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bon catholique, tomba cependant à Muret dans les rangs de ceux qui combattaient la croisade.

Montpellier était un beau joyau à ajouter à la couronne d'Aragon; en même temps Pierre II, veuf de sa première femme, entrait de plein pied et sans conteste dans le Midi de la France, et en devenait le principal seigneur après le comte de Toulouse. Marie était donc pour lui un bon parti. Elle devait embarrasser les quinze bourgeois chargés de la régence, comme elle avait embarrassé Guillem VIII pendant sa vie. D'un autre côté, n'était-elle pas l'héritière légitime des Guillems? Quand Eudoxie avait donné sa main à Guillem VIII, celui-ci ne lui avait-il pas juré que le premier enfant qui naîtrait, quel que fùt son sexe, serait héritier de la seigneurie, et ce serment n'avait-il pas été confirmé par tous les habitants de Montpellier à partir de l'âge de dix ans ? Les habitants n'avaient pas été relevés de ce serment. Et la renonciation de Marie à ses droits paternels n'avait-elle pas été obtenue par force?

Il est assez difficile de préciser les progrès de la commune de Montpellier depuis la révolte de 1142 jusqu'en 1204; mais nos bourgeois durent saisir avec avidité l'occasion qui s'offrait à eux pour faire reconnaître légalement la commune, et il est bien probable que la révolution pacifique, qui éclata à Montpellier à la fin de 1203 ou au commencement de 1204, fut avant tout une révolution communale. Au fond chacun y trouvait son intérêt: marier leur jeune souveraine avec Pierre d'Aragon, constituait un bon parti pour elle tout en procurant à son époux de sérieux avantages; en même temps nos bourgeois arrivaient au but de leurs désirs: la commune était constituée. Pour parvenir à ces fins, il suffisait de renverser Guillem IX, après avoir obtenu du roi d'Aragon et de la future reine la promesse que Montpellier aurait sa commune.

Le 15 juin 1204, Pierre d'Aragon épousa Marie; le 1er juillet, il fit hommage à l'évêque de Maguelone pour Montpellier, et le 15 août, fête de Notre-Dame des Tables et de la nouvelle reine, fut accordée la charte fondamentale de la commune de Montpellier. Mais deux mois auparavant, le jour même du mariage, les bourgeois de Montpellier avaient obtenu un préambule de la charte qui fut signée dans le cimetière de la maison du Temple de Montpellier.

Guillem IX fut donc dépouillé de ses droits au profit de sa sœur, achetant la couronne d'Aragon très probablement par la promesse formelle de donner la commune à ses sujets. Nous verrons, par la suite, qu'elle n'eut pas toujours à se louer de ses compatriotes, et que son frère, soutenu par Pierre d'Aragon, porta plus tard ses plaintes aux pieds d'Innocent III.

Marie fut loin d'être heureuse dans ce nouveau ménage. Était-elle « plus riche que belle », ainsi que le dit GERMAIN (Hist. de la commune de Montpellier, t. I, p. 33)? Quoi qu'il en soit, l'historien s'arrêtera toujours avec pitié et vénération devant cette petite-fille des empereurs d'Orient, qui, pendant sa vie, ne connut jamais un cœur pour l'aimer, un bras pour la défendre, et fut obligée d'aller se réfugier auprès d'Innocent III pour trouver aide et protection. Repoussée par un père à qui sa présence seule reprochait sa conduite, maltraitée par une marâtre, livrée par eux deux au seigneur le plus voluptueux du Midi, puis répudiée, livrée enfin par ses sujets comme une matière d'échange à Pierre d'Aragon qui l'épousa sans amour et par intétèt, elle montra en toute circonstance un caractère audessus des événements, et but jusqu'au fond le calice d'amertume, qu'elle ne put avaler cependant sans se plaindre, se donnant à elle-même le nom que l'histoire a ratifié la crucifiée.

Deux ans ne s'étaient pas écoulés depuis son mariage, que Pierre d'Aragon, toujours volage, demanda le divorce. Il convient d'examiner les circonstances de ce fait pour apprécier exactement la conduite du roi.

Une fille, Sancie, était née de cette union. En octobre 1205, Pierre la fiança au fils de Raymond VI, et cela en violant ouvertement son contrat de mariage avec Marie; car ce fut sans son consentement qu'il disposa de Sancie, et surtout qu'il lui assura comme dot les biens maternels. Il fallait cependant pour ceux-ci obtenir la signature de la mère. Elle y consentit, mais non sans un déchirement de cœur et un cri de douleur qui est parvenu jusqu'à nous (Cf. GERMAIN, Une charte inédite de Marie de Montpellier, dans Mémoires de la Société archéologique de Montpellier, 1860, pp. 56-68).

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Et ce fut dans ces circonstances, après avoir arraché à sa femme une signature, après l'avoir dépouillée de ses biens en faveur de sa fille, qui devait mourir bientôt -, que Pierre d'Aragon, n'ayant plus rien à attendre d'elle, mit le comble à l'indignité de sa conduite, en demandant le divorce.

Quelles raisons invoquait il? Il importe de bien les spécifier au début de ce procès. Tout d'abord la conscience délicate du prince est troublée, après dix mois et plus de mariage, parce qu'il a eu autrefois commerce avec une parente de la reine; en second lieu, parce qu'il l'a épousée bien que son mari, le comte de Comminges, fût encore vivant. Or nous savons ce qu'il faut penser de l'union de Marie de Montpellier avec Bernard VI; quant à l'empêchement d'affinité, contracté par le roi à cause de ses rapports avec une parente de la reine, nous verrons plus tard, dans la note historique à la sentence d'Innocent III sur ce mariage (voir N° 190), ce qu'il faut en penser. Ce fait n'a jamais été prouvé.

Que Pierre ait été un fervent défenseur de l'orthodoxie; que pour ce motif Innocent III ait eu pour lui des égards, cela est exact; que, recevant une pareille demande, le Pape y ait fait droit, tout cela est dans l'ordre, et il ne pouvait faire autrement. Mais Innocent III, malgré tous les services que pouvait rendre à la cause catholique le roi d'Aragon, ne pouvait faire fléchir pour lui la sévérité du dogme catholique. Plus tard nous verrons, racontées par Innocent III, toutes les phases de ce procès; mais l'exemple de cette pauvre femme, réduite à la misère, héritière d'un grand nom, fille des empereurs de Constantinople que les croisés venaient de renverser, dénoncée à Rome par un mari volage comme usurpatrice des biens de son frère, nous montre quels efforts les Papes durent faire pour obliger les puissants du jour à respecter la sainteté de la foi conjugale, et les difficultés souvent inextricables qui surgissaient sans cesse, et qu'ils n'ont résolues parfois qu'après la mort des intéressés, comme le mariage de Guillem VIII avec Agnès de Castille, la maràtre de Marie de Montpellier.

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Innocent 111 écrit aux consuls de Montpellier qu'ils fassent rendre à un citoyen romain l'argent et les effets que Raimond Gaucelm, seigneur de Lunel, lui avait volés.

Innocentius episcopus, servus servorum Dei, dilectis filiis consulibus Montis Pesulani, salutem et apostolicam benedictionem.

Gravem nobis dilectus filius nobilis, civis romanus, Otto Senebald, proposuit questionem quod cum G[uillelmus], filius ejus, per terram nobilis viri Raimundi] Goscelmi transitum faceret, idem R[aimundus] ipsum pecunia ac rebus omnibus quas habebat nequiter spoliavit.

Quocirca discretioni vestre per apostolica scripta mandamus, quatinus dictum R[aimundum] ad restitutionem integram oblatorum, tradita vobis potestate, sublato appellationis obstaculo, compellatis.

Datum Laterani, vi kalendas novembris pontificatus nostri anno nono.

Bibliographie. Archives municipales de Montpellier, arm. E, cass. 5, n° 2180 de l'Inventaire LOUVET, publié par M. J. BERTHELE; original sur parchemin; sceau de plomb, encore attaché par des cordons de chanvre.

Raimond Gaucelm dont il est question ici n'est autre, nous semble-t-il, que le seigneur de Lunel, quatrième du nom. D'après l'abbé ROUET (Notice sur la Ville de Lunel), sa mère était une fille de Guillem VII, seigneur de Montpellier (Cf. Cart. des Guillems, édit., p. 184, où on trouvera le testament de Guillem VII). Ce Raimond Gaucelm IV nous semble avoir joué un rôle assez important dans le diocèse de Maguelone. Ami particulier de l'évêque Guillaume d'Autignac, il poussa ce dernier à demander au Pape l'inféodation du comté de Melgueil, confisqué sur Raymond VI, comte de Toulouse. L'évêque aurait peut-être longtemps hésité à demander la couronne comtale, si le seigneur de Lunel ne lui avait promis de l'aider de sa bourse et de sa petite armée. Il mourut sur ces entrefaites, vers 1215 (Voir au tome II la bulle d'Honorius III du 23 janvier 1224).

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Innocent III renouvelle à Pierre de Castelnau et à l'évêque de Pampelune l'ordre de faire une enquête sur la légitimité du mariage de Pierre d'Aragon avec Marie de Montpellier.

Dudum nos vobis scripsisse recolimus charissimum in Christo filium nostrum, P[etrum], Aragonum regem illustrem, transmissa nobis insinuatione monstrasse quod, cum dilectam in Christo filiam, nobilem mulierem, M[ariam], natam quondam G[uillelmi] Montis Pesulani, sibi de facto matrimoniali fœdere copulasset, apparuit tandem, quod quamdam carnaliter præcognoverat, eamdem nobilem proxima consanguinitatis linea contingentem; quin et eadem mulier virum habuit superstitem, cum quo

antea contraxerat, videlicet nobilem virum [Bernardum], comitem Convenarum. Propter quod idem rex, tanquam vir catholicus et Deum timens, cauteriatam conscientiam super hoc gerens, ac metuens ex hoc animæ suæ periculum imminere, ad Apostolicae Sedis oraculum duxit quanto citius recurrendum.

Unde nos vobis apostolicis dedimus litteris in mandatis, ut, si talis appareret super hoc accusator, cujus accusatio esset admittenda de jure, vos, partibus convocatis, audiretis causam, et eam, si partes assensum præstarent, sublato appellationis obstaculo, fine curaretis canonico terminare; alioquin gesta omnia conscribentes, sub testimonio litterarum vestrarum ea nobis fideliter mitteretis, præfixo partibus termino competenti, quo per procuratores idoneos nostro se conspectui præsentarent, justum, auctore Deo, judicium recepturæ.

Nuper autem idem rex nobis intimare curavit, quod eadem nobilis consanguinitatis etiam ei linea copulatur.

Quocirca discretioni vestræ per apostolica scripta præcipiendo mandamus, quatenus, ad locum partibus competentem quantocius accedentes, et Deum habentes præ oculis, tam super duobus præscriptis, quam etiam super consanguinitatis articulis et aliis, si qua de jure idem accusator duxerit proponenda, secundum formam prioris mandati, sublato cujuslibet contradictionis et appellationis obstaculo, procedatis. Quod si non omnes [his (') exequendis potueritis interesse,] duo vestrum [ea, sublato cujuslibet contradictionis et appellationis obstaculo, nihilominus exequantur].

Datum Romæ, apud Sanctum Petrum, v kalendas februarii, anno nono.

Bibliographie. Innocentii III opera, éd. MIGNE, t. II, col. 1080; BOUQUET, Recueil, t. XIX, p. 485; RAYNALDI, Annal. eccles., ad ann. 1207, § 6; POTTHAST, no 2991.

Innocent III ordonne à ses légats de continuer l'enquête, ou plutôt de la commencer, touchant le mariage de Pierre d'Aragon avec Marie de Montpellier. Cette seconde bulle ne concorde pas avec ce passage de GERMAIN (Hist. de la commune de Montpellier, t. I, p. 245): « Il fallut tout l'ascendant et toute la fermeté d'Innocent III pour neutraliser ses projets de divorce ». Il n'en est rien cependant, comme on peut s'en convaincre en lisant les documents pontificaux; bien plus, en présence des motifs allégués par Pierre, le Pape devait pousser ses légats à

(1) Les mots entre crochets ne sont pas dans MIGNE.

BULLAIRE DE L'ÉGLISE DE MAGUELONE.

T. I

339

mener rapidement l'enquête (Pour l'enchaînement des faits, Cf. N° 173, et aussi N° 190).

Établissons tout d'abord la chronologie des faits qui se déroulèrent depuis le mariage (juin 1204) jusqu'à la naissance de Jayme le Conquérant (1er février 1208). En octobre 1205, naissance de Sancie que Pierre promet de donner en mariage à Raimond VII; constitution de la dot de la princesse au dépens des biens de la mère, et protestation de Marie qui signe bien à regret. En 1206, révolte des habitants de Montpellier (voir Bulle suivante): celle-ci dut éclater dans les premiers mois de l'année, l'acte d'accord est, en effet, du 27 octobre 1206. Il est bien probable que cette révolte dut influencer le roi d'Aragon dans sa résolution de divorce. Il est hors de doute, en tout cas, que le 21 décembre 1206 des négociations furent entamées pour le mariage de Pierre avec Marie, héritière du royaume de Jérusalem (Cf. Hist. gén. de Languedoc, t. VI, p. 248). La lettre aux légats du 17 juin 1206 arriva donc en pleine révolte des habitants de Montpellier, et au milieu des négociations pour le mariage. D'après les auteurs de l'Histoire générale de Languedoc (Loc. cit.) les légats auraient commencé l'enquête, et cité les parties. Hugues de Torroja se serait présenté pour le roi d'Aragon; Marie aurait demandé un délai pour se défendre. Ce dernier fait dut se passer à la fin de 1206: c'est ce qui explique la nouvelle lettre d'Innocent III du 28 janvier 1207 que nous commentons.

Il nous paraît donc bien acquis que loin de blàmer Pierre, et loin de faire usage de toute sa fermeté pour l'obliger à reprendre sa femme, Innocent III, au contraire, ainsi que l'exigeaient l'équité et la morale, fit droit à sa demande d'enquête..

Comment se fit momentanément la réconciliation? Jacques d'Aragon naquit dans la nuit du 1er au 2 février 1207, d'après le Petit Thalamus (édit., p. 331), date qui, pour nous, correspond au 1er février 1208. La conception du Conquérant aurait donc eu lieu neuf mois auparavant, fin avril 1207, et, par conséquent, trois mois après la lettre d'Innocent III du 28 janvier 1207.

Or, pendant que le Pape, « qui ne peut refuser d'instruire l'affaire», ainsi que l'a remarqué avant nous M. FABRÈGE (Hist. de Maguelone, t. I, p. 353), pressait ses légats de faire droit à la demande de Pierre, les bourgeois de Montpellier travaillaient, de leur côté, à réconcilier les deux époux. La réconciliation eut lieu, bon gré mal gré, volontairement ou par supercherie, peu importe; et elle eut lieu dans les premiers mois (février-avril) de 1207 (Cf. la légende de la conception de Jayme le Conquérant: VAISSETE, Hist. gén. de Languedoc, t. VI, p. 259; — F. FABRÈGE, Hist. de Maguelone, t. I, p. 353; — GERMAIN, Hist. de la commune de Montpellier, t. I, p. 247, et surtout la note xш, pp. 307-316, où se trouve tout au long la légende de RAMOND MUNTANER ; et aussi DE TOURTOULON, Hist. de Jacme I, t. I, 85. p. On trouvera aussi dans l'ouvrage de M. FABRÈGE toute une bibliographie que nous jugeons inutile de reproduire).

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Pierre de Castelnau et l'évêque de Pampelune ne purent mener à bonne fin une pareille enquête. Innocent III en renouvela l'ordre à ses légats, et lui-même enfin prononça une sentence le 19 janvier 1213 (Voir plus loin les trois bulles de ce Pape à cette date, où nous reprenons la suite des événements).

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