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vue, qu'en ce moment, la France traverse une phase presqu'aussi terrible, -plus terrible peutêtre qu'en 1792, et que les passions des hommes restant les mêmes, les forfaits, à un moment donné, peuvent aussi se renouveler.

On a dit souvent que les mesures prises à Paris pour assurer les massacres de septembre, avaient été également concertées en province, et que partout des ordres étaient donnés pour qu'aucune grande ville n'échappåt à ce moyen d'intimidation que les rèvolutionnaires de tous les temps tiennent toujours en réserve l'effusion du sang.

Il est certain qu'à Reims, dès les derniers jours d'août, une grande agitation se manifestait dans les quartiers populeux, et surtout aux alentours du club des Jacobins. Un bataillon de fédérés, arrivant de Paris, le 1er septembre, mit le comble à l'animation et à la confusion que présentait déjà la ville. Ces fédérés, dont l'arrivée avait été signalée par les meneurs du temps, les Armonville, les Beaucourt, les Besançon, furent reçus avec une certaine ostentation. Les maisons où ils devaient loger avaient ordre d'illuminer, et leurs hôtes avaient été requis de venir les chercher à l'Hôtel-de-Ville, où l'on distribuait les billets de logement.

La journée du 1er septembre fut signalée par de nombreuses allées et venues. Des figures sinistres apparaissai nt à l'entrée de la salle des délibérations du conseil de la Commune. Certains mots d'ordre étaient donnés à demi-voix, des regards significatifs étaient échangés.

Les élections des députés à la Couvention devaient avoir lieu le lendemain, à la Cathédrale, convertie en dépôt de fourrages par un arrêté du citoyen Bô, représentant en tournée, en date du 21 brumaire an II. Les nombreux délégués du département étaient là. Il s'agissait, pour les terroristes de Reims, de les intimider, et surtout d'obtenir d'eux la nomination d'Armonville, ouvrier fileur dont le nom est devenu tristement célèbre, et qu'on voulait donner pour suppléant à Prieur (de la Marne).

Cet Armonville avait pour soutien et aussi pour rival, dans la faveur populaire, un misérable du nom de Renacle-Laurent, dit Château, dont le rôle consistait à exciter le peuple contre les aristocrates, à parler sans cesse dans les clubs et ailleurs de faire tomber des têtes, et qui passait pour être l'un des agen's les plus actifs et aussi les plus ardents des fédérés, à Reims.

A côté de ces deux hommes qui, dans des milieux différents, exerçaient en ville une influence terrible, se faisait aussi remarquer Couplet, dit Beaucourt, dont la participation aux massacres de Reims ne sera que trop facilement établie, et qui, bien qu'étranger à la ville, s'était fait nommer procureur de la Commune, et avait su prendre sur les membres de la municipalité un ascendant fatal. Il exerçait sur l'esprit de ces hommes, dont quelques-uns étaient honorables, une espèce de terreur.

On a voulu, dans la suite, essayer de réhabiliter Beaucourt, en soutenant que, loin d'avoir été l'instigateur des massacres, il avait, au contraire, essayé d'arrêter l'effusion du sang. Lui-même a publié une sorte de justification qui se trouve à la bibliothèque

de la ville de Reims, et que nous avons dû compulser avec soin. Sa mémoire n'en doit pas moins rester flétrie. Les raisons qu'il donne tombent devant l'évidence des faits. L'opinion du temps l'a condamné, à défaut du jury criminel devant lequel il ne fut pas cité plus tard, pour des raisons qu'il serait trop long d'expliquer, mais dont la principale est qu'avec lui il eût fallu sans doute amener trop de monde à la barre de la justice! Cette dernière, à peine restaurée en France, n'était peut-être pas encore assez libre pour poursuivre tous les coupables, encore moins tous les complices, des affreux événements que la France venait de subir !

Ce fut Beaucourt qui fit arrêter l'infortuné M. Guérin et le malheureux Carton, facteur de la poste. Ce fut Iui qui, malgré d'énergiques protestations émanées d'officiers municipaux, consentit à l'arrestation de M. de Montrosier et l'alla chercher lui-même, dans sa maison, sous prétexte de le protéger contre la fureur de la populace, mais en réalité pour le lui livrer. Ce fut lui qui, interrogé par la foule haletante qui encombrait la place, lui répondit du haut des marches de l'Hôtel-de-Ville : « Mes amis, vous voulez du sang, vous en aurez !... »

Mais n'anticipons pas sur les événements. Ils vont, hélas! se dérouler bien assez tristement d'eux-mêmes.

La municipalité avait été démembrée. De sa propre autorité, Bô, le représentant en tournée qui avait enlevé la cathédrale au culte, avait remplacé certains membres tièdes et incolores par des hommes violents,

comme les Besançon et autres. Il dominait cinq ou six trembleurs dont les noms seraient ici sans signification. Seuls, quelques citoyens honorables, comme MM. Tronsson, Gervais, Andrieux, Assy, Boisseau, etc., savaient au besoin résister au tribun et le forçaient à compter avec eux.

Beaucourt et les fédérés ne comprenaient que trop qu'il fallait trouver un prétexte aux arrestations et aux massacres. Ce prétexte, ils le cherchaient le hasard le leur fournit.

Les armes de la famille de Brulard décoraient la porte principale de l'Hôpital-général, rappelant les bienfaits de cette famille. Une troupe de forcenés, guidés par des meneurs, arrachaient et brisaient cet écusson, lorsqu'un jeune homme du nom de Carton, simple facteur à la poste aux lettres, ne craignit pas de leur faire des représentations :

< Vous vous en prenez aux pierres... leur dit-il. Des cris, des hnées, répondent à ce blâme courageux, et des menaces de mort se font aussitôt entendre:

« A la lanterne !... » crient les plus animés.

Un des membres de la municipalité, Besançon, qui se trouve là par hasard, a-t-on dit, le fait arrêter, et s'écrie qu'on ne s'y prend pas bien à Reims, pour découvrir les aristocrates; que l'on n'y entend rien; que cela va mieux à Paris; que là, dès que quelqu'un indiquait un aristocrate, on le fusillait, et que dès qu'on disait qu'il y en avait un dans une maison, on y courait, on allait l'y chercher, etc. (1) ›

(1) Extrait textuel des considérants du jugement du jury criminel de la Marne, du 26 thermidor, an III, dont il sera parlé plus loin.

Ce Besançon-Guillaume, teinturier de son état, avait précédemment accusé Carton, qu'il connaissait parfaitement, de s'entendre avec M. Guérin, directeur de la poste, pour ne pas distribuer les correspondances et les journaux parisiens.

La foule, satisfaite de l'arrestation de Carton, se sépare, mais se porte le lendemain, 3 septembre, chez M. Guérin, dont la maison, située rue Salin, au coin de la place de Ville, se trouve protégée par une sentinelle qu'y a fait placer la municipalité (1). Une légère fumée s'échappe d'une cheminée. Nul doute que le directeur de la poste ne brûle des papiers compromettants. Cette opinion absurde se répand avec la rapidité de l'éclair. On parle de fouiller la maison en faisant au besoin violence à la sentinelle. Le voisin de M. Guérin, M. Canelle de Villarzy, est aussi déclaré suspect en raison de ses relations bien connues d'amitié avec lui. On parle de violer sa maison, dont la cour ne doit être séparée que par un simple mur de celle de M. Guérin.

Ce dernier, appelé par ses fonctions au district, n'était pas chez lui. Une personne amie court le prévenir. Il demande à être conduit dans sa maison par deux membres de la municipalité. Il s'engage à prouver que les accusations portées contre lui sont absolument dénuées de tout fondement. On fait droit à sa requête. Malheureusement, c'est Beaucourt et quatre de ses affidés qui l'accompagnent. M. Guérin pénètre avec eux dans sa maison. On n'y trouve rien de suspect, si ce n'est de vieilles bandes et des rognures de

(1) Cette maison est celle qui a été occupée de nos jours par le regrettable et regretté M. Robillard.

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