malveillance contre les descendans des juifs était grande, ainsi que l'envie

de les persécuter et d'enrichir le fisc de leurs dépouilles. Les inquisiteurs de Valladolid et l'évêque diocésain ( qui était alors celui de Palencia) ne furent pas d'accord dans le jugement qu'ils portèrent sur l'accusé. Son fils l'évêque de Calahorra, D. Pierre Aranda, fut à Rome en 1493, et obtint d'Alexandre VI. un bref, en date du 13 août de la même année, par lequel cette affaire fut renvoyée à D. Ignigue Manrique, évêque de Cordoue, et à Jean de S. Jean, prieur du monastère des bénédictins de Valladolid. Ils devaient prononcer sur le sort de Gonzale, et faire exécuter leur jugement, sans que les inquisiteurs ni l'ordinaire diocésain eussent droit de s'y opposer, ou d'appeler du jugement qu'ils auraient rendu. Les suites de cette décision furent favorables à la mémoire de Gonzale.

VIII. L'évêque, son fils, acquit à un tel point l'es time du pape, qu'il fut nommé grand majordome du palais pontifical. Le pape l'envoya en 1494 å Venise avec la qualité d'ambassadeur, et nomma protonotaire apostolique Jean de Aranda, fils naturel de l'évêque, qui accompagna son père dans cette ambassade. Une faveur si distinguée n'arrêta pas l'ardeur de l'Inquisition, qui continua le procès qu'elle avait commencé contre lui pour cause d'hérésie : ses juges furent l'archevêque, gouverneur de Rome, et deux évêques, auditeurs du palais apostolique. D. Pierre présenta cent un témoins, mais avec tant de malheur, que chacun eut quelque chose à dire contre lui, soit sur un point, soit sur un autre. Les juges firent leur rapport au pape dans le consistoire secret du vendredi 14 septembre 1498, et le souverain pontife, d'accord avec les cardinaux, condamna l'évêque

à être dépouillé de ses emplois et de ses bénéfices, à être dégradé de la dignité épiscopale, et réduit à l'étaš de simple laïque : il fut enfermé dans le château SaintAnge, où il mourut quelque temps après (1).

IX. Malgré un jugement si formel, je ne pense point que D. Pierre Aranda fût coupable du crime dont on l'accusait, parce qu'il me paraît incroyable qu'il eût pu conserver d'ailleurs la réputation de bon catholique pendant si long-temps, et se concilier si particulièrement l'estime générale, que la reine Isabelle l'avait nommé président du conseil de Castille. Ce qui prouve le zèle de l'évêque pour la pureté de la foi et du dogme, c'est le soin qu'il eut de convoquer une assemblée synodale dans son diocèse. Quoique les témoins eussent fait connaître quelques propositions ou quelques faits contraires au dogme, les conséquences n'en sont pas aussi graves qu'elles peuvent le paraître au premier coup-d'œil, puisqu'il est constant, d'après une multitude d'exemples, que jeûner le dimanche, se reposer le samedi, s'abstenir de la viande de cochon et du sang des animaux, et suivre d'autres pratiques semblables, étaient des motifs suffisans pour qu'un homme fût déclaré coupable de judaïsme, quoique tout le monde sache aujourd'hui combien toutes ces choses sont compatibles avec l'attachement le plus inviolable aux dogmes de la foi catholique.

ARTICLE III.

Conflit de juridiction.

I. Ce triomphe du Saint-Office, et d'autres avantages que son système de persécution lui avait fait

(1) Burcard, Journal de Rome, cité par Reinaldi, dans ses annales ecclésiastiques, année 1498, 11o 22.

obtenir sur des hommes puissans, enflèrent tellement les inquisiteurs espagnols, qu'ils ne craignirent plus d'entreprendre, en matière de juridiction, tout ce qui convenait à leur despotisme; toujours sûrs de l'appui du prince en faisant l'apologie de leur conduite, et en représentant que, si on ne l'approuvait pas, il serait impossible de poursuivre avec succès les hérétiques, et d'en purger le royaume. De là résultèrent mille conflits de juridiction entre les inquisiteurs et les vicerois, les gouverneurs généraux des provinces, les cours royales de justice et d'autres juges laïques, les archevêques, les évêques, les vicaires généraux et les autres juges ecclésiastiques.

- II. Presque toujours l'intrigue assura aux inquisiteurs le succès de leurs entreprises; cet abus a duré jusqu'à notre siècle; et l'on a vu, dans une infinité de circonstances, le Saint-Office avilir publiquement les magistrats, et les obliger à lui faire satisfaction pour de prétendues offenses, en assistant à genoux à une messe solennelle, avec un cierge et l'habit de pénitent; à demander pardon et l'absolution des censures dont il les avait frappés, à recevoir la pénitence qui leur était imposée, et à promettre de l'accomplir actes humilians pour des magistrats qui n'avaient d'autre tort que d'avoir voulu défendre l'honneur de l'autorité royale, mais plus honteux encore pour un monarque qui laissait avilir ainsi ses ministres, ses juges et ses gouverneurs. Les faits dont je parle, et qui appartiennent au temps de Torquemada, furent le fondement sur lequel les inquisiteurs établirent leurs insolentes maximes concernant la nature de leur autorité et de leur pouvoir.

III. En 1488 le gouverneur général de Valence fit

mettre en liberté Dominique de Santa-Cruz, qui avait été arrêté par ordre des inquisiteurs comme ennemi du Saint-Office; le motif qui avait porté le gouver→ neur à faire ce coup d'autorité, était que le crime dont on accusait le prisonnier ne pouvait être jugé que par le tribunal militaire, quoiqu'on le supposât condamné depuis long-temps comme hérétique. Les inquisiteurs adressèrent leurs plaintes au monarque, qui (au lieu de prendre le parti de son lieutenant) soumit l'affaire à la décision du conseil de la Suprême, ce qui n'était autre chose que se déclarer en faveur de l'Inquisition; car ce conseil n'a jamais perdu de vue la maxime que, quoique la conduite des inquisiteurs soit répréhensible, et mérite d'être punie, il n'est jamais permis de leur donner tort devant le public, de crainte que leur considération ne s'affaiblisse, et que leur autorité n'en souffre. Le conseil décida que le gouverneur général de Valence se rendrait à Madrid pour rendre compte de sa conduite, et que tous ceux qui lui avaient obéi et prêté main-forte pour mettre en liberté le prisonnier, seraient traduits eux-mêmes dans les prisons du Saint-Office. Le roi informa le gouverneur général du parti qu'on venait de prendre à son égard; et cet officier, malgré son rang élevé, se vit forcé de recevoir l'absolution des censures qu'on prétendait qu'il avait encourues.

IV. Je ne sais si c'est le même Dominique de SantaCruz, ou quelqu'autre Espagnol de ce nom, qui fut la cause d'un évènement semblable arrivé à Cagliari, en Sardaigne, dix ans après celui dont je viens de parler, c'est-à-dire, en 1498. L'archevêque l'avait fait sortir des prisons du Saint-Office, avec le secours du lieutenant général du roi. Il y eut un procès sur la com

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