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Racine est de La Harpe: mais cet habile critique oublie trop souvent son auteur pour s'occuper de Luneau ; acharné sur lui, comme sur une proie, il relève toutes ses inexactitudes, compte toutes ses fautes, et triomphe sans cesse sans jamais se lasser de triompher. Cependant, au milieu de ces discussions fastidieuses, on trouve des notes rédigées avec talent, et des jugements dictés par le goût le plus exquis. Ce commentaire, pour être excellent, n'avoit besoin que d'être dégagé de toutes les observations étrangères à Racine.

La même édition renferme quelques remarques qui n'appartiennent pas à La Harpe, et dont nous avons profité.

Un autre littérateur, qui pendant vingt ans charma l'Europe, dont il dirigeoit le goût, Geoffroy, vint se joindre aux commentateurs de Racine. Mais ces badinages pleins de verve, ces critiques légères et piquantes, qu'on admiroit chaque jour dans un feuilleton, perdirent tout-à-coup de leur prix en passant dans un commentaire. Loin d'éviter les défauts de son prédécesseur, il semble vouloir les surpasser; en un mot, il s'attache à la mémoire de La Harpe, comme La Harpe s'étoit attaché à celle de Luneau, et dans cette lutte fatigante il cherche moins à bien juger qu'à contredire les jugements de son rival. De

là toutes ses erreurs, et une multitude de notes dont le moindre défaut est d'être inutiles. Ainsi notre siècle, comme celui des Scaliger, des Casaubon, des Saumaise, devoit offrir deux exemples de cette vérité, que rien n'est plus froid qu'un commentaire, et que cependant rien n'est plus passionné que les

commentateurs.

Après avoir fait la part de la critique, il est juste de faire celle de l'éloge. Le travail de Geoffroy, comme celui de La Harpe, n'avoit besoin que d'être débarrassé de toutes les discussions étrangères à Racine. On y trouve alors une profonde connoissance des anciens, l'expérience de la scène, des rapprochements heureux, des aperçus neufs, et ce tact fin et délicat qui distingue les critiques habiles.

Les feuilletons de Geoffroy nous ont fourni quelques notes qui ne se trouvent pas dans son commentaire.

Quant aux erreurs de ces deux grands critiques, il est nécessaire de remarquer que La Harpe s'est trompé dans le jugement qu'il a porté d'Esther, comme Geoffroy dans celui qu'il a porté d'Iphigénie. Le premier vouloit qu'Esther ne fût pas une tragédie; le second, dans sa prévention pour les Grecs, plaçoit l'Iphigénie de Racine au-dessous de celle

d'Euripide. Nous avons mis le lecteur en état de décider cette question, en donnant la pièce d'Euri pide traduite par Geoffroy lui-même.

Il nous reste à parler d'un livre moins connu; c'est celui de M. Fontanier. Le but de cet écrivain étant de rectifier les critiques dont Racine a été l'objet, il a cru devoir recueillir les notes de tous les commentateurs, sans choix, sans ordre, avec les répétitions et les contradictions. Ainsi, dans ce vaste recueil, chaque sujet, après avoir été traité sept ou huit fois, est terminé par une longue note, dans laquelle M. Fontanier juge à son tour tout ce qui vient d'être jugé, et les jugements eux-mêmes. C'est donc encore un commentaire sur les commentateurs. On y trouve plus d'instruction que de goût, des dissertations grammaticales très bien faites, mais noyées dans un fatras scolastique dont il n'est pas facile de les dégager.

Tels sont les commentaires généraux publiés jusqu'à ce jour sur Racine. Nous ne parlerons point des écrivains qui se sont bornés à l'examen de quelques pièces, tels que Subligny, l'abbé de Villard, l'abbé Pellegrin, Riccoboni, le P. Brumoy, les frères Parfait, Le Franc de Pompignan, du Bos, J. B. Rousseau, J. J. Rousseau (sur Bérénice), Voltaire (sur la même pièce), La Mothe-Houdard (sur Bajazet ),

Roger (sur Esther et Athalie), et M. Petitot, auteur de quelques notes disséminées dans son édition de Racine. Nous avons recueilli les meilleures observations de chacun de ces écrivains, et rapporté en entier le commentaire de Voltaire sur Bérénice.

On s'étonnera peut-être de ne pas retrouver dans cette édition les préfaces et les examens critiques de Louis Racine, Luneau, La Harpe, et Geoffroy.

Ils

y sont cependant en partie, mais dans un autre ordre. Il résulte de la marche suivie jusqu'à ce jour que les mêmes anecdotes et les mêmes remarques étoient répétées dans les préfaces de l'auteur, dans celles de l'éditeur, dans les notes au bas du texte, dans les examens à la fin de la pièce, enfin dans les divers essais sur la vie de Racine qui précédent ses ouvrages. Ces répétitions continuelles grossissoient inutilement les volumes, et nous avons cru devoir les éviter. Pour y parvenir, il suffisoit de faire passer les préfaces et les jugements dans les notes placées au bas du texte. Tel a été l'objet de cette partie de notre travail; seulement nous avons eu soin de réunir les anecdotes aux mémoires que Louis Racine a publiés sur la vie de son père, de manière à les compléter. Ces mémoires offrent, au moyen de ces annotations, un tableau intéressant de tout ce qui nous est parvenu sur ce grand poëte. Ainsi, non seu

lement les répétitions ont été évitées; mais l'ordre a été établi dans les matières.

Réduit à cette juste mesure, notre commentaire les renferme tous. C'est le travail d'un siècle entier sur Racine, c'est le jugement de la postérité prononcé par des hommes qui avoient fait une profonde étude des secrets de la langue et de la poésie. Si nous n'avons pas tout dit, c'est que nous aurions été blâmables de tout dire. La Harpe, qui s'est quelquefois trompé dans son commentaire, mais qui a très bien parlé des commentateurs, les soumet à des régles dont nous avons cherché à ne pas nous écarter. « Il ne faut pas, disoit ce grand critique, épui« ser par l'analyse ce qui est de goût et de sentiment; « il suffit de choisir ce qui peut servir au lecteur <d'indication pour le reste. La connoissance de tous « les secrets de l'art, qui sont sans nombre, heureu« sement n'est nécessaire qu'à ceux qui le cultivent, « ou à ceux qui prennent sur eux de s'en rendre les juges devant le public. Ceux-ci ne doivent pas tout

« dire; mais, pour ne pas se tromper dans ce qu'ils

a

"

disent, ils doivent savoir tout ce que l'on pourroit « dire. »

Qu'on nous permette encore deux observations sur notre travail. La première a pour objet le choix remarques où les commentateurs se sont ren

des

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