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Boursault dans ses lettres rapporte sa conversation sur les bénéfices avec un abbé qui en avoit plusieurs, et qui lui disoit : « Cela est bien bon pour vivre. Je n'en « doute point, lui répondit Boileau; mais pour mourir, « M. l'abbé, pour mourir!»

Interrogé dans sa vieillesse s'il n'avoit point changé d'avis sur le Tasse, il assura que, loin de se repentir de ce qu'il en avoit dit, il n'en avoit point assez dit, et en donna les raisons que rapporte M. l'abbé d'Olivet dans l'Histoire de l'Académie françoise.

La réponse d'Antoine, son jardinier d'Auteuil, au P. Bouhours, fut telle que Brossette la rapporte dans son Commentaire. Antoine condamnoit le second mot de l'Épitre qui lui étoit adressée, prétendant qu'un jardinier n'étoit pas un valet. C'étoit le seul mot qu'il trouvoit à critiquer dans les ouvrages de son maître.

Quoique Boileau aimât toujours sa maison d'Auteuil, et n'eût aucun besoin d'argent, M. Le Verrier lui persuada de la lui vendre, en l'assurant qu'il y seroit toujours également le maître, et lui faisant promettre qu'il s'y conserveroit une chambre qu'il viendroit souvent occuper. Quinze jours après la vente, il y retourne, entre dans le jardin, et n'y trouvant plus un berceau 'sous lequel il avoit coutume d'aller rêver, appelle Antoine et lui demande ce qu'est devenu son berceau, Antoine lui répond qu'il a été détruit par ordre de M. Le Verrier. Boileau, après avoir rêvé un moment, remonte dans son carrosse, en disant : « Puisque je ne suis plus le maître ici, qu'est-ce que j'y viens faire? Il n'y revint plus.

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On sait que, dans ses dernières années, il s'occupa de sa Satire sur l'équivoque, pour laquelle il eut cette tendresse que les auteurs ont ordinairement pour les productions de leur vieillesse. Il la lisoit à ses amis, mais il ne vouloit plus que leurs applaudissements: ce n'étoit

plus ce poëte qui autrefois demandoit des critiques, et qui disoit aux autres:

Écoutez tout le monde, assidu consultant.

Il redevint même amoureux de plusieurs vers qu'il avoit retranchés de ses ouvrages par le conseil de mon père : il les y fit rentrer, lorsqu'il donna sa dernière édition.

Il la revit avec soin, et dit à un ami qui le trouva attaché à ce travail : « Il est bien honteux de m'occuper en« core de rimes, et de toutes ces niaiseries du Parnasse, « quand je ne devrois songer qu'au compte que je suis « près d'aller rendre à Dieu. » On a toujours vu en lui le poëte et le chrétien.

M. le duc d'Orléans l'invita à dîner: c'étoit un jour maigre, et on n'avoit servi que du gras sur la table. On s'aperçut qu'il ne touchoit qu'à son pain: « Il faut bien, « lui dit le prince, que vous mangiez gras comme les <«< autres, on a oublié le maigre. » Boileau lui répondit : « Vous n'avez qu'à frapper du pied, Monseigneur, et les « poissons sortiront de terre. » Cette allusion au mot de Pompée fit plaisir à la compagnie, et sa constance à ne point vouloir toucher au gras lui fit honneur.

Il se félicitoit avec raison de la pureté de ses ouvrages : « C'est une grande consolation, disoit-il, pour un poëte qui va mourir, de n'avoir jamais offensé les mœurs. » A quoi on pourroit ajouter: De n'avoir jamais offense

personne.

M. Le Noir, chanoine de Notre-Dame, son confesseur ordinaire, l'assista à la mort, à laquelle il se prépara en très sincère chrétien: il conserva en même temps, jusqu'au dernier moment, le caractère de poëte. M. Le Verrier crut l'amuser par la lecture d'une tragédie, qui dans sa nouveauté faisoit beaucoup de bruit. Après la lecture du premier acte, il dit à M. Le Verrier: « Eh! mon ami,

« ne mourrai-je pas assez promptement? Les Pradon << dont nous nous sommes moqués dans notre jeunesse, « étoient des soleils auprès de ceux-ci. » Comme la tragédie qui l'irritoit se soutient encore aujourd'hui avec honneur, on doit attribuer sa mauvaise humeur contre elle à l'état où il se trouvoit: il mourut deux jours après. Lorsqu'on lui demandoit ce qu'il pensoit de son état, il répondoit par ce vers de Malherbe:

Je suis vaincu du temps, je cède à ses outrages.

Un moment avant sa mort, il vit entrer M. Coutard, et lui dit, en lui serrant la main : « Bonjour et adieu, l'a« dieu sera bien long. » Il mourut d'une hydropisie de poitrine, le 13 mars 1711, et laissa par son testament presque tout son bien aux pauvres.

La compagnie qui suivit son convoi, et dans laquelle j'étois, fut fort nombreuse; ce qui étonna une femme du peuple à qui j'entendis dire: « Il avoit bien des amis : on «< assure cependant qu'il disoit du mal de tout le monde."

Il fut enterré dans la chapelle basse de la Sainte-Chapelle', immédiatement au-dessous de la place qui, dans la chapelle haute, est devenue fameuse par le Lutrin qu'il a chanté.

Cette même année nous obtînmes, après la destruction de Port-Royal, la permission de faire exhumer le corps de mon père, qui fut apporté à Paris le 2 décembre 1711, dans l'église de Saint-Étienne-du-Mont, notre paroisse alors, et placé derrière le maître-autel, en face de la chapelle de la Vierge, auprès de la tombe de M. Pascal. L'épitaphe latine que Boileau avoit faite, et qui avoit été placée dans le cimetière de Port-Royal, ne subsistant plus, je la vais rapporter avec la traduction fran

Et non pas Saint-Jean-le-Rond, sa paroisse, comme il est dit dans le Supplément au Nécrologe de Port-Royal. (L. R.)

çoise faite par le même Boileau : la traduction que ses commentateurs ont mise dans ses OEuvres n'est point la véritable; ce qu'on reconnoîtra aisément par la différence du style.

D. O. M.

Hic jacet vir nobilis Joannes Racine, Franciæ thesauris præfectus, regis à secretis atque à cubiculo, nec non unus è quadraginta Gallicanæ Academiæ viris, qui, postquàm profana tragœđiarum argumenta diù cum ingenti hominum admiratione tractasset, musas tandem suas uni Deo consecravit omnemque ingenii vim in eo laudando contulit, qui solus laude dignus est. Cùm eum vitæ negotiorumque rationes multis nobilibus aulæ tenerent addictum, tamen in frequenti hominum commercio omnia pietatis ac religionis officia coluit. A Christiano rege Ludovico Magno selectus unà cum familiari ipsius amico fuerat, qui res eo regnante præclarè ac mirabiliter gestas præscriberet. Huic intentus operi, repentè in gravem æquè ac diuturnum morbum implicitus est, tandemque ab hac sede miseriarum in melius domicilium translatus anno ætatis suæ LIX. Qui mortem longo adhuc intervallo remotam valdè horruerat, ejusdem præsentis aspectum placidâ fronte sustinuit; obiitque spe multò magis, et piâ in Deum fiduciâ expletus, quàm fractus metu. Ea jactura omnes illius amicos, quorum nonnulli inter regni primores eminebant, acerbissimo dolore perculit. Manavit etiam ad ipsum regem tanti viri desiderium. Fecit modestia ejus singularis, et præcipua in hanc Portus-Regii doinum benevolentia, ut in eâ sepeliri voluerit, ideoque testamento cavit, ut corpus suum, juxta piorum hominum qui hic sunt corpora, humaretur. Tu verò quicumque es, quem in hanc domum pietas adducit, tuæ ipse mortalitatis ad hunc aspectum recordare, et clarissimam tanti viri memoriam precibus potius quàm elogiis prosequere.

D. O. M.

Ici repose le corps de messire Jean Racine, trésorier de France, secrétaire du roi, gentilhomme ordinaire de sa chambre, et l'un des quarante de l'Académie françoise, qui, après avoir long-temps

charmé la France par ses excellentes poésies profanes, consacra ses muses à Dieu, et les employa uniquement à louer le seul objet digne de louange. Les raisons indispensables qui l'attachoient à la cour l'empêchèrent de quitter le monde; mais elles ne l'empêchèrent pas de s'acquitter, au milieu du monde, de tous les devoirs de la piété et de la religion. Il fut choisi avec un de ses amis par le roi Louis-le-Grand, pour rassembler en un corps d'histoire les merveilles de son règne, et il étoit occupé à ce grand ouvrage, lorsque tout-à-coup il fut attaqué d'une longue et cruelle maladie, qui à la fin l'enleva de ce séjour de misères, en sa 59 année. Bien qu'il eût extrêmement redouté la mort lorsqu'elle étoit encore loin de lui, il la vit de près sans s'en étonner, et mourut beaucoup plus rempli d'espérance que de crainte, dans une entière résignation à la volonté de Dieu. Sa perte toucha sensiblement ses amis, entre lesquels il pouvoit compter les premières personnes du royaume, et il fut regretté du roi même. Son humilité et l'affection particulière qu'il eut toujours pour cette maison de PortRoyal des Champs, lui firent souhaiter d'être enterré sans aucune pompe dans ce cimetière avec les humbles serviteurs de Dieu qui y reposent, et auprès desquels il a été mis, selon qu'il l'avoit ordonné par son testament. O toi! qui que tu sois, que la piété attire en ce saint lieu, plains dans un si excellent homme la triste destinée de tous les mortels; et, quelque grande idée

que puisse te donner de lui sa réputation, souviens-toi que ce sont des prières, et non pas de vains éloges qu'il te demande.

Sur ce

NOTE

passage des Mémoires de Louis Racine, page 16: Il pria
M. Vitart, son oncle, de la porter à Chapelain.

Nicolas Vitart, oncle de Jean Racine, mourut en 1641. Ce ne fut donc pas lui qui porta à Chapelain, en l'année 1660, l'ode intitulée la Nymphe de la Seine, mais bien son fils, intendant de la maison de Chevreuse. Ce fils étoit cousin germain de Jean Racine, qui lui adressa plusieurs lettres que l'on trouve dans sa correspondance.

FIN DES MÉMOIRES.

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