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rent. Nos produits, déconsidérés, sont rebutés en Espagne, en Italie et dans le Levant, où les Anglais, les Hollandais, les Suédois et les Américains ont une juste préférence.

C'est avec une telle incurie, une indifférence aussi inexcusable qu'on épuise et que l'on perd les plus précieuses ressources de l'Etat ; que la population maritime, réduite à moitié de ce qu'elle fut naguère, tend à diminuer encore, On combat ces réalités par des sophismes, on oppose à des faits, des théories que dément l'expérience, on sacrifie à de chétifs intérêts d'une seule localité, ceux d'un littoral qui s'étend de l'embouchure de la Seine à la frontière des Pays-Bas. La voix du présent n'a pas plus de puissance que celle du passé; les abus se perpétuent, ils s'aggravent; les réclamations vont expirer aux pieds des arbitres de notre prospérité commerciale qui jugent, à Paris, de l'état de nos pêches, par les approvisionnemens des halles, comme ils prononcent sur le sort de nos colonies, en calculant par le cours des sucres de l'Inde, ce que nous épargnerions d'écus à abandonner ces établissemens. Il semble, en vérité, que nous soyons, sur tous les points, inspirés, dirigés par le mauvais génie qui conspire la ruine de notre marine. Rien

n'est négligé à cet égard; les armateurs de nos ports voient réduire la prime d'exportation des morues à un taux qui rend cette exportation impraticable, et accroître cet encouragement pour les lieux où le commerce interlope en fera profiter les Américains ; et cela, au moment où une compagnie américaine, sous la raison d'un ci-devant roi, obtient le monopole de l'importation et de la vente du poisson salé dans tous les États du Saint-Siége. Ainsi, ce n'était pas encore assez de nous être vu ravir successivement toutes les branches de ce commerce du Levant, si variées et toutes si fructueuses, dont la confiance et la sympathie des sujets de la Porte nous avaient donné la jouissance exclusive, faudra-t-il encore perdre jusqu'au droit de concourir à l'approvisionnement des marchés des États du Pape, dans un moment où notre glorieux drapeau flotte sur ses citadelles? Cette idée n'est pas supposable.

L'on pourrait espérer que le commerce, qui se réduit à peu près à celui de la pêche, dont on voit le fâcheux état, reprendrait son antique splendeur, si l'on parvenait à terminer enfin des travaux en projets depuis près d'un siècle, en exécution partielle et ruineuse depuis plus de quarante ans, et dont chaque par

tie, jusqu'alors traitée isolément, place encore pour un temps indéterminé la fortune et la prospérité de Dieppe en perspective. Pourtant ce but eût été bientôt atteint, si l'on eùt creusé ce canal d'une exécution si facile, d'un succès si certain, qui aurait eu pour la capitale, destinée à devenir, dit-on, le centre du mouvement commercial, non seulement de la France, mais de l'orient de l'Europe, des avantages aussi incontestables qu'ils eussent été prochains.

Trois ans, en effet, eussent suffi pour achever cette importante entreprise, et moins de vingt millions eussent pourvu à sa dépense. Mais ce n'est pas de tels projets qui prévalent chez nos hommes d'état. L'idée du canal de Dieppe eût été adoptée par Sully, elle fut approuvée par Colbert; mais elle était trop étroite pour la vaste tête qui conçut le projet fantastique d'un port dans la plaine de Grenelle. En attendant qu'il soit décidé si l'on creusera le fameux canal, dont la seule pensée fait pâlir le génie qui traça le canal calédonien, ou si l'on se contentera de redresser, de diguer, de creuser le lit de la Seine, comme on le propose plus modestement, les années se succèdent, les périls et les droits de la navigation calculés, non sur l'intérêt général, mais, suivant notre usage,

sur celui des bailleurs de fonds, s'accroissent; les routes sont écrasées par le transport des marchandises, qu'on ne confie plus à la rivière; et Paris, et la France et l'Europe, attendent. Paris, la France et l'Europe attendront, tant que nous nous laisserons bercer de vaines illusions; que, dupes des rêveurs et des intrigans de tout genre, de tout pays, nous substituerons à des plans approuvés et consacrés par l'expérience, des projets réprouvés par le plus simple bon sens ; tant que, serviles et ignorans imitateurs, nous porterons, en économie politique, cette anglomanie qui naguère n'était que ridicule, quand elle n'altérait que notre goût et nos usages, mais qui devient désastreuse quand on lui subordonne aveuglément nos plus grands intérêts. Ce qui est praticable chez nos voisins, peut ne pas l'être chez nous; un pays qui, comme le leur, abonde en mines de fer et de houille, qui est. sillonné par plus de deux mille lieues de canaux navigables, peut facilement exécuter des entreprises, qui sont impraticables dans des contrées entièrement dépourvues des mêmes ressources.

Un port situé au centre du détroit, à vingt lieues de l'Angleterre, où la mer monte de vingt-quatre à vingt-sept pieds dans les grandes

marées, suivant la force et la direction des vents', qui est précédé par une rade où l'on trouve à moins d'une demi-lieue un très bon mouillage par dix et douze brasses, qui peut par conséquent recevoir des navires du plus fort tonnage, qui possède un bassin où les bâtimens sont abrités de tous les vents, un tel port, disons-nous, à la tête d'un canal dont le cours ne serait que de quarante à cinquante lieues, devrait appeler et fixer l'attention des hommes éelairés et sincèrement amis de la prospérité bien comprise du pays.

1 L'établissement du port de Dieppe est de 101 30', et l'entrée gît nord-nord-ouest et sud-sud-est. La mer y monte de vingt-quatre à vingt-sept pieds dans les grandes marées, suivant la force et la direction des vents.

A une demi-lieue à l'ouest de Dieppe, on trouve un très bon mouillage sur un fonds d'argile, par dix et douze brasses. La marque est de tenir la pointe de Sotteville, qu'on voit à deux lieues à l'ouest de la pointe d'Ailly, ouverte par cette même pointe, ainsi que le pont-levis du château ouvert, en relevant une vieille chapelle ou masure sur la falaise voisine du château, au sud-quart-sud-ouest.

(Mémoire pour servir d'introduction à la navigation des cótes, publié par le dépôt général des cartes de la marine, d'après les ordres du ministre Decrès. Paris, de l'imprimerie impériale, 1804.)

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