leurs rames, mêlent leurs cordages; ils luttent contre les vents et les flots et la nuit ; et tout-à-coup, au milieu des ténèbres, s'enfoncent, et disparoissent ensemble dans l'abîme. Tels on voit les deux frères; aveuglés par la rage, sans règle, sans art; leurs épées se cherchent, se croisent; la fureur seule guide leurs coups; la haine étincelle sous leurs casques, et ils se lancent d'horribles regards. Pressés, entrelacés dans les bras l'un de l'autre, leurs cris féroces les animent comme le bruit des trompettes et des clairons. Ainsi deux sangliers furieux s'élancent avec la rapidité de la foudre; leurs soies se hérissent; le feu jaillit de leurs yeux, et leurs défenses recourbées se heurtent avec fracas. Du haut d'un rocher voisin, le chasseur regarde en pâlissant ce choc effroyable, et, craintif, il retient ses chiens dans le silence: tels les fils d'OEdipe. Le coup mortel n'est point encore porté; mais le sang coule, le crime est consommé; il n'est plus besoin des Furies. Debout, près des combattants, ces filles de la Nuit se Præcipitant: ut nocte rates, quas nubilus Auster contentent d'applaudir, et s'affligent en même temps de voir leur fureur surpassée. Chacun brûle de répandre le sang de son frère, et ne sent pas couler le sien. Enfin l'exilé, dont la colère est plus vive et l'attentat plus juste, s'élance en s'excitant lui-même, et, saisissant le défaut de la cuirasse, il plonge son épée dans le corps de son frère. Étéocle n'éprouve aucune douleur, mais il a senti le froid de l'acier. Effrayé, il se couvre aussitôt de son bouclier; mais déja sa blessure se fait sentir; il respire avec peine; chaque instant diminue ses forces: il chancelle. Son ennemi sans pitié insulte à sa foiblesse : « Où fuis-tu, roi « de Thebes? voilà donc l'effet d'une vie molle et effémi<< née ? ton courage s'est énervé à l'ombre des grandeurs. « Vois ces membres endurcis par l'exil et la misère : vois ❝ comme les malheureux combattent: apprends à mieux << te servir des armes, et défie-toi de la prospérité. » Cependant un reste de vie soutient le monarque criminel, son sang n'est point épuisé; il pourroit se soutenir encore; Vulnera, sed cœptus sanguis, facinusque peractum; mais il tombe à dessein, et, près d'expirer, il médite une dernière perfidie. Le Cytheron en pousse un long gémissement, et Polynice, qui se croit vainqueur, lève au ciel ses mains fratricides, et s'écrie: «Graces aux dieux, je « n'ai point fait de vœux inutiles; ses yeux sont appe❝ santis; les ombres de la mort couvrent son visage. Ah! « tandis qu'il peut me voir encore, hâtez-vous de m'ap❝ porter le sceptre et la couronne! » Il dit, et se précipite sur son frère pour le dépouiller de ses armes, comme s'il vouloit les offrir à sa patrie, et suspendre dans les temples un pareil trophée. Mais Étéocle respire encore; la vengeance seule arrête son ame prête à s'échapper. Il sent l'approche de Polynice qui se penche sur lui; secrètement il soulève son glaive; sa haine qui vit tout entière, supplée aux forces qui l'abandonnent, et, plein d'une affreuse joie, il plonge le fer dans le cœur d'un rival abhorré. « Ah! traître, tu respires! s'écrie Polynice; ta rage te Sic pugnant miseri! Restabat lassa nefando Vita duci, summusque cruor, poterantque parumper Erigitur; fraterque ratus vicisse, levavit Ad cœlum palmas. Benè habet. Non irrita vovi : Huc aliquis propere sceptrum atque insigne comarum, Ceu templis decus et patriæ laturus ovanti, Utque superstantem, pronumque in pectore sensit, Ille autem: Vivisne, et adhuc manet ira superstes. << survit. Eh quoi! ne peux-tu donc mourir? viens avec « moi aux enfers; là, je réclamerai la foi des traités, si « Minos tient dans ses mains l'urne fatale qui punit même « les rois. " " «En disant ces mots, il tombe, et, du poids de ses armes, écrase son frère expirant. « Allez, ames féroces, allez souiller le Tartare de votre présence, allez épuiser tous les tourments de l'Érébe; et vous, divinités du Styx, épargnez désormais les malheureux humains. Que dans tout l'univers et dans tous les siècles un seul jour ait vu cet horrible fratricide; que nos descendants en perdent la mémoire, et que les rois seuls se souviennent de ce combat monstrueux ! » Perfide, nec sedes unquam meriture quietas ? Publii Papinii STATII Thebaidos lib. XI, v. 324-579 FIN DES IMITATIONS. |