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contrés. Il sembloit naturel de rapporter la note qui avoit servi de type à toutes les autres: nous avons cependant été obligé de renoncer à cet acte de justice; car Luneau en copiant Louis Racine, La Harpe en copiant Luneau, et Geoffroy en copiant La Harpe, ajoutent le plus souvent quelque chose à la pensée qu'ils empruntent. Il étoit donc impossible de rendre à César ce qui appartenoit à César, et c'est à la meilleure rédaction que nous nous sommes attaché. Notre seconde observation porte sur de légers changements de rédaction que nous avons fait subir à plusieurs notes. Ceux qui ont lu les commentateurs n'ignorent pas que, dans la chaleur de la discussion, ils s'accusent mutuellement d'ignorance et de pédantisme, et que souvent ils ne ménagent pas davantage le poëte qu'ils admirent. Heureux lorsqu'ils se bornent à ne trouver dans certains passages que des antithèses triviales, d'énormes bévues, des contre-sens grossiers, des métaphores de capitan, etc. Rien de semblable ne devoit se trouver dans notre commentaire. Nous avons adopté les critiques et repoussé les injures; et si le texte de la note a souffert quelques modifications, son esprit est resté le même, et nous osons croire que les commentateurs n'y ont pas perdu.

Quant à nos propres remarques, elles sont peu

nombreuses, peu importantes, et cela devoit être, après les travaux de tant de critiques habiles. Une chose nouvelle sur ce grand poëte pourroit être regardée aujourd'hui comme une découverte ; et sans doute les futurs commentateurs n'auront d'autres ressources que d'imiter Voltaire, qui, dans son enthousiasme pour Racine, vouloit qu'on écrivit au bas de chaque page: Beau! pathétique! harmonieux!

sublime!

Suivant l'exemple donné par divers éditeurs, nous avons rapporté les passages des auteurs grecs et latins qui avoient servi de modèles à Racine. Les piéces grecques sont traduites par Geoffroy. Notre intention étoit de lui emprunter également ses traductions des auteurs latins, en les revoyant avec sévérité; mais elles nous ont paru si négligées, que nous avons douté qu'elles fussent son ouvrage. a donc fallu recommencer ce travail. Cependant, il est juste de le dire, chaque fois qu'un traducteur quelconque nous a offert une expression heureuse, une pensée bien rendue, nous l'avons prise sans façon. Cette méthode peut paroître nouvelle; mais nous la croyons utile. Pourquoi laisser perdre une belle inspiration dans un livre presque toujours destiné à l'oubli? Ces emprunts forcent d'ailleurs à mieux faire ce qu'on n'emprunte pas. Ainsi, loin

de chercher les défauts des traducteurs, nous nous sommes appliqué à chercher leurs beautés, pour nous en emparer, non comme d'un bien appartenant à nous, mais comme d'un bien appartenant au public.

Parmi nos traductions, il en est d'assez étendues: tel est un beau passage de la Thébaïde de Stace, plusieurs scènes de Séneque le Tragique, une lettre de Salluste, et quelques fragments de Tacite. Qu'on ne s'attende point à retrouver ici la force, la concision, l'énergie du latin. Tacite sur-tout nous a mis au désespoir : nous l'avons abandonné et repris vingt fois; et, pour nous servir d'une expression de J. J. Rousseau, un si rude jouteur nous a bientôt lassé. Dans cette lutte, où nous avons toujours été vaincu, il a bien fallu reconnoître, avec un de nos plus célébres critiques, l'impossibilité de traduire un auteur sans altérer les formes de son style. Personne ne nous accusera sans doute de vouloir faire entendre que ce que nous n'avons pas fait, d'autres ne pourront le faire. Il ne s'agit ici ni de l'impuissance du talent, ni de celle des traducteurs, ni de la pauvreté de la langue. Certes il y a dans Bossuet des pages aussi concises que dans Tacite; mais ce n'est pas Tacite, c'est Bossuet. Notre langue peut tout exprimer, excepté le génie des langues anciennes ; et

voilà, selon nous, ce qui rend une bonne traduction impossible.

La traduction des passages de l'Écriture cités dans les notes d'Esther et d'Athalie est de M. Le Maistre de Sacy. Cette traduction n'est pas toujours élégante, mais elle est toujours fidéle, et ce mérite est le premier de tous.

Il nous reste à parler du texte de cette édition. Celle de Geoffroy pouvoit nous inspirer quelque confiance, et nous l'avons prise pour base de la nôtre, mais après l'avoir collationnée sur les éditions première et seconde, publiées sous les yeux de Racine. Deux autres éditions, celles de 1676 et 1687, faites durant la vie de l'auteur, et qu'on croit avoir été revues par Boileau, ont été également lues avec soin. Nous les avons comparées avec l'édition donnée immédiatement après la mort de Racine, et avec celle d'Amsterdam, de 1743, qu'on attribue à d'Olivet, et qui est justement recherchée des amateurs. Ce travail important n'a pas été infructueux, puisqu'il nous a donné plus de soixante variantes inconnues des commentateurs ou éditeurs qui nous ont précédé. Il a également servi à rectifier douze ou quinze passages du texte altérés dans toutes les éditions publiées de nos jours. La perfection est une chose bien difficile, puisque, malgré les recherches

dont Racine n'a pas cessé d'être l'objet, nous avons

pu

faire une moisson si abondante. Après cet exemple, il seroit téméraire d'avancer qu'il ne reste rien à faire aux futurs éditeurs de Racine'.

Quant aux volumes de mélanges, notre édition renferme deux pièces historiques qui ne se trouvent pas dans l'édition de Geoffroy, la plus complète qui ait été publiée jusqu'à ce jour. Les poésies offrent également quelques rectifications dans le texte, et trois piéces nouvelles. Enfin nous n'avons rien négligé pour compléter les œuvres de Racine, et pour

I

Lorsque je parlois ainsi des éditeurs, je ne me doutois guère que je fournirois moi-même la première preuve de cette vérité. En effet, éclairé par les observations de M. de La Chapelle, commandant de l'artillerie à Amiens, j'ai cru devoir consulter les manuscrits de Racine, déposés à la Bibliothèque du roi; et cet examen m'a fait reconnoître que le véritable texte des Fragments historiques n'avoit pas encore été publié. Non seulement les éditeurs se sont permis de corriger le style de la plupart de ces morceaux, ainsi qu'on peut le voir aux articles SCHOMBERG et FRA-POLO, mais ils en ont supprimé plusieurs qui ne manquent pas d'intérêt (tels que les articles ALLEMAGNE, STRASBOURG, AngleterRE). J'ai tout rétabli; et je puis dire que les véritables Fragments historiques paroissent ici pour la première fois, ainsi que le Traité de Lucien sur la manière d'écrire l'histoire, qui avoit été entièrement dénaturé par les éditeurs.

L'examen des manuscrits de Racine a coûté près de quatre mois de travail; mais ce travail, aussi minutieux que pénible, a été récompensé par la découverte de plusieurs morceaux inédits que l'on trouvera à la fin du quatrième volume, et dont il sera fait un tirage à part, afin de compléter la première édition.

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