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Amour, rage, transports, venez à mon secours,
Venez, et terminez mes détestables jours!
De ces cruels amis trompez tous les obstacles!
Toi, justifie, ô ciel, la foi de tes oracles!
Je suis le dernier sang du malheureux Laïus;
Perdez-moi, dieux cruels, ou vous serez déçus.
Reprenez, reprenez cet empire funeste;
Vous m'ôtez Antigone, ôtez-moi tout le reste:
Le trône et vos présents excitent mon courroux;
coup de foudre est tout ce que je veux de vous.
Ne le refusez pas à mes vœux, à mes crimes';
Ajoutez mon supplice à tant d'autres victimes.
Mais en vain je vous presse, et mes propres
Me font déja sentir tous les maux que j'ai faits.
Polynice, Étéocle, Iocaste, Antigone,

Un

forfaits

Mes fils que j'ai perdus, pour m'élever au trône, Tant d'autres malheureux dont j'ai causé les maux, Font déja dans mon cœur l'office des bourreaux. Arrêtez... Mon trépas va venger votre perte;

I VAR. Accordez-le à mes vœux, accordez-le à mes crimes.

Le caractère de Créon n'est point soutenu. C'est un ambitieux qui fomente la division des deux frères, afin d'usurper le trône : mais d'abord peut-il prévoir qu'ils se tueront tous deux ? Et quand le succès a passé ses espérances, et que leur mort le rend maître du trône, il veut mourir; et pourquoi? Est-ce parceque Antigone est morte? Il n'a paru jusque-là que très médiocrement amoureux d'elle. Est-ce parceque ses deux fils sont morts? Il a paru jusque-là peu touché de cette perte. Dans Euripide, loin de songer à se tuer, il est au comble de ses vocux: ce qui est vraisemblable. Il n'est question de sa mort dans la tragédie françoise, que parceque l'auteur s'est cru obligé de ne pas laisser le criminel impuni. (L. R.)

La foudre va tomber, la terre est entr'ouverte;
Je ressens à-la-fois mille tourments divers,
Et je m'en vais chercher du repos aux enfers 1.

(Il tombe entre les mains des gardes.)

Voilà d'où est parti celui qui est arrivé jusqu'à Athalie. La Thébaïde, malgré ses défauts, est le coup d'essai d'un génie qui donne de grandes espérances : le bon poëte se fait reconnoître non seulement par quelques beaux morceaux, comme le monologue de Jocaste dans le troisième acte, l'entrevue des deux frères dans le quatrième, et le récit de leur combat dans le dernier, mais par manière dont il conduit son sujet, et même par sa prédilection pour ce sujet.

la

Instruit, par la lecture d'Aristote, que les poëtes doivent chercher des sujets terribles, il osa entreprendre un sujet si terrible, qu'on peut dire qu'il répand l'horreur plutôt que la terreur. Il est remarquable que le poëte, qui a été appelé depuis le Peintre de l'amour, ait, pour son coup d'essai, fait le tableau de la plus affreuse haine qu'on ait jamais vue. Il a fait entrer, à la vérité, l'amour dans ce triste sujet; mais comment eût-il osé présenter une pièce sans amour? C'étoit alors être déja très hardi que de n'y faire entrer que peu d'amour; et on lui en fit apparemment un reproche, puisqu'il paroît se justifier dans sa préface, en disant que si c'étoit à recommencer, il ne mettroit peut-être pas plus d'amour dans cette tragédie, parcequ'il ne trouve que fort peu de place parmi les incestes et les parricides de la famille d'OEdipe. L'amour n'y en devoit trouver aucune. Celui de Créon ne s'accorde ni avec son âge, ni avec son ambition, et celui d'Antigone ne contribue en rien à l'action. Pourquoi donc, éclairé comme il l'étoit par la lecture des tragédies grecques, a-t-il mis de l'amour dans celle-ci? Il se conformoit au goût de son siècle. On ne connoissoit point alors de tragédie sans amour: il en mit peu dans sa première, il en mit davantage dans la seconde, et on lui reprocha un Alexandre qui n'étoit pas, disoiton, assez tendre: on fit la même critique de Pyrrhus. Ainsi un jeune homme que son génie portoit au vrai tragique, se vit obligé, pour contenter son siècle, de s'attacher à peindre la passion qui

alors donnoit la vie à toute pièce dramatique ; et quand on lui a reproché, dans la suite, des héros trop tendres, il a bien pu dire: « Ils me les reprochent maintenant, et ils me les ont demandés; « c'est la complaisance que j'ai eue pour leur goût dont ils me font « un crime. » (L. R.)

FIN DE LA THÉBAÏDE.

TRADUCTION

DES PASSAGES

D'EURIPIDE, DE SÉNÈQUE, ET DE STACE,

IMITÉS PAR RACINE.

Euripide a traité le sujet de la Thébaïde sous le titre des Phéniciennes, et on ne peut lui comparer aucun de ceux qui sont venus après lui: il est même bien supérieur à Eschyle, le plus ancien des tragiques qui nous restent. Eschyle a considéré sa matière en guerrier plus qu'en poëte: il n'a vu dans l'inimitié des deux frères que le siège de Thèbes; il n'a peint que des opérations militaires. Sa tragédie intitulée les Sept Chefs devant Thèbes est presque tout en récits, en descriptions, en détails de la tactique des sièges; elle offre quelques grandes pensées, quelques traits admirables de l'enthousiasme militaire. Tout le monde connoît ce morceau terrible cité par Longin, et traduit par Boileau:

Sous un bouclier noir sept chefs impitoyables
Épouvantent les dieux de serments effroyables;

Près d'un taureau mourant qu'ils viennent d'égorger,
Tous, la main dans le sang, jurent de se venger:

Ils en

jurent la Peur, le dieu Mars, et Bellone.

Le portrait de ces sept chefs, leur armure, leurs emblèmes, leurs devises, rappellent souvent l'idée de nos anciens chevaliers. Enfin cette pièce, composée dans l'enfance de l'art, où la rudesse et la barbarie se joignoient encore au sublime, est un ouvrage à part, qui n'a rien

de commun avec les autres tragédies sur le même sujet; et Racine n'en a rien emprunté. Il est inutile de s'arrêter davantage à cette ébauche. Ce qui mérite d'être considéré, c'est l'excellente tragédie d'Euripide, qui fut couronnée avec justice sur le théâtre d'Athènes. Ce poëte, le plus tragique de tous, au jugement d'Aristote, a trouvé le secret d'émouvoir puissamment la pitié pour des objets qui sembloient ne devoir inspirer que l'horreur : il a offert un tableau vraiment pathétique de tous les malheurs de cette déplorable famille, rassemblés sous un seul point de vue. Il y a dans la pièce beaucoup de spectacle, une grande variété. L'exposition est très vicieuse, puisqu'elle ne présente qu'une histoire d'OEdipe racontée par Jocaste, qui décline le nom de tous les personnages; mais ce défaut est bientôt réparé par une scène admirable, imitée d'Homère. On voit Antigone sur un balcon du palais d'où l'on découvre le champ de bataille; un vieux esclave qui l'accompagne lui nomme tous les chefs de l'armée ennemie ; il lui montre Polynice; et cette tendre sœur, à l'aspect d'un frère chéri, fait éclater les sentiments les plus touchants. Le Tasse a aussi imité cette scène dans la Jérusalem délivrée; et c'est un des beaux morceaux du poëme.

Le coup de maître d'Euripide, c'est d'avoir rendu Polynice intéressant: le sentiment de son malheur, sa noble fierté, la justice de sa cause, contrastent merveilleusement avec la férocité, la perfidie, et la rage ambitieuse d'Étéocle. C'est un prince infortuné, chassé du trône par un frère, banni de sa patrie et de sa famille; il vient réclamer ses droits et son patrimoine; Étéocle n'est qu'un usurpateur et un tyran. Rotrou, et Racine à son exemple, ont fait tout le contraire d'Euripide: ils ont donné à Polynice un caractère encore plus dur, plus féroce et plus inexorable que celui d'Etéocle; et par-là ils ont

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