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C'était sous la Restauration. Il fallait donner de la vie à l'opposition bonapartiste. Chaque jour, dans ce but, on imaginait des mots. Rougemont, rival et ami des Romieu, des Harel, des Duponchel, excellait dans ce rôle. C'était, en quelque sorte, chez lui, une spécialité. Il inventa la belle réponse. Voilà l'histoire du mot de Cambronne.

N'affirmons rien, Messieurs. Une fois de plus j'ai voulu montrer à quel point il devient difficile de distinguer l'erreur de la vérité, et de prouver l'authenticité de certains faits tenus pour vrais par la foule, qui, elle, ne remonte jamais aux sources. Le mot, ou le prétendu mot de Cambronne n'en est pas moins digne d'être revendiqué par nous. Volontiers je dirais de lui comme Chateaubriand du fameux: Tout est perdu, fors l'honneur de François ler, dont le billet non plus ne s'est pas retrouvé :

<< La France qui l'eût signé, le tient pour authentique.

SUR

LE DROIT DU SEIGNEUR

Par le même.

Messieurs,

L'intérêt bienveillant avec lequel vous avez bien voulu accueillir de précédentes communications, m'engage à vous demander aujourd'hui encore votre ndulgence pour un travail très-court dans lequel e me propose de démontrer :

1° Que jamais le droit du seigneur, tel que l'hostilité et la gaîté sceptique du xvIIIe siècle l'ont défini, n'a existé en France - et peut-être nulle part ailleurs, en vertu du droit ou de la coutume;

2o Que si ce prétendu droit a été exercé dans des temps fort éloignés de nous, il n'a pu l'être que par une extension de priviléges absolument arbitraires et par suite de violence, de corruption ou de brutalité qui se retrouvent toujours partout où la position particulière de certains hommes les met à même d'user d'intimidation;

30 Que ceux qui ont confondu le droit de Maritagium, droit fort ancien, inscrit dans tous les codes dès avant l'époque mérovingienne, avec le droit du

seigneur interprété comme j'ai dit, se sont trompés, ce droit de Marilagium n'ayant jamais été qu'un droit purement fiscal.

Cette question, Messieurs, est des plus délicates. Elle a été traitée par des écrivains bien autrement autorisés que moi. Mais tous ont mis dans leurs travaux plus de passion que de justice. Je ne veux me laisser guider, ici, que par la plus simple impartialité.

La thèse que je viens essayer de défendre devant vous est à la fois facile et difficile à soutenir : facile en ce sens qu'aucun des écrivains qui ont entendu prouver que le droit du seigneur avait existé légalement, dans le mauvais sens du mot, n'a cité, si ce n'est en les tronquant, de textes positifs; difficile, parce qu'elle rompt en visière avec toutes les idées reçues et que je ne sache pas de tâche plus ingrate que celle de faire revenir à des idées saines, des esprits prévenus, qui s'attachent beaucoup plutôt, dans les questions d'histoire, à la routine et à la tradition, qu'à la réalité même des choses.

Vous n'êtes pas de ces derniers, Messieurs, et j'ai lieu d'espérer que vous voudrez bien écouter avec intérêt mes modestes observations.

1.

Précisons d'abord la question. De quoi s'agit-il? Du droit prétendu qu'auraient eu les seigneurs dans les temps féodaux d'avoir la première nuit des filles qui se mariaient sur leurs domaines...

Moralement, il me paraît difficile que ce droit surtout depuis le Christianisme ait jamais pu être inscrit dans aucun code. Tous tant que nous sommes,

nous ne serions donc que les descendants d'une suite illimitée de bâtards et nous aurions à rougir du déshonneur de presque toutes nos aïeules? A quelque point de vue qu'on se place pour juger le droit féodal, dont je n'entends pas me faire ici le défenseur, il me paraît impossible d'admettre, surtout avec les idées d'honneur innées au cœur de nos pères, que pareil droit odieux, contre nature, immoral, antichrétien, ait jamais pu être légalement exercé.

Mais les preuves morales, en pareille matière, ne suffisent pas. Examinons les choses de plus près et ouvrons les auteurs qui se sont occupés, je ne dirai pas sérieusement -car tous l'ont fait d'une manière superficielle — mais enfin qui se sont occupés du prétendu droit du seigneur.

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Chopin, qui écrivait au XVIe siècle, dit que cet usage il ne se sert même pas du mot droit, avait existé autrefois, en Ecosse, parmi les peuples barbares et les insulaires habitant aux « isles Orcades » et Hébrides ou en l'isle de Thulé en Islande, la » plus éloignée de tout le monde... »

Nous voilà bien loin de la France. L'assertion de cet écrivain est d'ailleurs vague et ne prouve absolument rien.

Brodeau, autre écrivain du même temps, parle aussi de l'Ecosse où existait « cette coustume abominable» abolie, dit-il, par le Christianisme.

Nous voici encore fort loin de notre pays et plus loin encore des temps féodaux.

Or, tandis qu'en France, des historiens insinuent que le droit du seigneur avait bien pu exister jadis en Ecosse, les jurisconsultes anglais, et notamment Craig dans son livre: De feudis, affirment que cette

coustume, si elle a jamais existé, venait de France. Si le droit du seigneur était venu de France, Messieurs, il n'avait pu être importé que par les Normands. Or, j'ai vainement feuilleté l'ouvrage si consciencieux de M. Delisle sur les Coutumes de Normandie, et si, en maints endroits, j'y ai trouvé des traces de l'existence de ce droit de Culage dont je parlerai tout à l'heure, nulle part je n'ai pu rencontrer aucun texte prouvant l'exercice et même l'énonciation du droit du seigneur relativement à la personne.

Ragueau, qui publia, vers la fin du xvie siècle (car notez bien, Messieurs, qu'avant cette époque il n'est question dans aucun historien du fameux droit), un Indice des droits seigneuriaux, est plus positif. Il parle formellement du droit de Marquette qui s'exerçait, selon lui, au-delà de la Manche toujours hors de chez nous et qu'il confond évidemment avec le droit du seigneur tel que nous l'entendons. Je dirai plus loin ce qu'était ce droit de Marquette.

Laurière, en 1704, dans son Glossaire du droit français, insinue à plusieurs reprises que le droit du seigneur a existé en France, mais il ne donne aucune preuve positive de son assertion, et le fait est d'autant plus regrettable que tous les auteurs subséquents, Du Cange, Boëtius, invoquent Laurière toutes les fois qu'ils parlent du droit du seigneur, et ne font, par conséquent, que reproduire des allégations non prouvées.

J'admire, Messieurs, comme on écrit l'histoire. Le plus souvent c'est la légende, la tradition qui lui servent de bases bases en apparence solides, mais qui ne le sont guère. On répète les premiers on-dit, on les agrémente, on les accentue à quelques siècles

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