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La Cité, si longtemps libre et indépendante, était bridée; la réaction avait détruit en un jour des conquêtes séculaires.

Ferdinand était le maître; il jugeait que le moment était venu de forcer les chanoines de Saint-Lambert à remettre la coadjutorerie de l'évêché entre les mains de son neveu.

Maximilien n'avait plus à craindre de compétiteur : le prince de Conti conspirait contre le gouvernement de Mazarin, en attendant d'être interné à Vincennes; et dans le Chapitre, la plupart des Tréfonciers, gagnés par les promesses de dignités ou intimidés par les menaces, s'étaient ralliés à la candidature du jeune prince bavarois 1.

Maximilien fut << postulé » 2; quelques chanoines, « patriotes sincères», rédigèrent une protestation énergique et l'envoyèrent à Rome 3. Mais le Saint-Siège n'avait rien à refuser à la famille de Wittelsbach : l'élection fut confirmée 4.

1 C'est ainsi que dans l'espoir d'obtenir le décanat, l'archidiacre F. de Bocholt alla jusqu'à improuver tout ce qui avait été fait à Liége pendant la révolution.

2 Le 19 octobre 1649. Tandis que pour l'élection la majorité des voix suffisait, la « postulation » exigeait les deux tiers des voix. Le chanoine qui ne réunissait pas toutes les conditions d'éligibilité, soit qu'il possédat un bénéfice incompatible avec la dignité épiscopale, soit qu'il n'eût pas l'âge réglementaire ou qu'il ne réunit pas le nombre de voix requis, était obligé de s'adresser par voix de postulation au Pape, qui pouvait ne pas tenir compte du vote.

3 Avant l'élection, six chanoines se retirèrent et protestèrent contre la nomination d'un coadjuteur; c'étaient l'archidiacre de Chockier et ses deux frères, Conrad de Bourgogne, Bredam et le doyen de Leerodt.

* Maximilien reçut, le 8 août 1650, les brefs de confirmation. Le lende main, il prit officiellement possession de la coadjutorerie. (Concl. capit., reg. no 153.)

« Ce ne furent que feux de joie; mais plusieurs en faisaient plus par >> mode d'acquit que poussés par un motif de réjouissance pour ne pas >> être reconnus Grignoux extérieurement. Mais quoi? Il fallait dancer à » la cadence. » (Chronique du XVIIe siècle, Bibl. Brux., ms. no 18672.)

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Le pays avait besoin d'un souverain à la fois énergique et bienveillant, ferme dans sa politique extérieure, juste vis-à-vis de ses sujets; il allait subir sous le prince qu'on lui imposait et qui avait révélé, dès ses premières mesures, les tendances. politiques de ses ancêtres, des souffrances plus vives et plus cruelles encore.

La paix de Westphalie n'avait pas réconcilié la France et l'Espagne; les bandes mercenaires occupaient les loisirs d'une suspension d'hostilités en saccageant les contrées qu'elles parcouraient. La principauté de Liége, par sa position mitoyenne et son renom de prospérité, devait attirer leur convoitise. Déjà Charles de Lorraine avait couvert de ses troupes pillardes la Hesbaye et l'Entre-Sambre-et-Meuse 1; la France, par l'organe de son résident à Liége, faisait entendre un langage menaçant 2; l'armée suédoise campait non loin de la Meuse et réclamait avec insistance l'indemnité de guerre qui incombait à la principauté comme membre d'un cercle d'Empire 3.

Maximilien, en présence de ces difficultés, recourait aux Etats et faisait voter impôt sur impôt 4. Dans l'appréhension

Le comte de Salm et le baron de Clinchamp commandaient les troupes lorraines. Sur leurs ravages dans le pays de Liége, voir la notice que M. Piot a publiée dans le BULLETIN DE LA COMMISSION ROYALE D'HISTOIRE, Les Lorrains au pays de Liége, t. II, 1875, 4e sér., pp. 361-377.

• Voir la lettre que la reine régente écrivait aux États, le 17 décembre 1649, et la proposition verbale que de Lumbres fit au Chapitre le 3 janvier 1650. La France menaçait de faire prendre par ses troupes des quartiers d'hiver dans la principauté. (État noble, Journées, reg. K. 99.)

3 En vain les Liégeois, se fondant sur leur neutralité, refusaient de payer la contribution s'élevant à 99,200 florins. Les troupes suédoises entrèrent dans le pays.

Dans l'espace de dix mois, le coadjuteur convoqua six fois les États pour leur faire voter de nouveaux impôts. (A. H. Corr. de Jacob Vander Burgh aux États Généraux. Liége, 26 octobre 1649. Bibl. Brux.,

de nouveaux soulèvements, il se refusait à licencier les troupes bavaroises, et ces milices augmentaient, par leurs exactions et leurs désordres, les misères des populations déjà appauvries et pressurées. Ainsi le pays était ruiné par ceux-là mêmes qui auraient dù le défendre 2.

En vain, les trois ordres et le conseil de la Cité émettaient quelques timides protestations 3; le coadjuteur n'en avait cure; l'obstination lui tenait lieu d'énergie. Il préparait un nouveau coup de force l'érection d'une citadelle destinée à dominer la ville de Liége, à la maintenir dans l'obéissance.

Chiroux et Grignoux, dans un élan unanime d'indépendance, réclamèrent le respect des traditions et des franchises, le retour des libres institutions 4. Mais les plaintes et

Leodiensis, t. IV. Description du rapport des vitres et bonniers, Liége, 1651. - Historia populi leodiensis, tomus tertius, 1650 et 1653.)

1 Déclaration du 7 janvier 1650. (État noble, Journées, reg. 100 Propositions des princes de 1649 à 1661). Maximilien avait conservé à Liége deux mille fantassins et deux cents cavaliers sous le commandement du baron de Pesches, seigneur de Chodre.

2 << Plusieurs pauvres bourgeois n'ayant qu'un lit sont obligés d'en >> servir le soldat et de se tenir à la paille. L'étranger fait le maitre dans >> sa maison; il le voit tenir le plus beau du feu avec ses enfants et sa » femme, car pour l'ordinaire l'Allemand conduit tout son attiraille avec » soy.» (Chronique du XVIIe siècle. Bibl. Brux., ms. no 18672.)

3 Voir DARIS, ouvr. cité, t. I, pp. 285 et suiv., et particulièrement dans le registre K. 99, État noble, Journées, les protestations des 6 décembre 1649 et 2 février 1650; dans le registre 153 des Décrets et Ordonnances, la conclusion capitulaire du 9 février 1650; dans les registres aux recès de la noble cité de Liége, les recès des 3, 11, 16 et 24 décembre 1649, 4 et 30 janvier, 7 février et 1er mars 1650.

Le conseil de la Cité, au lendemain du soulèvement de 1649, avait été contraint de se soumettre au nouveau règlement électoral. Les bourgmestres P. de Wanzoulle et G. Bouille étaient d'ailleurs deux créatures dévouées à l'évêque. Les mesures despotiques du coadjuteur provoquèrent rapidement des protestations, dont la plus énergique, du 31 mars 1650, énumère toutes les innovations introduites au préjudice des libertés et forme un acte d'accusation complet contre le gouvernement de Maximilien. (Recès de Liége, 1650.)

les prières ne firent qu'accroître la ténacité de Maximilien. Sa soldatesque s'empara des habitations, rasa jardins, vignobles, houblonnières; puis, à coups de bâton, faubouriens et citains durent eux-mêmes bâtir la forteresse sur l'emplacement que leurs ancêtres avaient eu tant de peine à acquérir 1. C'était la servitude militaire imposée à jamais.

La Cité, dans ces circonstances difficiles, s'était adressée au roi de France 2. Mazarin jugeait une intervention prématurée : tout en désapprouvant la conduite de Maximilien, il n'osait le contrarier. Il promit la protection royale aux Etats et à la ville de Liége 3, mais poursuivit dans la principauté sa politique de corruptions et d'intrigues.

Une Fronde «< au petit pied » venait d'éclater dans le pays. Quelques membres de l'état noble avaient protesté, au nom de la liberté et de la neutralité, contre la construction de la citadelle et l'établissement de la garnison de Sainte-Walburge 4. Une ligue, soutenue secrètement 5 par le résident français de Lumbres, s'organisa dans le but de recouvrer les privilèges et d'abolir les impôts. Mais elle ne rencontra aucun accueil dans

1 << Pour essuyer leurs larmes, on leur disait « vous serez payés de >> tout; Son Altesse est assez riche pour vous rendre contents ». Je ne » vous diray pas quelle monnoye ils en ont reçu, vu que je n'estais pas » présent quand ils ont été payés. » (Fragment de chronique liégeoise, publié dans le tome II du Bulletin des bibl. liégeois, p. 83.)

2 A. E., Fonds de Liége, t. II, fo 164. » La pauvre désolée ville de Liége demande le secours de S. M. T. C. »

5 Recès de Liége, 1650, S. M. T. C. aux bourgmestres, jurés et conseil de Liége. Compiègne, le 19 juin 1650. État noble, Journées, reg. K. 99, fo 216. Le roi de France aux États du pays de Liége, 19 juin 1650. • La protestation est du 20 août 1650. (DARIS, ouvr. cité, t. I, p. 291.) Les États n'osèrent pas s'opposer à l'érection de la citadelle. Le coadjuteur ne les avait toutefois consultés qu'au sujet de la construction d'une caserne destinée à soulager les bourgeois des logements militaires.

5 A. E., Fonds de Liége, t. II. Relation de A. DE Lumbres.

Quelques compagnies de cavalerie hessoise avaient également pris leurs quartiers dans le pays.

la Cité ni dans le plat-pays et dut, en désespoir de cause, appeler à son aide Charles de Lorraine, chevalier errant toujours en quête, pour ses soudards, de pilleries et de ravages. La principauté fut envahie. L'exemple des Lorrains enhardit les Suédois qui franchirent la Meuse et se répandirent dans la Hesbaye.

Pendant cette calamité publique, le coadjuteur se retirait à Montaigu pour y faire un pèlerinage. La mort seule de son oncle lui fit quitter sa retraite 1.

Jusque-là l'administration de Maximilien avait été funeste à la principauté qu'il n'avait pas su défendre contre les incursions des troupes étrangères, fatale à la Cité à laquelle il avait enlevé ses libertés 2. Comme coadjuteur de Liége, il avait à la fois régné et gouverné pour le malheur du peuple; comme prince-évêque, c'est à peine s'il allait régner, laissant à d'autres le soin de gouverner.

Ferdinand avait préparé à son neveu une succession brillante à 30 ans, Maximilien-Henri se voyait titulaire de l'archevêché de Cologne, d'un électorat du Saint-Empire et de multiples bénéfices rhénans et mosans; héritage redoutable pour un homme sans aptitudes politiques ni administratives 3.

Le nouvel évêque de Liége était un dévôt sincère, de mœurs ascétiques; on ne lui connaissait qu'une passion, l'alchimie;

Ferdinand de Bavière mourut à son château d'Arnsberg, en Westphalie, le 13 septembre 1650.

Le dernier acte d'administration de Ferdinand fut l'édit par lequel il commanda à tous les greffiers et rentiers des métiers de remettre au conseil de la Cité les registres, revenus, livres de rentes et autres archives des corps de métiers. (Recès de Liége, 4 septembre 1650. Conseil privé, dépêches, reg. K. 46. Mandement du 10 septembre 1650.)

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3 Les évêchés de Munster et de Paderborn lui échappèrent et échurent à Christoph-Bernard von Galen, le 14 novembre 1650. (KARL TÜCKING, Geschichte des Stifts Münster unter Christoph Bernard von Galen, 1865.)

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