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PRÉFACE

A publication du Bullaire de l'Église de Maguelone par DEUX CURÉS DE CAMPAGNE parait une témérité. Comment, en effet, loin des archives et des bibliothèques, loin de tout centre intellectuel, se procurer les documents, les transcrire, les collationner? Comment avoir à sa disposition une collection suffisante de livres pour indiquer la bibliographie de chaque bulle, discuter la date, et, surtout, composer les notes historiques, destinées à rendre d'appréciables services aux chercheurs et à donner un peu d'attrait à la lecture de ce Recueil. Par là notre œuvre se recommande tout spécialement. Nous aurions pu, sans doute, nous contenter de fournir le texte, comme a fait GERMAIN quand il a édité le Cartulaire des Guillems; mais l'absence de toute note rend aride une pareille publication. C'est d'autant plus regrettable que le savant historien aurait pu, à notre grand avantage, nous faire part de sa connaissance si approfondie de notre histoire religieuse et civile. Nous avons cru devoir donner plus d'ampleur à notre ouvrage, et, en commentant les bulles les plus importantes, les situer à leur véritable place dans notre histoire diocésaine, relever parfois quelques inexactitudes commises avant nous, identifier les lieux les moins connus, indiquer la bibliographie, en un mot infuser de la vie à ces documents arides, comme l'étaient les ossements qu'aperçut le prophète Ézéchiel.

Dans la solitude de notre paroisse rurale, chacun de nous consacrait à ce travail les loisirs que lui laissait le saint ministère. Assez rapprochés de Montpellier, où nous pouvions aller plusieurs fois par semaine, nous

BULLAIRE DE L'ÉGLISE DE MAGUELONE.

T. I

II

rentrions le soir avec une ample provision de copie et de notes. C'est grâce à notre situation peu distante de la ville que nous avons pu mener à bien une telle œuvre.

Mais si l'œuvre est devenue ce qu'elle est, si nous avons pu élever à la gloire de notre chère Maguelone, aujourd'hui disparue, un monument assez digne d'elle, si nous avons pu montrer la place occupée par cette Église pendant près de trois siècles dans le cœur des Papes, il est juste de reconnaître que cette idée ne nous appartient pas. Elle développait à nos yeux un champ d'investigation trop vaste. Originairement, le plan n'avait pas été conçu tel que nous le donnons réalisé au public. En voici d'ailleurs la genèse.

L'idée première de cette publication appartient à M. L'ABBÉ ROUQUette. GERMAIN avait publié, à la fin de son étude: Maguelone sous ses évèques, en pièces justificatives, beaucoup de bulles intéressant le chapitre de Maguelone, et qu'il avait extraites du manuscrit à l'usage du chapitre: le Livre des Privilèges, dont il sera parlé plus loin, dans l'indication des sources. Celles dont il n'avait pas publié le texte, il en avait au moins signalé l'existence. A son tour, M. L'ABBÉ ROUQUETTE voulait éditer un autre manuscrit, celui-ci à l'usage de nos évêques : le Bullaire de Maguelone. C'était modeste. Publier cent cinquante à cent soixante bulles dans la Revue qu'il venait de fonder était un travail assez aisé, et dont l'exécution n'imposait aucun surmenage. Effectivement la publication fut commencée dans la Revue historique du diocèse de Montpellier (T. I, p. 378).

Sur ces entrefaites, M. F. FABRÈGE, que rien de ce qui intéresse Maguelone et l'histoire du diocèse ne peut laisser indifférent, connut ce projet. Il donnait la dernière main à son troisième volume de l'Histoire de Maguelone. Il entra en relations avec M. L'ABBÉ ROUQUETTE, et lui suggéra l'idée magnifique de colliger toutes les bulles, tous les actes des Papes concernant le diocèse de Maguelone ou les personnages de ce diocèse: «J'ai, disait-il, écrit l'Histoire de Maguelone. Mettez-vous à l'œuvre; faites grand, et donnez-nous l'Histoire de Maguelone écrite par les Papes, année par année. Les documents abondent. » Et ces paroles étaient dites avec la conviction caractéristique de l'éminent érudit dont la majeure partie de sa

vie s'est écoulée à étudier notre histoire diocésaine et à mener un commerce intime avec les Papes du moyen âge. Elles suffirent à donner à M. L'abbé ROUQUETTE la conviction de la richesse incomparable de la mine indiquée.

La mise à exécution de ce plan exigeait de longues années et de patientes recherches. Ce n'était plus, en effet, un manuscrit à publier à titre documentaire, intéressant sans doute, de nature à mettre en relief certains événements de notre histoire diocésaine, et à faire apprécier la conduite de quelques Papes. Il fallait remonter à l'origine même, suivre année par année le grand courant créé par Jean XIX, ordonnant de relever Maguelone, et faire ressortir l'influence de Rome sur notre diocèse; en un mot, montrer, sur une surface aussi restreinte que celle du diocèse de Maguelone, le rôle bienfaisant de la Papauté et son action vivifiante que les historiens se plaisent à constater sur la Chrétienté tout entière.

Nul diocèse de France, nous semble-t-il, ne pouvait offrir un meilleur champ d'expérience: le comté de Melgueil était placé sous la suzeraineté des Papes, depuis 1085; dès cette même année le diocèse connaît les bienfaits de la liberté romaine. La ville de Montpellier se développe sans cesse. La puissante famille des Guillems devient l'une des plus puissantes du Midi; ses bourgeois luttent pour la conquête des libertés communales; ses Écoles commencent à acquérir cette réputation jalousement conservée jusqu'à nos jours. C'étaient là autant de causes qui devaient à tout instant réclamer l'intervention pontificale. C'était à une œuvre magnifique que M. F. FABRÈGE conviait notre érudit confrère. Mais ce ne pouvait être l'œuvre d'un seul.

De là naquit l'idée d'une collaboration très étroite et fort unie. Pour notre part nous fumes chargé de relever les bulles, soit dans les collections imprimées, soit sur les manuscrits. M. L'ABBÉ ROUQUETTE s'occupa du collationnement, de la bibliographie et des notes historiques jugées utiles ou nécessaires pour l'intelligence de la bulle. C'est la méthode que nous avons suivie généralement, mais non absolument. Nous avons toutefois jugé inutile de signer en particulier chaque partie de notre œuvre

commune.

Tout en conservant l'espoir, si les circonstances nous le permettent, de pousser un jour cette publication jusqu'en 1536, date du transfert du siège de Maguelone à Montpellier, nous ne faisons paraitre pour le moment que deux volumes: le premier va de la restauration de la cathédrale (vers 1032) à la mort d'Innocent III (1216); l'autre de l'avènement d'Honorius III (1216) à la mort de Boniface VIII (1303).

Les deux volumes seront, il est vrai, d'inégale étendue: le second contiendra un plus grand nombre de bulles que le premier. Cependant cette division s'imposait. Avec Innocent III, les évêques deviennent comtes de Melgueil; et avec Boniface VIII, l'influence française bat en brêche l'influence pontificale dans le comté de Melgueil, surtout depuis le jour où Bérenger de Frédol a cédé au roi de France tous ses droits sur Montpellier.

Dans ces deux volumes se déroule sans conteste la période la plus belle de notre histoire diocésaine. Avec le soufflet que Guillaume de Nogaret, un de nos diocésains, -nous pouvons lui donner ce titre, osa appliquer sur la joue de l'Église dans la personne de Boniface VIII, notre diocèse semble perdre les plus purs rayons de sa gloire. Ce n'est plus l'Église chérie de Rome, celle où les Papes, chassés de la Ville Éternelle, aimaient à venir abriter la barque de Pierre, celle que depuis Urbain 11 les Souverains Pontifes ont comblée de leurs faveurs. Sans doute les Papes d'Avignon n'oublieront pas ce fief de l'Église Romaine. Ils prendront même, comme Jean XXII, sa défense contre les prétentions des rois de France. Urbain V sera le bienfaiteur le plus insigne de notre Université. Rentrés à Rome, leurs successeurs se souviendront, jusqu'à la fin du xve siècle, de leurs droits sur l'Église de Maguelone et le comté de Melgueil, et réclameront à l'évêque les deux cens qu'il doit verser au trésor pontifical: l'un, en qualité d'évêque, parce que l'évêché est placé sous la liberté romaine, qui vaut bien les libertés gallicanes; l'autre, en qualité de comte, pour reconnaître la suzeraineté pontificale. Mais nous sommes loin, bien loin de ces grands Papes qui, d'Urbain II jusqu'à Boniface VIII, en passant par Alexandre III, Innocent III, Honorius III, Grégoire IX, Clément IV, pour ne nommer que les principaux, furent pleins de bienveillance pour notre Église, et revendiquèrent avec énergie les droits de la Papauté sur ce petit territoire.

Comme, selon le mot de M. F. FABRÈGE, nous devions donner au public l'Histoire de Maguelone écrite par les Papes, notre plan était tracé. Année par année, à partir du jour où Jean XIX ordonna de relever les ruines de Maguelone, nous avions à rechercher tous les actes émanés des Papes

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