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observée. Le Souverain et la Cité y donnent leur approbation et promettent << de joindre et employer unanimement et con» joinctement toutes leurs forces pour son maintien, le droict » et deffence du pays ».

Nous aurons l'occasion de voir comment l'oubli de cette sage politique apporta à la principauté les malheurs de l'invasion.

Un peuple qui a le culte de la liberté, en même temps qu'il cherche à se garantir contre l'ennemi extérieur, se précautionne contre toutes les tentatives du despotisme gouvernemental. A cet égard, l'ancienne constitution liégeoise était un modèle de prudence.

L'historien qui étudie cette constitution doit distinguer les institutions du pays de celles de la Cité des tendances différentes dirigeaient le gouvernement central de la principauté et l'administration de la capitale. Là, les modifications n'apparaissent guère; ici, les transformations se succèdent sans cesse. L'étranger faisait aisément la confusion, tant était grande l'importance de la Cité dans le mouvement général de l'État; sa destinée semblait faire corps avec celle de la principauté.

Chef-lieu diocésain de l'évêque, chef-lieu politique du prince, Liége était le siège du Gouvernement, des États, des tribunaux suprêmes. L'évêque y était élu par le Chapitre cathédral; l'élection approuvée par le Saint-Siège et confirmée par l'Empereur, c'était à Liége que son inauguration officielle avait lieu; il y prêtait serment de fidélité aux lois et à la constitution du pays. La «< capitulation » jurée le jour de l'avènement était pour la nation la garantie de ses paix, de ses privilèges, de ses coutumes; elle consacrait le passé, elle assurait l'avenir. L'Élu s'engageait à être fidèle à l'Église et à la patrie, à les défendre envers et contre tous, à n'accepter de pension d'aucun souverain étranger, à ne jamais consentir à la translation de l'église cathédrale; enfin, il jurait d'observer la paix de Fexhe qui, en 1316, avait solennellement consacré

l'état politique de la principauté 1; par sa Joyeuse-Entrée, le nouveau souverain adoptait les principes fondamentaux du régime constitutionnel : il allait devoir régner avec les États. Leur consentement unanime était nécessaire pour la levée d'un impôt 2; seul, l'accord des trois ordres pouvait apporter quelque modification aux lois et aux coutumes du pays, l'entraîner dans une guerre, dans une alliance avec les puissances étrangères. Le prince n'intervenait dans le pouvoir législatif que par son droit de sanctionner et de promulguer les résolutions des États 3; l'exercice de son autorité avait ainsi ses limites dans la volonté de la nation. Les hauteurs judiciaires de l'évêque n'étaient pas moins strictement contenues; toute usurpation de droits rendait le refus de service légitime; le chapitre de Saint-Lambert pouvait en appeler au pays entier et suspendre le cours de la justice. Ce rôle de gardien traditionnel de la légalité lui avait été dévolu dès le XIVe siècle. C'est lui qui dressait la formule du serment, ce qui lui permit d'introduire dans les capitulations à la fin du XVIIe siècle notamment des clauses nouvelles destinées à imposer ses vues et à augmenter ses attributions politiques 4. Seul, il con

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1 A. WOHLWILL, Die Anfänge der landständischen Verfassung im Bisthum Lüttich. Leipzig, 1867, pp. 111 et suiv. Pour le texte de la paix de Fexhe, voir le Recueil des Ordonnances de la principauté de Liége, 1re série, t. I, p. 154.

2 On connaît le vieil adage liégeois: un État, deux États, point d'État; trois États, un État.

3 Le prince convoquait les États; leur session portait le nom de « Journée ». Chaque ordre s'assemblait dans un local distinct. Le chancelier, véritable premier ministre, ouvrait la journée en exposant la << proposition » du souverain dont il donnait lecture au Chapitre cathédral. Les résolutions ou recès étaient pris à la pluralité des suffrages. Les États se communiquaient les votes par l'intermédiaire de leurs députés ou greffiers. L'accord constituait le «< sens du pays» (expression qui se trouve déjà dans un acte du 2 avril 1264).

AM. DE RYCKEL, Le pouvoir civil des princes-évêques de Liége, 1891. (Conférences de la Société d'art et d'histoire du diocèse de Liége, 4o sér.) POULLET, Histoire politique nationale, t. II, §§ 983 et suiv.

stituait l'État primaire et représentait le clergé tout entier 1; pendant la vacance du siège épiscopal ou en l'absence du prince, la souveraineté lui appartenait; aucune partie du territoire ne pouvait être aliénée ou échangée sans son consentement préalable; ses privilèges et ses immunités étaient considérables 2; jaloux de les conserver, il n'y souffrait aucune atteinte et savait résister aux envahissements de l'autorité.

Des trois ordres dont se composaient les Etats du pays, l'état noble était celui dont l'influence était la moins grande. Tous les possesseurs de fiefs de la principauté et du comté de Looz en avaient fait partie; mais, au commencement du XVII siècle, l'ordre n'étant plus exclusivement composé de << gens assez qualifiés », l'évêque Ernest de Bavière imposa deux conditions essentielles à l'admission des membres; il fallut désormais justifier de la possession d'un grand fief ou << noble tènement » et « faire apparoir, sinon de tous points, du moins de la noblesse du costé paternel » 3. De cette façon, en 1601, la liste de ceux qui devaient être convoqués aux journées comprit cent dix-huit noms. Les exigences devinrent de plus en plus sévères; néanmoins, jusque vers la fin du siècle, la législation nobiliaire ne subit guère, dans son ensemble, de notable modification.

Le troisième « sire » du pays ou tiers-état comprenait la

Le chapitre de la cathédrale, composé de soixante chanoines ou tréfonciers, exerçait une sorte de juridiction sur les églises paroissiales et collégiales de la Cité. On comprenait sous la dénomination de «< clergé secondaire >> tous les ecclésiastiques des abbayes, couvents, églises, etc., en un mot tout le clergé liégeois séculier et régulier, masculin et féminin. Il avait des députés qui veillaient à ses intérêts collectifs et défendaient la prérogative de l'association de n'être imposée que de son consentement; d'où de nombreux conflits avec le chapitre cathédral et les États. 2 Sur l'étendue des droits du corps capitulaire et sa participation au gouvernement de la principauté, voir WOHLWILL, ouvr. cité, pp. 46 et suiv.

3 Mandement du 19 avril 1600. (Recueil des Ordon., 2e sér., 2o vol., p. 238.) — Voir Bon MISSON, Notice sur l'ancien état noble de la principauté de Liége et du comté de Looz. Liége, 1884, et de VILLENFAGNE, Recherches historiques sur l'ordre équestre de la principauté de Liége, 1792.

cité de Liége et vingt-deux villes thioises et wallonnes 1. Chaque ville, représentée habituellement par ses deux bourgmestres en fonctions, n'avait en principe qu'une voix; les maîtres de Liége, « présidents-nés» de l'ordre des bonnes villes, avaient deux suffrages au lieu d'un. Les résolutions et votes de l'État ne liaient la Cité que si elle accordait son consen

tement.

Cette situation spéciale de la ville capitale reposait sur d'antiques privilèges, qui lui avaient donné une personnalité politique, administrative, financière, judiciaire.

Augmenter sans cesse les attributs de cette personnalité au point de se détacher entièrement de la principauté, s'ériger en république indépendante et souveraine, maîtresse de son gouvernement, telle était l'ambition chimérique de la fière « cité mère». N'avait-elle pas des privilèges aussi anciens que ses voisines rhénanes, les villes de Cologne et d'Aix-la-Chapelle? Comme elles, n'était-elle pas en droit d'exercer le pouvoir souverain, de réclamer les avantages des villes libres de l'Empire? L'inscription du fronton ainsi que l'aigle à deux têtes aux ailes déployées qui surmontait la maison de ville 2 semblaient être un vestige de l'origine de la Cité et favoriser ses prétentions... Mais ce n'était là qu'une apparence. L'historien doit le dire Liége possédait de nombreux droits de souveraineté ; elle avait conquis l'autonomie communale; mais elle n'était pas ville d'Empire. Jamais, dans le collège des villes libres, elle n'eut son siège et son droit de vote; jamais elle ne fut comprise dans les

1 Voici leur ordre de préséance à l'État : Liége, Tongres, Huy, Dinant, Ciney, Thuin, Fosses, Couvin, Châtelet, Saint-Trond, Visé, Waremme, Looz, Hasselt, Maeseyck, Bilsen, Beringen, Herck, Brée, Stockem, Hamont, Peer et Verviers (4 décembre 1651).

Des deux côtés de l'aigle impériale, au second étage, était inscrit ce distique :

«Nos teget alarum, Jovis armiger, umbra tuarum

Sub quibus instabit nullus ab hoste timor. >>

Cf. J.-E. DEMARTEAU-DELOOZ, La Violette, Histoire de la maison de la cité à Liége, p. 90, 1890.

TOME LIX

matricules parmi les villes impériales. Elle restait sous l'autorité immédiate, non de l'Empereur, mais du prince-évêque.

Ni le prince, ni les sujets n'étaient d'accord sur les limites de leurs pouvoirs respectifs; ce double entêtement devait donner à leur différend un caractère de réelle gravité. La question revenait à savoir quelle était la juridiction de l'Évêque, quelle était celle de la Cité. Le débat était d'essence juridique. Dès 1572, la Chambre impériale de Spire en était saisie 1. L'évêque alléguait la tradition et l'origine historique de son autorité et réclamait les pouvoirs de seigneur temporel; la Cité déclarait que son existence était de plusieurs siècles antérieure à l'arrivée des évêques, que son « magistrat », possédant la juridiction politique et contentieuse, pouvait faire et modifier ses lois publiques, économiques et sociales. Le procès commencé au XVI• siècle n'était pas encore jugé au XVIIIe. Mais, en attendant son issue, les princes de la Maison de Bavière s'étaient servis, pour défendre leur cause, d'armes moins pacifiques et moins légales. Indifférents aux prières de la cité mosane, ils n'écoutèrent que leurs tendances despotiques. Le peuple se souleva; mais, trop faible pour résister avec ses seules forces, il chercha l'appui de l'étranger. Les princesévêques firent de même. La question liégeoise devenait une question européenne.

II.

La querelle de la prérogative princière et de la souveraineté populaire occupe tout le XVIIe siècle liégeois; elle est le pivot de la politique interne et externe de la principauté. Deux

La diète de Worms de 1498 avait institué à Spire une Chambre impériale (Kammergericht) pour juger les différends entre les princes et peuples de la patrie germanique; en 1693, elle fut transportée à Wetzlar et continua à siéger tant que dura l'Empire; son formalisme et sa lenteur étaient proverbiaux. Un vieux dicton portait « Spirae spirant lites, sed nunquam expirant! » Le procès fameux, dit « des clefs », écrit au XVIIIe siècle le Père Bouille, était encore toujours « accroché! »

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