Noble et enviable revanche assurément; mais serait-elle suffisante à notre patriotisme si profondément blessé? Laissons à l'avenir le soin de répondre. La pièce no 7, la Jeune Polonaise, élégie à une jeune Alsacienne émigrée, avec cette épigraphe: Nos patriam fugimus, a de réelles qualités; la versification en est soignée. C'est, sous le nom de la Pologne, une allusion aux douleurs des provinces qui nous ont été ravies: la plainte est simple, bien sentie: il y a malheureusement des côtés faibles, la pièce est écourtée et manque un peu d'haleine. Je ne puis cependant me dispenser de citer ce passage plein de charme: Si je laisse mon corps à la plage fatale, Je reverrai ses bords de mon enfance aimés. O collines, vallons de brises parfumés, Frais ruisseau murmurant dans nos vertes campagnes, Bois où l'oiseau, seul libre encor, chante et bénit Celui qui lui donna sa couvée et son nid, Lieux si doux où naguère, au temps des fleurs écloses, Si je reviens un jour, retrouverai-je encor Nos prés couverts de fleurs, nos champs de moissons d'or? Dans les champs paternels que l'étranger profane; Voilà certainement de beaux vers: on se sent touché, et l'on retrouve dans ces paroles attendries comme un accent mystérieux qui remue le cœur. -- - Les trois pièces qui suivent, 11, 12 et 13, sont du même auteur. La première, avec l'épigraphe: Spera, est une réunion de cinq petits poèmes détachés : Rediviva, les Marguerites,-Les Premières Fleurs, - Les Loups, Nuits de décembre. Des trois en- . vois de l'auteur, c'est celui qui nous a paru le moins réussi. Le choix de l'expression, comme celui de la pensée, ne laisse pas le goût satisfait. Ici, c'est la recherche allant jusqu'à l'afféterie; là, une simplicité poussée jusqu'à la vulgarité. Les deux pièces les Marguerites, les Loups, en offrent deux exemples saisissants. Comment admettre qu'un jeune soldat mourant pense à se faire un bouquet et à confier aux eaux du fleuve sur les bords duquel il succombe ce message de ses dernières pensées ? Peut-être alors, ô vous que j'aime, Qu'en mourant j'envoie au hameau. Ce n'est plus lå du sentiment, c'est de la sentimentalité; cette recherche même, au lieu de la faire naître, tue l'émotion: Némorin ne serait pas mort autrement. La dernière strophe de la pièce : les Loups, pèche par le défaut contraire. Les loups trouvent en grattant le sol une abondante nourriture. La guerre a passé par là: un loup, qui philosophe, s'en applaudit et se rit de nos sanglantes folies: Et la bête grogne de joie En dévorant l'os qu'elle broie... L'auteur a manqué l'effet par l'exagération même dans le moyen: il a voulu produire l'horreur, c'est un sourire qui lui répond. Le trait a dépassé le but, et sa chute est d'autant plus sensible que l'effort est plus outré. La pièce no 12, intitulée: La Guerre, ne présente pas de ces défauts. C'est une visite aux champs de bataille. Le début est un peu traînant, mais une fois. entré dans son sujet, l'auteur le dessine à larges traits. Sa peinture est d'une mâle énergie. On devine sans peine que. placé tout près du théâtre des événements, il a vu, il a entendu ce qu'il chante: les plaintes des vieillards, le chant des femmes, ceux du paysan, du soldat, sont bien dans le ton. Je voudrais vous en citer quelques strophes: l'embarras seul du choix m'arrête. Vous avez placé au-dessus de cette pièce celle intitulée l'Emigration en Alsace, no 13, portant la même épigraphe: Sursum. Cette distinction, elle la mérite à tous égards. La composition en est heureuse, et certains détails sont achevés. Un enfant de l'Alsace ne veut pas rester dans son village, du moment où il a cessé d'être Français : tout est prêt pour le sacrifice, la famille entière va partir; au moment suprême, maison, clocher, ombrage, tout semble s'animer et prendre une voix pour le retenir; mais la grande voix du devoir parle, le déchirement s'accomplit et il prend noblement le chemin de l'exil. L'auteur finit en faisant luire l'espoir du retour aux foyers rendus à leurs vrais maîtres, mais il le fait avec réserve; c'est à peine s'il prononce une fois le mot de revanche. Il sait qu'il y a là un sentiment intime qui, pour être effi cace, doit demeurer au fond du cœur et s'y nourrir des regrets et des images des lieux perdus : le mettre à tout propos sur les lèvres, c'est l'affaiblir. La nation, comme l'homme qu'un pareil sentiment anime, sait le taire pour mieux agir: elle ne sort de son silence que par des actes et non par des discours; le moment venu, elle ne parle pas, elle frappe. Cette œuvre est soutenue, bien sentie; les taches sont rares et pourraient aisément disparaître. Les souvenirs que le poète évoque souvent sont vivants, leurs voix sont expressives, élevées, quelquefois poignantes ses inspirations et les accents qui les traduisent dénotent chez lui autant de cœur que de talent. Vous n'avez pas hésité à décerner le prix à cet ouvrage, et sa lecture justifiera pleinement votre décision. L'auteur n'en est pas, du reste, à son coup d'essai; son nom est familier aux échos de cette salle c'est M. Achille Millien, que vous avez déjà maintes fois couronné, Les événements ne lui ont pas fait oublier le charme de notre concours: il a lancé dans les amères tristesses de son patriotisme désolé des inspirations nouvelles ; il est demeuré en dépit de tout fidèle au culte de la Muse, et je puis annoncer aux amateurs de ses poésies (et ils sont nombreux) qu'il se prépare une riche édition de ses œuvres, à laquelle des dessins et deux eaux fortes viendront encore ajouter un nouveau charme. L'EMIGRATION EN ALSACE PAR M. ACH. MILLIEN, MEMBRE CORRESPONDANT; Pièce à laquelle le prix de Poésie a été décerné. I Meubles à terre épars... grelots de l'attelage... Le ciel est morne et gris. L'essaim des feuilles mortes, Tourbillonne au hasard, s'envole au seuil des portes Où vont ces tristes voyageurs? |