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temps de Carême, de ne pas respecter les églises, de les transformer en forteresses, d'avoir augmenté les péages, de donner les charges publiques aux Juifs, d'avoir envahi les domaines du monastère de Saint-Guillem et d'avoir chassé de son siège l'évêque de Carpentras. Tous ces griefs se trouvent mentionnés dans la lettre aux consuls de Montpellier que nous publions; en plus, le Pape lui reproche d'avoir mis le feu à une église du diocèse de Carpentras, et d'y avoir fait brùler soixante personnes, de livrer des femmes chrétiennes aux Juifs, qui en abusent, d'avoir enlevé au monastère de Saint-Guillem les églises de SaintPargoire et de Saint-Martin, nous ne pouvons préciser lequel —, mais nous pencherions pour Saint-Martin de Londres.

C'est là un terrible réquisitoire contre Raymond VI. La lettre que nous éditons relate surtout le crime horrible d'avoir fait brùler 60 personnes dans une église.

Au point de vue historique, elle est d'un aussi grand intérêt. Elle nous fait saisir la liaison des événements et apporte un complément utile à l'histoire de la province. Citons ici dom VAISSETE (Hist. gén. de Languedoc, t. VI, p. 258):

« La lettre du Pape (celle du 29 mai) au comte de Toulouse eut son effet: ce prince, soit par la peine qu'il eut de se voir excommunier, soit par les menaces secrètes de Pierre de Castelnau qui, afin de l'obliger à signer la paix, suscita sous main contre lui, sous prétexte de piété, tous les seigneurs de Provence qui lui firent la guerre, se rendit enfin aux volontés du légat. Raimond, après avoir conclu la paix avec tous ses seigneurs, fut, à ce qu'il paroit, absous de l'excommunication. Il étoit aux environs du Rhône le 1er d'août de l'an 1207... Il se rendit bientôt après dans son château de Melgueil, et il y fut présent le 4 de ce mois, lorsque Marie, reine d'Aragon, fille de feu Guillaume, seigneur de Montpellier, et de l'impératrice Eudoxie, permit aux habitants de cette ville d'en démolir entièrement la tour et le château et d'en raser les fortifications avec promesse que jamais aucun seigneur de Montpellier ne pourroit la fortifier ou y élever quelque forteresse.»>

Toujours prudent, dom VAISSETE n'affirme pas catégoriquement que Raimond VI fut absous; il dit: à ce qu'il paroit. Or il ne le fut pas. Peut-être en répandait-il la nouvelle dans le Languedoc, et ce fut probablement pour détromper les habitants de Montpellier contre ce faux bruit que le Souverain Pontife leur adressa cette lettre du 20 août. Elle pressait d'autant plus que le comte de Toulouse était venu dans son château de Melgueil au commencement de ce mois, et qu'il s'y était rencontré avec la reine d'Aragon.

De fait, voici ce qui se passa dans le courant de juin et de juillet. A une date que nous ne pouvons préciser, le comte de Toulouse comparut dans une réunion composée de l'archevêque d'Arles, du roi d'Aragon et de nombreux abbés, et jura sur les saints Évangiles de comparaître devant les légats pour demander la levée de l'excommunication, et faire amende honorable sur tous les points d'accusation. Il arriva en effet au jour fixé, mais, au lieu de se soumettre, il en appela au Pape. L'excommunication ne fut donc pas levée.

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Innocent III informe les Frères du Saint-Esprit qu'il a transféré à Rome la maison mère de leur Ordre.

Defuncto Romæ felicis memoriæ Guidone, qui vestrorum hospitalium primus exstitit institutor et rector, cum quidam ex fratribus vestris a Montepessulano directi, et alii venientes ab Urbe pro substitutione rectoris, in nostra essent præsentia constituti, de ipsorum consilio et assensu, quia videbatur plurimum expedire, statuimus ut caput et magisterium Ordinis vestri perpetuo perseveret in Urbe apud hospitale Sancti Spiritus in Saxia, ita quod rector ipsius præsit universis fratribus Ordinis vestri tam præsentibus quam futuris, omnesque sibi teneantur impendere obedientiam et reverentiam regularem.

Cum autem hospitalis, quod est apud Montempessulanum, rector fuerit eligendus, de consilio et assensu rectoris hospitalis quod est apud Urbem, regulariter eligatur.

Unde nos secundum formam constitutionis hujusmodi eligi fecimus dilectum filium fratrem, P. de Granerio, in summum rectorem hospitalis Sancti Spiritus in Saxia, firmiter injungentes ut, de ipsius consilio et assensu in hospitale Sancti Spiritus, apud Montempessulanum rector idoneus eligatur.

Quocirca universitatem vestram per apostolica scripta monemus, quatenus quod a nobis est salubriter institutum, a vobis et successoribus vestris et nunc et semper inviolabiliter observetur, cæteris in suo robore permanentibus quæ in privilegio utrique hospitali a nobis indulto continentur expressa. Nulli ergo [omnino (') hominum liceat hanc paginam] nostræ constitutionis et jussionis [infringere, vel ei ausu temerario contraire.] Si quis autem [hoc attentare præsumpserit, indignationem omnipotentis Dei et beatorum Petri et Pauli, apostolorum ejus, se noverit incursurum.]

Datum Anagniæ, vi idus junii, anno undecimo.

(1) Nous rapportons entre crochets les parties omises par MIGNE.

BULLAIRE DE L'ÉGLISE DE MAGUELONE. - T. I

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Bibliographie. — Innocentii III epistolæ, éd. BALUZE, t. II, p. 188; éd. MIGNE, t. II, col. 1424; COCQUELINES, Bullar., t. III, p. 125; Bull. Romanum, éd. TAURINI, t. III, p. 215; POTTHAST, no 3439; - Abbé PAULINIER, Gui de Montpellier, p. 84; - TOUSSART, Diplomata pontificia, etc., Observations, p. 10.

Cette bulle est la dernière adressée aux membres de l'Ordre du Saint-Esprit que nous insérerons dans notre Recueil. L'Ordre est maintenant constitué et ne ne nous intéresse plus en lui-même, mais seulement dans les rapports que les frères de l'hôpital de Montpellier peuvent avoir avec le diocèse.

Gui décéda à Rome au mois de mai. Sa succession entière semblait bien lourde: diriger deux maisons, aussi éloignées l'une de l'autre, exigeait beaucoup d'activité. Le Pape prit la seule résolution convenable pour assurer la régularité dans l'observance de la règle et le bon fonctionnement des deux plus importants hôpitaux de l'Ordre. Désormais les deux maisons sont distinctes; le supérieur général est à Rome avec le titre de grand recteur de l'hôpital du Saint-Esprit in Saxia. Pierre Granier, premier supérieur, fera élire le recteur de Montpellier et ses successeurs agiront de même.

La maison de Montpellier est donc placée dans un état d'infériorité. Certainement, ainsi que nous l'avons dit (voir No 171), il était à prévoir que Rome attirerait à elle cette magnifique institution; sans nul doute, l'hôpital de Montpellier ne pouvait lutter en magnificence avec celui de Rome, doté par Innocent III. Les rôles avaient changé dans l'espace de dix ans. En 1198, l'Ordre du Saint-Esprit n'avait, au centre de la chrétienté, que deux maisons sans importance: Innocent III maintient à Montpellier la tête de l'Ordre; mais en 1208, le fondateur étant mort, et Rome possédant un magnifique hôpital, c'est lui qui en devient le centre.

Quelle était la situation créée par cette bulle à la maison de Montpellier ? Son union avec la maison de Rome, décrétée en 1204, était-elle abolie? Rien ne le prouve. A part la nomination du recteur de Montpellier qui sera faite par ordre du supérieur général, les autres indults doivent avoir force de loi: ceteris in suo robore permanentibus quæ in privilegio utrique hospitali a nobis indulta continentur expressa. Par conséquent la maison de Montpellier demeurera unie à celle de Rome, c'est-à-dire qu'elle devint la seconde de l'Ordre.

Cette situation fut jugée préjudiciable pour l'avantage spirituel et temporel de l'Ordre. Ce fut Honorius III qui annula la bulle de 1204, et déclara que les deux commandeurs de Rome et de Montpellier seraient indépendants l'un de l'autre.

Sur l'instance des frères de Rome, Grégoire IX, par sa bulle du 15 mai 1228, replaça la maison de Montpellier sous l'obédience de celle de Rome. Elle y resta, jusqu'à sa destruction par les protestants, et une bulle de Nicolas V de 1454, confirma la bulle de Grégoire IX, mais laissa cependant dans la juridiction directe de l'hôpital de Montpellier un certain nombre d'hôpitaux. Le recteur de Montpellier y avait droit d'institution, de destitution, de correction, de translation et de réforme, tout comme le grand recteur de Rome avait droit de visite et d'institution dans l'hôpital de Montpellier. De plus, le recteur de Montpellier devait respect, hommage et obéissance au grand-maitre, et devait lui payer un cens annuel de vingt florins; mais, en revanche, le recteur de Montpellier, qui devait se rendre à Rome tous les ans pour y assister au chapitre général, y obtenait la seconde place.

Par conséquent, la bulle d'Innocent III de 1208 conserva toujours sa force, excepté pendant le pontificat d'Honorius III. Plus tard, il est vrai, en 1625, Urbain VIII rétablit le généralat de Montpellier pour favoriser le relèvement de cette maison, mais ce fut peine inutile. A cette époque, saint Vincent de Paul avait déjà commencé sa mission. L'œuvre de Gui allait être renouvelée et adaptée à des besoins nouveaux.

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Conformément au désir exprimé par Arnaud, abbé de Citeaux, son légat dans la province, Innocent III n'a pas voulu recevoir l'hommage de Raimond VI pour le comté de Melgueil; il donne en même temps aux légats ses instructions touchant le comte de Toulouse.

Licet nobis jamdudum comes Tolosanus per suos nuntios supplicaverit ut super comitatu Melgoriensi, qui beati Petri juris et proprietatis existit, fidelitatem ab eo recipere dignaremur, ne tamen ipsum hoc modo quasi confirmare videremur eidem, preces suas non duximus admittendas; considerantes hoc ipsum quod tu, fili abbas, per tuas nobis litteras suggessisti, ut videlicet si fortassis in incoepta malitia pertinaciter perduraret, ipso demum eo juxta meritum spoliato, statuaremus de ipso quod Ecclesiæ negotio expediret.

Quia vero a nobis est sollicite requisitum qualiter procedendum sit circa comitatum eumdem fideli exercitui signatorum, id vobis providimus suadendum, quatenus ad Apostoli dicentis: Cum essem astutus, dolo vos cepi ('), magisterium recurrentes, cum talis dolus prudentia potius sit dicendus, deliberato cum eorumdem signatorum prudentioribus opportuno consilio, divisos ab Ecclesiæ unitate divisim capere studeatis, dummodo videritis quod ex hoc idem comes vel aliis minus assistere vel per se ipsum minus debeat insanire, non statim incipiatis ab ipso, sed eo primitus arte prudentis dissimulationis eluso, ad exstirpandos alios hæreticos transeatis; ne si squamis Leviathan sese conjungentibus una vi fueritis simul omnes aggressi, tanto demum hujusmodi satellites Antichristi difficilius possint conteri, quanto pertinacius ipsos in unum conjunctionis vinculum contingeret glomerari. Sic enim et illi facilius sterni poterunt remissius adjuti

1, II, Cor., XII, 16.

per istum, ac iste, illorum interim visa strage, ad cor fortasse redibit, vel, si perseveraverit in malitia, tandem contra ipsum et solum et destitutum levius procedatur. Hæc ergo vobis suggerimus ad cautelam.

Vos autem, qui rerum circumstantias eo plenius quo præsentius agnoscetis, sic vel aliter circa singula procedatis quemadmodum tam vobis quam aliis, quorum fuerit utendum consilio, de cælo fuerit revelatum, circa præfati comitis negotium processuri, prudenti deliberatione præmissa, prout ad honorem Dei et utilitatem Ecclesiæ videritis expedire.

Bibliographie. — Innocentii III epistolæ, éd. BALUZE, t. II, p. 259; éd. MIGNE, t. II, col. 1546; BOUQUET, Recueil, t. XIX, p. 514; VAISSETE, Hist. gén. de Languedoc, t. VI, p. 273;

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POTTHAST, no 3642; F. FABREGE, Hist. de Maguelone, t. I, p. 365; GERMAIN, Étude historique sur les comtes de Maguelone, p. 67.

Date. Ainsi que le fait remarquer POTTHAST, cette bulle ne porte aucune indication de de lieu, de mois et de jour. Avec lui cependant nous la fixons au 3 février 1209. Dom VAISSETE dit qu'elle fut écrite vers le 3 février de cette année.

Avec cette lettre d'Innocent III, nous entrons dans le grand débat que suscite sa conduite au sujet de Raimond VI et du comté de Melgueil. Disons d'abord qu'elle est adressée à Arnaud, abbé de Cîteaux, et aux évêques de Conserans et de Riez ce dernier avait été nommé légat à la mort de Pierre de Castelnau. Raimond VI, sentant l'orage qui allait fondre sur ses États, offrit donc à Innocent III de lui faire hommage pour le comté de Melgueil; le Pape refusa d'accéder à cette offre pour le motif exposé dans sa lettre. Encore quelques jours et le comté sera confisqué au profit de l'Église Romaine. Reprenons la note que nous avons ajoutée à la bulle No 4, et voyons quels étaient, en 1209, les droits du SaintSiège sur cette partie de la province.

Nous ignorons quelle est sur ce point l'opinion de M. LUCHAIRE, qui n'a pas consacré une page à ce fait, pourtant si grave. Il ne s'agit plus ici d'une excommunication lancée contre un souverain; il ne s'agit plus de délier des sujets de leur fidélité, ou d'une tentative pour enlever à un roi son trône et lui substituer un autre roi, toutes choses que l'on trouve dans la vie d'Innocent III; ici le Pape proclame ses droits de suzerain, agit comme tel, enlève le comté à Raimond, et l'inféode à un autre. Ses successeurs marcheront sur ses traces, et nous verrons les rois de France respecter cette décision.

Nous avons déjà dit (voir no 4) que dom VAISSETE avait contesté à Pierre de Melgueil le droit de disposer de son comté. A son tour, M. MOLINIER (Hist. gén. de Languedoc, t. XII, note 18, p. 285) reprend cette même thèse.

« L'origine de la puissance territoriale des évêques de Lodève, dit-il —, est absolument légitime; on ne saurait en dire autant de celle des évèques de Maguelone, tout au moins pour une partie de leurs possessions... Il nous reste à expliquer en vertu de quel droit il l'évèque] s'appelait comte de Melgueil. On a vu plus haut qu'à la fin du douzième siècle, Raymond VI possédait ce comté. En

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